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Une avalanche d’intégrales (3/3)

Par Charles-Louis Detournay le 5 janvier 2015                      Lien  
Terminons ce tour d'horizon des intégrales avec celles parues chez Glénat, sans oublier les productions de qualité du Lombard qui, avec Dargaud, tente de recoller qualitativement à leur filiale-sœur de Média-Participations Dupuis. Un revirement important pour l'éditeur bruxellois qui horrifiait l'amateur, voici quelques temps encore, par la vacuité qualitative des introductions de ses compilations.

Alors que Dupuis, avec une remarquable constance,persistait à soigner ses présentations, Le Lombard touchait le fond en 2011 avec l’intégrale Cubitus. Le manque évident de soin apporté à cette publication (dossier inexistant, albums remontés en dépit du bon sens) dénotait par sa désinvolture envers l’œuvre et envers les lecteurs eux-mêmes. Peut-être était-ce dû aux remous internes qui secouaient la maison bruxelloise à l’époque. Mais pas mal d’eau a coulé sous les ponts, et depuis l’arrivée de Gauthier Van Meerbeeck la sérénité nécessaire est revenue qui se traduit par une impressionnante progression qualitative dans ce domaine. Une avalanche d'intégrales (3/3)

Des compilations de tous genres

Combattons l’idée reçue que ces recueils ne s’adressent qu’à de vieux lecteurs poussiéreux. Les éditeurs pensent également aux jeunes, en réalisant des compilations de gags thématiques. C’est le cas récemment pour Cédric chez Dupuis avec Tous en scène, mais également pour L’Élève Ducobu et Léonard au Lombard, Les Blagues de Toto chez Delcourt ou encore avec les Best of des Blondes chez Soleil . L’idée n’est alors pas d’offrir la totalité d’une série, mais bien une sélection de gags ou de courts récits, une sorte d’introduction à l’univers, par le truchement d’une entrée thématique, par exemple celle de la nature pour Léonard, histoire de recruter ainsi de nouveaux lecteurs pour la série.

L'un des recueils de l'intégraleLes lecteurs désireux de lire de denses récits complets trouveront leur bonheur au Lombard avec l’intégrale de Sherman réalisée par Desberg & Griffo, ou la seconde intégrale de La Vache dans laquelle Desberg encore mêle action et humour au service des pinceaux facétieux de Johan de Moor.

Détail "habillé" des pages de garde réalisées par Walthéry

Mais l’objectif d’une intégrale est avant tout de rendre disponibles des titres épuisés, absents depuis longtemps des librairies. Rubine, la série conçue naguère par Mythic, Walthéry & Dragan de Lazare en constitue un bon exemple : en moins d’un an, Le Lombard va publier quatre volumes reprenant l’intégralité des treize tomes, dont les derniers sont furieusement recherchés par les collectionneurs ! L’éditeur en profite, grâce à ses introductions, pour améliorer la compréhension du lecteur de la création quelquefois chaotique de cette série qui connut presque autant de péripéties que son héroïne : dans le premier volume qui regroupe les trois premières enquêtes de l’inspectrice de Chicago, on apprend quelles difficultés a connues cette furie au caractère bien trempé. Les coulisses de la réalisation de ces albums permettent notamment de mieux comprendre la part de Walthéry dans ce travail. L’iconographie de ce premier dossier lui rend d’ailleurs un hommage appuyé : ex-libris et nombre d’illustrations rares y sont collectés, tandis que les pages de garde, spécialement réalisées pour l’occasion par le papa de Natacha, raviront des amateurs.

Cet extrait du dossier de la première intégrale de Rubine relate les nombreux clins d’oeil opérés par les auteurs.Ici, le dessinateur Dragan de Lazare ne se contente pas de placer Natacha et Walter à l’arrière-plan, il nous livre son autoportrait en amateur de filles en tenue légère. Sur la page de droite, il évoque Maurice Tillieux dans l’ombre de la couverture du tome 3.

L’âge d’or du Journal Tintin

Dans l’article évoquant le décès de Fred Funcken et celui présentant l’intégrale du Chevalier blanc parue chez BD Must, nous avons largement évoqué le merveilleux travail réalisé par Fred & Liliane Funcken. Il tait temps que le Lombard se souvienne de ces auteurs qui ont été les piliers du Journal Tintin en consacrant enfin une intégrale aux aventures de Harald le viking.

