On doit à l’étonnante association entre l’ambassade d’Allemagne et la galerie Huberty-Breyne cette splendide exposition qui vient de prendre place à Bruxelles. Elle aborde sous bien des aspects cette commémoration de la Chute du Mur de Berlin. Les organisateurs ont invité une trentaine d’artistes à « livrer leur réflexion sur la notion même de « mur », cette séparation des peuples, symbole d’oppression et de privation des libertés n’a jamais été autant d’actualité : États-Unis et Mexique, Israël et Palestine, Corée du Nord et Corée du Sud… ».
Les deux commissaires d’exposition sont Fabrice Douar, directeur de collection chez Futuropolis et commissaire au Louvre, et Cyrille Gouyette, historien d’art. Aux artistes invités, ils ont suggéré cette notion de "Murs", du point de historique (devoir de mémoire), sociétal (protection ou enfermement) et expression artistique (notamment dans la contestation politique).
Et le résultat de ce travail est tout simplement bluffant : l’exposition, polymorphe, déploie les différents aspects de la thématique sous des atours aussi stupéfiants qu’intrigants. Cela fait près de dix ans que la Galerie Huberty-Breyne mêle bande dessinée et Art contemporain, le lien entre ces courants artistiques n’a jamais été aussi évident qu’aujourd’hui !
Citer tous les auteurs présents aux cimaises de la Galerie Huberty-Breyne serait fastidieux car on y retrouve entre autres Andreas, François Avril, Nicolas de Crécy, Flix, Miles Hyman, André Juillard, Kim Jung Gi, Stéphane Levallois, Loustal, Midam, Pen so, et bien d’autres.. Mais épinglons quand même des présences qui, à notre avis, devraient accrocher bien des regards.
Il y a bien sûr Enki Bilal dont les dessins, à la fois réalistes et oniriques qu’il a réalisés en 1982, nous montrent une liberté des corps qui s’échappe des briques et du béton. Il y a aussi Marc-Antoine Mathieu qui, de façon presque hypnotique, nous laisse comprendre, dans une animation, que l’homme passe d’un mur à un sens de mobilité obligatoire, un peu comme si la liberté de bouger et de vivre ne pouvait jamais être parfaite. Plusieurs auteurs ont choisi de travailler sur des morceaux de mur, ou des cartons enduits, comme Stéphane Levallois qui a dessiné des hommes et des femmes sur de petits bouts de pierre. Époustouflant.
La plupart des œuvres sont indéniablement sérieuses. Mais l’humour, heureusement, est également présent, avec Philippe Geluck et son Chat, observateur de la vie. « Le Mur de Berlin étant tombé, ce n’était pour moi plus le moment de le représenter, explique-t-il. J’ai donc choisi de peindre un nouveau mur, celui que Trump érige entre les USA et le Mexique. Avec le parallèle que l’on imagine. J’avais donc livré ce premier projet. Puis comme cela arrive souvent, en ruminant le sujet, j’ai eu une autre idée : ce jeu entre ce qui se passe derrière le Mur, et ce verso du tableau, que j’ai finalisé dare-dare la veille du vernissage avec l’encadreur. »
L’humour et le décalage demeurent également présents avec François Boucq qui use de dérision et de cynisme avec tout le talent qu’on lui connaît :
Autre ambiance avec Piotr Rosinski. Avec nous, il repart dans ses souvenirs pour expliquer l’œuvre qu’il a apportée pour cette exposition : « Cette peinture fait partie des moins figuratives parmi celles que je réalise. Je pratique surtout l’exorcisme, je peins ce qui sort de mon corps. Le sujet d’ouverture, de fermeture et de cloisonnement me préoccupe particulièrement : ségrégation, séparation, et aliénation quoiqu’involontaire. On dit souvent que la liberté se crée en soi, mais on évoque en réalité différents types de liberté : il y a la liberté physique et la liberté mentale. Cet oiseau maculé devient donc une allégorie, avec tout le principe de la cage qui symbolise aussi la prison. Que cela soit en Allemagne ou en Pologne, nous avons été physiquement emprisonnés, et la seule liberté que nous ressentions était celle que nous avons travaillée au cœur de nous. Elle était très relative… et très subjective. »
