On l’a vu avec le sort récemment réservé par la Ville de Paris à Adolphe Willette, frappé d’indignité pour antisémitisme, les paroles s’envolent et les dessins restent. Caran d’Ache est un des fondateurs de la BD française qu’il contribua à faire évoluer avec un indéniable talent. On doit notamment à Thierry Groensteen la redécouverte de son travail au travers d’une exposition au CNBDI et de divers articles ou rééditions. Ces publications restent étonnamment discrètes sur un des aspects les moins glorieux de ce dessinateur : son antisémitisme. Comme son ami Henry de Sta, également redécouvert et loué sans réserve (dans Neuvième Art), Caran d’Ache est le chef de file d’une production antisémite d’autant plus ravageuse qu’elle est talentueuse.
Mais au contraire de son confrère Henry de sta, simple exécutant au service de l’hebdomadaire de Drumont, « La Libre Parole illustrée », le très notoire Caran d’Ache lance à son compte, en association avec son ami Forain, une revue satirique antidreyfusarde titré « Pssst ! », un véritable journal de combat antisémite qu’il publie du 5 février 1898 au 16 septembre 1899. Il contribue également à un grand nombre de feuilles du même ordre avec des illustrations qui sont ensuite diffusées dans toute l’Europe.
Or, le site Coconino World publie ces jours-ci, avec un avertissement à notre sens un peu trop complaisant, un petit opuscule qui vaut son pesant de cacahouètes et qui confirme, s’il en était besoin, le rôle de chef de file de Caran d’Ache dans la caricature antisémite dès avant l’Affaire Dreyfus. Intitulé « Carnet de Chèques », ce petit album date de 1892 et se situe avant sa production pour "La Libre Parole illustrée" (à partir de 1893) et la création de "Pssst !" (1898).
A toutes les pages, le Juif corrupteur tend un chèque au député. « Comment voulez-vous qu’il refuse devant tant d’insistance ? » semble être la thèse de l’auteur, justifiant ainsi la faiblesse de la République face aux puissances supposées de l’argent juif. Un thème qui fera florès jusqu’aux heures sombres du nazisme. Publié au tout-début de l’Affaire de Panama, cet ouvrage est caractéristique de la période qui précède et prépare même l’affaire Dreyfus. On conviendra avec l’éditeur de ce document historique que ce pionnier de la BD européenne a du talent, mais c’est un talent qui pue.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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