Parce que Will Eisner, retraité à 60 ans, offre pour la première fois au public, en racontant ses souvenirs du quartier juif de Brooklyn, une véritable histoire juive, une façon de faire qui influença directement des auteurs comme Art Spiegelman, Ben Katchor, Jorge Zentner, Vittorio Giardino ou Joann Sfar. Parce que, ce faisant, il crée un genre nouveau qui va révolutionner la BD américaine : l’invention du graphic novel.
La première des quatre nouvelles qui composent l’album, édité en France sous des titres divers (d’abord « un bail avec Dieu » aux Humanos en 1982, puis « Le Contrat » chez Glénat en 1994), raconte l’émouvante histoire de Frimme Hirsch, un juif pieux qui reçoit un nourrisson sur le pas de sa porte et qui le recueille comme un don de Dieu. Toute sa vie, il élèvera cette enfant avec amour et dévotion mais, hélas, dans sa quatorzième année, la petite fille meurt. Frimme Hirsch ne comprend pas. Il considère que Dieu a rompu le pacte. Il deviendra dès lors le pire des hommes...
Un thème, on le voit, proche du Diable et du Bon Dieu de Jean-Paul Sartre auquel Eisner apporte toute sa sensibilité et son talent de grand créateur de bande dessinée. On regrette cependant le manque d’appareil critique dans l’édition d’un tel ouvrage. Le lecteur non initié a le droit de savoir que « frimme » signifie « pieux » en yiddish et que le patronyme de Hirsch est une allusion au baron philanthrope germano-belge Maurice de Hirsch qui joua un rôle central dans le sauvetage des Juifs d’Europe à partir de 1881. Il est affligeant de voir reproduit de réimpression en réimpression, une erreur historique figurant dans l’album qui date l’assassinat du Tsar Alexandre II en 1882, alors que l’attentat qui lui supprima la vie date du 1er mars 1881 (calendrier julien). Espérons que ce soit corrigé dans la prochaine édition.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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