« Je retranscris cette enferment physique que j’ai vécu en Pologne jusqu’à l’âge de 14 ans, continue-t-il. Sous couvert d’un groupe de chant et de danse folklorique, j’ai fui la Pologne avec ma famille en 1982, soit sept ans avant la chute du Rideau de Fer, dont le Mur n’était qu’une infime partie. Je reste intéressé par évoquer les jours précédant le 9 novembre 1989. On parle très peu de ce qui s’est passé juste avant, et qui amené à la chute du Mur en lui-même. Derrière ce fameux changement de mentalité, se cachent des noms et des gens. La chute du Mur est si forte, qu’elle obscurcit le reste des événements qui l’ont entraînée. Il faut savoir qu’en RDA, l’opposition était moins forte qu’en Pologne. Ils étaient presque à l’identique de l’Union Soviétique, leur ombre, même plus soviétique que les Soviétiques ! En Pologne, nous disposions de bien plus de libertés. Et on s’en est heureusement bien servi dans les années 1980. D’ailleurs, au 20e anniversaire de la chute du Mur, le maire de Berlin a rappelé que sans Solidarność et les mouvements d’opposition démocratiques polonais, il n’y aurait pas eu de 9 novembre 1989. »
« Ce sentiment d’enfermement représente donc quatorze ans de ma jeunesse, conclut-il. Après ma fuite, le Mur continuait à exister même lorsque je vivais en Belgique ! Tout d’abord, parce que mes amis étaient toujours enfermés là-bas, et je ne pouvais pas aller les visiter. Et puis, j’étais considéré comme déserteur de l’armée et mes anciens voisins m’ont raconté par la suite que j’étais à ce titre recherché par la Police. Je n’ai donc pu revenir en Pologne qu’après les premières élections libres en 1989, quelques mois avant la chute de Mur. »
Une expo pour se souvenir, mais encore ?
Au-delà de la commémoration, au-delà de la souvenance, l’impression qu’on peut retirer de cette réunion d’œuvres variées sur un thème aussi sociologiquement porteur, cette impression mêle la sensation d’espoir qui jaillissait en même temps que s’écroulait le mur de Berlin, avec une tout autre sensation : celle de ne pas comprendre pourquoi les murs, depuis, n’arrêtent pas de se multiplier. Murs de pierre, de barbelés, murs invisibles, aussi, comme le disait Guy Béart : « Les oreilles ont des murs, des murs de chair c’est plus sûr… » !
Et c’est là que cette exposition démontre aussi toute son importance : se souvenir de l’horreur, ce n’est pas simplement chercher à ce qu’elle ne se reproduise pas ; c’est, bien plus simplement, rendre palpable une espérance, un peu folle toujours, comme le disait Guy Béart. L’espérance en un monde meilleur, à taille plus humaine ? Dans doute, oui… L’espérance, en tout cas, en un fourmillement d’impressions et de rêves, de réels et de ressentis, un fourmillement comme celui qui se révèle sur les murs de la galerie Huberty-Breyne.
Tous les sons sont : Jacques Schraûwen.
Tous les propos reproduits sont : Charles-Louis Detournay.
(par Jacques Schraûwen)
(par Charles-Louis Detournay)
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Murs : une exposition jusqu’au 14 décembre à la galerie Huberty Breyne – 33, place du Châtelain – 1050 Bruxelles
TEL : +32/2.893.90.30
Mail : contact@hubertybreyne.com
Galerie ouverte du mardi au samedi de 11h à 18h.
Lien vers le site de la galerie et cette exposition
Sur la chute du Berlin, le regard de Julos Beaucarne pour le 25e anniversaire de la Chute du Mur