Certes tardif, l’hommage n’en demeure pas moins appuyé. Le dossier de Jacques Pessis revient scolairement sur l’atmosphère de création de ce héros viking publié dans l’hebdomadaire des 7 à 77 ans en 1956, et sur son couple emblématique d’auteurs. Il rappelle également les absurdités des publications en albums, dont le tome 2, La Lueur verte, fut tout simplement éludé par Le Lombard, avant d’être finalement publié aux édition Chlorophylle en 1980, mais en noir et blanc et amputé d’une vingtaine de planches ! Pour cette publication en intégrale, l’éditeur parti de scans de pages parues dans le Journal Tintin. Si la qualité graphique s’en ressent, le plaisir de bénéficier d’une intégrale complète pour la première fois, près de soixante ans après la publication de la première aventure d’Harald, compense largement ce petit défaut.

Fidèle à son style, Pessis tourne toujours autour de son sujet sans vraiment l’analyser en profondeur : les documents utilisés pour évoquer le passé des auteurs donnent un sérieux sentiment de déjà-vu, tandis que certaines illustrations font double emploi avec les planches des récits. Le journaliste fait finalement appel au scénariste Rémy Gallart pour compléter son dossier : son analyse de la mise-en-scène, des scénarios et du graphisme (des explications qui faisaient jusque là cruellement défauts), sont aussi brèves et précises que bienvenues. En définitive, si ce dossier semble une fois de plus être un amalgame de beaucoup d’éléments disparates, il a le mérite d’exister et d’apporter un éclairage nécessaire sur un héros du Journal Tintin trop vite oublié. De plus, trois courts récits inédits en album, ainsi qu’une illustration en double-page des drakkars des Vikings, viennent compléter la compilation des quatre récits longs. Le soin apporté à rassembler tous ces éléments épars font de cette intégrale d’Harald le viking un album incontournable pour les amateurs du travail des Funcken ou pour ceux des be qui apprécient lles épopées historiques de l’âge d’or de la bande dessinée belge.

Rosinski, encore et toujours

Situées chronologiquement dans l’Histoire du Journal Tintin entre Harald et Rubine, les intégrales d’Hans sont la meilleure preuve du virage qualitatif que le Lombard a décidé de conférer désormais à ses intégrales.

Pour parvenir à ce niveau d’excellente, l’éditeur bruxellois a prolongé l’association concluante à l’œuvre sur sur la somptueuse monographie de Rosinski signée par Patrick Gaumer, assisté par Piotr Rosinski pour le choix iconographique.

Il n’a fallu qu’une modernisation de la typographie du titre pour redonner toute sa force à la couverture réalisée par Rosinski voici plus de trente ans. Dans cette ambiance de fin de monde, le destin de ce couple en révolte contre l’ordre établi réinstalle à nouveau l’excellente série Hans dans nos bibliothèques.

Rappelons qu’au début de Thorgal, alors que cette série n’était pas encore un succès, Van Hamme était accaparé par d’autres projets. Aussi invita-t-il Rosinski à accepter une autre série en attendant, et pourquoi pas de la science-fiction, un sujet qui passionnait le Polonais, surtout si le récit était écrit par André-Paul Duchâteau, alors rédacteur-en-chef du Journal Tintin ?

Ceci, d’autant plus que Rosinski habitait encore de l’autre côté du rideau de fer, et qu’il était impossible qu’il collaborât à une œuvre trop contemporaine sans que la censure communiste ne la considère comme une publication d’ordre politique.

Même si le dossier de cette première intégrale d’Hans ne fait que seize pages, il représente sans doute la quintessence de ce que le lecteur bien né peut attendre d’une telle introduction : un récit aussi clair que fouillé des circonstances de la collaboration entre les deux auteurs et des photos d’époque, des extraits de courrier échangés, des croquis et des essais de couvertures, ainsi que les illustrations publiées dans le Journal Tintin (notamment la page spéciale réalisée pour le cadavre exquis des auteurs du journal) qui permettent d’imaginer les premiers pas du dessinateur polonais dans l’univers de la bande dessinée franco-belge.

Avec sa rigueur encyclopédique coutumière, Gaumer donne de la chair à cette histoire sans omettre aucune information. C’est ainsi qu’on retrouve une planche inédite du deuxième album Le Prisonnier de l’Éternité, ainsi qu’un récit de dix pages inédits en album que les éditeurs ont curieusement placé en introduction de la série, alors qu’il aurait fallu l’intercaler entre les albums 1 et 2 pour maintenir leur cohérence narrative.

L’étonnant passage de relais de Rosinski à Kas sur la série "Hans".
Alors que d’autres intégrales ne reproduisent même pas les couvertures originales des albums, les recueils d’Hans les ont laissées en réduisant la place laissée à la titraille.

Gaumer complète ces développements historiques en s’intéressant, dans le second volume, au scénariste de la série, André-Paul Duchâteau dont il livre un superbe portrait, de même que sa vision de la SF.

Notre encyclopédiste explique également en détails pourquoi Rosinski ne pouvait se résoudre ni à continuer Hans, ni à se contraindre de l’abandonner.

