On connaît tous, pour l’avoir étudié en classe, le Baudelaire des Fleurs du mal, son procès, ses scandales, sa célébration du beau face à la grossièreté de la vérité, sa mélancolie parfois trempée de méchanceté, son invitation au voyage… C’est le premier des « poètes maudits », un idéal littéraire qui marquera l’histoire des lettres.
On connaît tous Yslaire et sa saga des Sambre, illustration exaltée du XIXe siècle, pétri de références littéraires (de Hugo à Zola), et surtout éminemment romantique.
Car chez Yslaire, seul l’amour est véritable. Celui de cette femme, Jeanne Duval, est à ses yeux exemplaire. Cette « jeune mûlatresse » cantonnée aux petits rôles accessoires « exotiques » du Théâtre de la Porte Saint-Antoine, un objet de décor presque, va pourtant jouer un rôle déterminant dans la vie de ce dandy à la réputation de débauché qui monta, comme Sambre, sur les barricades de la Révolution de 1848 et qui introduisit en France -il y est fait allusion plusieurs fois dans l’album- l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Comme critique, il laissa une trace indélébile dans l’histoire de l’art.
C’est du point de vue de Jeanne, cette beauté immortalisée par Édouard Manet dans le tableau « La Maîtresse de Baudelaire » [1], qu’Yslaire raconte son histoire. Et par la fin : au moment où le poète, mort de la syphilis à l’âge de 46 ans, est mis en terre. La présence de la Créole révolte la famille qui préfère dissimuler cette relation « scandaleuse » l’accusant d’avoir profité du poète, et craignant surtout qu’elle vienne réclamer l’héritage.
En partant de son enfance, Yslaire déroule un portrait surprenant du poète, tout en symboles et en images fantastiques, quelquefois d’une torride sensualité pour évoquer les plaisirs et les tourments de la relation tumultueuse qui fut la leur. Son dessin est sobre, académique, nourri d’art et pourtant parfaitement au diapason d’un texte magnifiquement écrit qui restitue avec respect la verve passionnée du poète. Un album dont on sort essoufflé et qui rend justice à l’un des plus grands écrivains de l’histoire des lettres, mais également à la femme qui l’inspira et qu’Yslaire sort ainsi de l’ombre.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Mademoiselle Baudelaire – Par Yslaire - Ed. Dupuis / Collection Aire Libre - 160 pages – 26€.
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[1] Un titre donné par la veuve de Manet, dans l’inventaire de ses œuvres établi à la mort du peintre.