Un nouveau Chat de Joann Sfar pour Noël

Entre 2002 et 2006, 5 tomes avaient paru, dont le dernier, Jérusalem d’Afrique, s’affichait comme un album contre le racisme. Après une pause de près de dix ans, Sfar étant occupé à de nombreux projets, notamment cinématographiques, était sorti en 2015 le volume 6, un album assez tendre sur la grossesse de Zlabya, la maîtresse du chat du rabbin.

Ce septième opus renoue avec la veine "engagée" de la série. La mosquée est inondée, le cheikh Sfar, qui assure la fonction d’imam, envisage donc de se servir de la synagogue comme lieu de culte, ce que l’imam conservateur qui l’a formé refuse complètement.

Des chatons présents dans la mosquée doivent donc s’enfuir et viennent se réfugier chez Zlabya, ce que le chat du rabbin refuse tout autant, déclarant ne pouvoir accueillir toute la misère du monde : il se considère en théorie comme un "brave type", mais refuse de se coltiner ce principe de solidarité quand il s’agit de l’appliquer au réel, de peur que sa maîtresse ne réserve ses caresses et son lait aux chatons.

Enfin, la synagogue est à son tour inondée, véritable déluge mystique : l’imam et le rabbin souhaitent alors amener leurs ouailles dans l’église pour prier, ce qui provoque un tollé.

Cet album représente la désillusion de Sfar, comme il l’explicite dans une interview au Monde : "Avec Le Chat, je voulais inviter les lecteurs à la table d’une famille juive. Quand on mange chez quelqu’un, il est difficile de se disputer. De façon plus souterraine, je montrais des juifs qui ont l’air arabes. Aujourd’hui, je suis K.-O. debout. Dans un constat d’échec absolu, comme toute la gauche caviar, avec ma tentative de faire du vivre-ensemble. On est sur les décombres de ce système. Dans du Michel Houellebecq triomphant.".

De la noirceur surgit malgré tout une petite touche de fol espoir, lié à l’innocence du bébé de Zlabya, à l’alcoolisme poétique de Malka ou à la quête mystique d’un vieux rabbin sorti d’outre-tombe.

Que retenir de ce nouveau volume de la série ? L’ensemble est sympathique, plein d’idées foisonnantes, mais le tout est assez bavard, un peu naïf et surtout beaucoup trop démonstratif dans sa dénonciation de l’extrémisme. La narration est assez brouillonne, avec une succession de saynètes sans liant entre elles, et le découpage est parfois assez confus.

Ce qui est le plus réussi dans cet album n’est finalement pas du fait de Sfar : il faut noter la beauté des couleurs de Brigitte Findalky qui créent l’ambiance si particulière et qui constitue l’une des forces du récit.

L’œuvre de Sfar est traversée par trois lignes de force majeures : une réflexion sur la judaïté, une autre sur l’art et une dernière sur la philosophie. Dans cet album, vous retrouverez un peu de tout cela, avec notamment l’analyse de la signification des fêtes juives, et du Rousseau ou du Hobbes (maladroitement) convoqués. Mais plutôt que de vous plonger dans cet album, si vous voulez connaitre les théories de Sfar sur ces trois questions, autant retourner à ses œuvres clairement autobiographiques, dans lesquelles il ne passe par le prisme de la fiction pour s’exprimer directement. Relisez donc ses Carnets, de Ukulélé à Missionnaire, en passant par Piano et Harmonica. Sfar y fait ce qu’il sait le mieux faire : parler de lui-même avec finesse, humour et sensibilité.