Il profita d’une rencontre fortuite avec son compatriote Kas, pour opérer un petit tour de passe-passe qui consista à confondre un temps leurs travaux respectifs pour mieux convaincre la direction éditoriale du passage de relais qui devint naturellement officiel.

Outre les croquis des deux dessinateurs, le lecteur reçoit en bonus trois planches inédites en album qui saluent le numéro 100 de Circus et le joli texte écrit par Duchâteau pour célébrer les 40 ans du Journal Tintin somptueusement mis en image par Rosinski.

Nous attendons avec impatience le troisième et dernier volume de cette intégrale d’Hans (prévu pour le 30 avril 2015), de même que la très attendue intégrale de Modeste et Pompon par Franquin.

"Pour ça" explique Rosinski dans le dossier de la deuxième intégrale d’Hans, "j’avais observé le travail à la plume d’Hergé et employé un style graphique "ligne claire". Ce n’était pas très compliqué. J’ai même imité le lettrage. C’était un pastiche, mais je n’ai pas copié l’album. J’ai fait "à la manière de", sans recopier."
Ce visuel rend peu honneur à la qualité du travail du dessinateur. Pour vous en convaincre, feuilletez l’intégrale (ou cliquez sur l’image pour la voir dans une résolution un peu meilleure).

Lovecraft, tout en puissance, chez Glénat

Glénat travaillant la licence de Disney depuis quelques années, vient de publier un second tome des Plus belles Histoires des Castors Juniors. Toutes scénarisées par Carl Barks (et dessinées pour moitié par lui), les histoires de ce nouveau recueil rassembleront les différentes générations de lecteurs autour de récits qui n’ont pas vieilli : aventure, exotisme et ingéniosité forment le quotidien des trois neveux de Donald lors de leurs équipées de toqués badgés.

Pour clôturer ce tour d’horizon de ces intégrales marquantes, nous ne pouvons faire l’impasse sur le fabuleux recueil des adaptations de nouvelles de HP Lovecraft réalisées par Horacio Lalia. Le maître argentin n’en est évidemment pas à son coup d’essai, car il a déjà adapté des récits de H.G. Wells, Joseph Conrad, Edgar Allan Poe. Sa science du noir et blanc, marque de fabrique de l’école argentine, rend ses transpositions saisissantes. Qu’il s’agisse des incontournables L’Appel de Cthulhu, L’Abomination de Dunwich, La Couleur tombée du ciel ou les quinze autres récits du maître de la terreur, Lalia parvient à rendre les visions du narrateur sans jamais jouer dans la démesure, ni dans la facilité. Fascinant !

Ces adaptations avaient déjà été publiées en trois tomes indépendants en 1998, 2000 et 2002 chez Albin Michel. Ayant racheté le fonds de cet éditeur il y a quelques années, Glénat a eu l’excellente idée de rassembler ces récits dans une intégrale. Grâce aux Cauchemars de Lovecraft, sommet de la littérature fantastique et de terreur, et son signet de tissu (noir comme il se doit), vous terminerez l’hiver en frissonnant d’effroi.

Documents

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire les première et deuxième parties de ce tour d’horizon.

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Ainsi que concernant Rosinski :
- Le Noël des Rosinski
- Célébration de Thorgal et de Rosinski en cette fin 2013

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4 Messages :
  • Une avalanche d’intégrales (3/3)
    5 janvier 2015 12:59, par Oncle Francois

    Ce programme me semble tout à fait intéressant. Les éditeurs auraient ils enfin compris la formule de l’Intégrale réussie ? Même le Lombard qui jusqu’ici restait à la traine de ses vaillants concurrents ??? Va petit gars, le vent te pousse ! Je vous remercie d’avoir éveillé en moi l’attention d’acheter l’Intégrale de Hans, cher ami journaliste !

    Répondre à ce message

  • Une avalanche d’intégrales (3/3)
    5 janvier 2015 15:20, par Frenchoid

    cliquez sur l’image pour la voir dans une résolution un peu meilleure

    En fait on n’y gagne pas grand-chose.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Norbert le 6 janvier 2015 à  00:23 :

      En cliquant une première fois sur l’image, puis en faisant un clic droit dessus, puis enfin en cliquant sur la loupe avec le signe +, on peut voir ... le texte des bulles en meilleure résolution !

      Répondre à ce message

      • Répondu par Frenchoid le 6 janvier 2015 à  13:34 :

        Pas de loupe chez moi (sous Chrome), je dois passer par "Ouvrir l’image dans un nouvel onglet", et là je peux zoomer — mais dans le cas qui nous occupe seul le texte est lisible, tout le dessin est flou, donc le gain de l’opération reste nul (mais merci quand même d’avoir pris la peine de vous arrêter !).

        Répondre à ce message

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