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Un regard neuf sur le Moyen-âge

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 22 juin 2007                      Lien  
De {Prince Valiant} de Hal Foster (1937) à {Johan & Pirlouit} de Peyo (1952), du {Chevalier Blanc} de L. & F. Funcken (1953), à la {Princesse Saphir} de Tezuka (1953), au {Chevalier Ardent} de F. Craenhals (1966), la geste chevaleresque est un standard inusable du 9ème art. Mais depuis quelques temps, certains auteurs ont renouvelé complètement le genre, en tenant compte de l’évolution historiographique du sujet.
Un regard neuf sur le Moyen-âge
Vincent Pérez
Photo DR

Mais où est le preux Charlemaigne ? s’interrogeait François Villon, déjà avec une pointe de nostalgie. Le Moyen-âge est, pour les auteurs de bande dessinée, une source inépuisable de récits héroïques ou fantastiques. Peut-être parce que sa littérature et son imagerie ont énormément contribué à la création de ce genre. Combien de générations de têtes blondes n’ont-elles pas appris l’histoire à travers les aventures d’Ivanhoé ou des Chevaliers de la table ronde ?

La magique Brocéliande

La Forêt de V. Pérez et T. Oger
Ed. Casterman

Ainsi, les noms de Merlin, de Viviane, de Morgane et de Brocéliande résonnent-ils encore dans La Forêt, l’album de Vincent Pérez et Tiburce Oger (Casterman). La magie de la légende rayonne dans l’excellent script d’un acteur qui se révèle aussi bon trousseur de récit que fin dialoguiste. Pérez y révèle un indéniable talent d’écriture où y a de la verve, de la fantaisie, de l’invention et finalement bien du talent dans cette fable qui revisite certains aspects inédits de la généalogie de Merlin. Le dessin d’Oger est à l’avenant qui croque avec truculence les trognes moyenâgeuses. Son dessin est parfois à la limite de la lisibilité ; mais il est comme cette forêt infernale qui captive ceux qui s’y aventurent : fascinant et inextricable.

La Forêt par V. Pérez et T. Oger
Ed. Casterman

Une histoire décomplexée

Pour dessiner Capucin (Editions Gallimard) Florence Dupré la Tour a fait un détour par le jeu de rôle, en particulier de médiéval-fantastique [1]. Mais elle se souvient aussi bien des contes de Grimm, de Perrault, des romans de Chrétien de Troyes (Le Chevalier à la Charrette) que des récits transmis par son éducation catholique ou par les quelques années passées à la campagne. Son choix pour le Haut Moyen-âge ? « C’est plutôt une solution de facilité, répond la demoiselle. C’est une période à la fois ultra connue et ultra confuse. Tout le monde connaît Arthur, les chevaliers, etc.

Capucin de F. Dupré la Tour
Ed. Gallimard

Mais rien n’est précis ; historiquement, c’est un peu la bouillasse. En fait, j’avais envie que le lecteur ne se sente pas paumé, mais je n’avais pas envie que des tronches de premiers de la classe viennent m’ennuyer en me disant "madaaaaaame, c’est pas vrai c’que tu racontes". »

Florence Dupré la Tour
Photo : DR

Cela donne un récit échevelé, une œuvre libre, un type de récit proche de ce que l’on trouve chez le Joann Sfar de Klezmer. Une vision historienne décomplexée : « Cette période du Moyen-âge est un entre-deux, nous raconte l’auteure : la fin de l’antiquité, les propagations lentes du christianisme font qu’un personnage en quête de lui-même, et qui doute y trouve tout particulièrement sa place. Elle est également épique et héroïque par excellence ; mais héros ne veut pas dire bon, ou gentil. Les chansons de geste sont remplies de connards et de crétins. Voilà, ce qui m’attire dans ce genre d’époques, c’est qu’elles sont tellement clichées que c’est un plaisir sans fin de les revisiter. »

Capucin de F. Dupré la Tour
Ed. Gallimard

La lettre du Prêtre Jean

Gwenn de Bonneval
Photo : D. Pasamonik

Chez Gwenn de Bonneval, en revanche, l’approche est plus respectueuse : « C’est un thème qui m’intéresse particulièrement. Gamin, je jouais au chevalier. C’est tout con, mais avoir une coupe au bol quand on est petit, et voir comment les chevaliers avaient la même coupe, ça laisse des traces. Et puis ces noms personnages que l’on découvre au hasard, Du Guesclin, Bayard, dont on s’aperçoit qu’ils ont existé, cela suscite la curiosité. Quand nous avons fait notre histoire, nous avons voulu rester dans un récit crédible. Sur la psychologie des personnages, sur leur entourage, et aussi sur les mentalités. On peut facilement s’égarer dans la documentation en oubliant comment les gens pensaient à cette époque-là. On a tendance à se représenter le Moyen-âge au travers des récits des clercs qui ont écrit son histoire ou par le biais du christianisme.

Messire Guillaume par G. de Bonneval et M. Bonhomme
Ed. Dupuis

Au quotidien, les gens qui étaient dans les camps et les villages étaient très différents des nobles. Comme je descends d’une lignée d’aristocrates du Limousin, du Cher et du Sud-Ouest de la France, j’étais sensible à cet aspect des choses. Le nom du héros, Guillaume de Saunhac, vient de ma grand-mère paternelle. Il se trouve que j’ai un ancêtre du 13ème siècle qui porte ce nom. » Une bonne façon de se mettre dans la peau du personnage.

« On n’en fait donc pas un voyage dans le temps avec des personnages qui pensent comme aujourd’hui. Ce n’est ni de l’Héroïc-Fantasy, ni du Jacques Martin. On en fait avant tout un récit personnel. « Messire Guillaume », c’est d’abord l’histoire d’un petit garçon qui va grandir, et on la met dans ce contexte parce que cette aventure lui permet de construire sa psychologie au milieu de plein de cultures et de valeurs contradictoires. Le bestiaire fantastique, au Moyen-âge, n’était pas perçu comme imaginaire, tel qu’on l’appréhende aujourd’hui. Pour les gens de l’époque, il existait vraiment. Ils pensaient sérieusement que le Paradis terrestre était aux confins du monde. La lettre du Prêtre Jean [2] envoyée à plusieurs monarques est une supercherie à laquelle les contemporains ont cru. Il élabore une sorte de modèle de ce que devraient être les régimes monarchiques de l’époque. Il y a beaucoup de références à Saint-Augustin dans ce texte. »

Le griffon du Prêtre Jean
par Mathieu Bonhomme. Ed. Dupuis.

Trois approches, trois talents qui renouvellent notre perception de cette période passionnante. Peut-être certains lecteurs trouveront cette nouvelle manière moins « charmante » que celle de naguère. S’ils pensent que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, ils pourront alors s’en référer à Villon encore qui, au 15ème siècle déjà, sans même avoir vu jamais le Kilimandjaro, posait cette question bien actuelle : « Où sont les neiges d’antan ? »

Messire Guillaume par G. de Bonneval et M. Bonhomme
Ed. Dupuis

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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[1Médiéval-fantastique ou Med-Fan. Univers de jeux de rôle évoluant dans un Moyen-âge historique qui est celui des mythes et légendes et des contes de fées. On y trouve, comme dans les ouvrages de Tolkien ou dans les encyclopédies de Pierre Dubois, des magiciens, des nains, des dragons, des elfes…

[2Au Moyen-âge, on a longtemps cru qu’un riche et mystérieux royaume chrétien, celui du Prêtre Jean, situé en Afrique ou en Inde, pourrait lever une armée et prendre les Maures et Mongols à revers.

 
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