Or donc, les originaux de ces histoires reposaient depuis les années 1950 à l’Abbaye d’Averbode, éditrice de Petits Belges, ce petit magazine nommé plus tard Tremplin. Tous les petits Catholiques belges étaient abonnés à ces revues et collectionnaient les « Talents » qui, cumulés, permettaient de gagner des cadeaux. Très chrétiennement, l’éditeur rendit ses originaux à l’auteur dans les années 1970. Ce qui lui permit de tirer de ces inédits en album un recueil imprimé aux éditions Jonas en 1979. Ce label avait été lancé cette année-là par Jan Bucquoy et les frères Pasamonik qui se séparèrent bons amis quelques mois plus tard pour créer les éditions Magic Strip.
Un empereur flamand
Tiré à 500 ex (dont 30 signés et agrémentés d’une épreuve en quadrichromie signée par l’artiste), cet album avait pour titre « Histoire comique de Charles-Quint et autres contes. » Seuls quelques Belges érudits percuteront à l’allusion à Michel de Ghelderode, ce représentant belge du « théâtre de la cruauté » quelque peu oublié aujourd’hui, qui avait écrit une « Histoire comique de Keizer Karel, telle que la perpétuèrent jusqu’à nos jours, les gens de Brabant et de Flandre » (Les Éditions du Carrefour, 1943).
La gouaille rabelaisienne et hispanisante à la sauce flamande de l’écrivain de Schaerbeek avait enchanté les deux « Jacques » : Jacques Van Melkebeke et Jacques Laudy.
Van Melkebeke ? Vous le connaissez aussi. C’est le « scénariste fantôme » de l’École de Bruxelles, collaborateur clandestin de Hergé, Jacobs, Laudy et Cuvelier, une carrière faite à l’ombre de la Ligne claire (voir l’excellent biographie que lui consacre Benoît Mouchart, À l’ombre de la Ligne claire, chez Vertige Graphic). Jacques Van Melkebeke, que Jacobs surnomme « l’ami Jacques » dans ses mémoires, L’Opéra de papier (Gallimard) a prêté ses traits au Professeur Mortimer.
Van Melkebeke, le premier, avait publié un « Keizer Karel V » dans Ons Volkske (en français : Les Farces de l’empereur, dans Junior) entre 1951 et 1952 ; Jacques Laudy poursuivit l’ouvrage dans Petits Belges et son pendant flamand Zonneland entre 1953 et 1956. Il n’est pas impossible que les textes de la version de Jacques Laudy soient de « l’ami Jacques » lui-même.
Dans la lignée de Ghelderode qui, lui-même en archiviste, recueillit notamment auprès des chroniques bourguignonnes du XVIe siècle les récits merveilleux et comiques du célèbre empereur d’Allemagne, roi des Romains, d’Espagne, des Deux-Siciles et de Sardaigne, prince souverain des Pays-Bas et unique empereur des Deux-Mondes, Jacques Laudy perpétue ces récits populaires.
Il faut dire que l’empereur espagnol était né en Flandre et parlait le flamand. Sa mère, dit-on, l’avait enfanté alors qu’elle était aux latrines et on raconte qu’à la fin de sa vie, le monarque organisa son enterrement de son vivant pour s’amuser de la mine contrite de ses courtisans.
Cet empereur un peu farce, qui fit rendre gorge à François 1er lui-même, était un bon sujet et on lui prêta bien des légendes ici recueillies dans ces planches initialement publiées dans Petits Belges en couleur avec le texte sous l’image, à la façon spinalienne. Il y eut seulement vingt planches du Charles Quint de Laudy. Elles sont pour la plupart en vente ici.
Contes et légendes
La deuxième partie de l’album est davantage consacrée aux saints et aux légendes régionales, à l’exemple de ces images édifiantes publiées par Épinal ou Brepols. On y retrouve les figures de Notger, l’évêque de Liège, de Saint-Géry, de Jean Ruysbroek dit « l’admirable », fondateur du prieuré de Groenendal, de Brabo, le fondateur d’Anvers, de Sainte Alène de Forest, de Saint Norbert de l’Ordre des Prémontrés, de Sainte-Gudule, ainsi que de nombreuses légendes comme celle de Notre-Dame du Sablon, du Doudou de Mons, ou celle des Maanblussers (les « éteigneurs de lune ») de Malines.
Ces petites histoires en une planche sont typiques de Jacques Laudy, grotesques et grimaçantes, tellement belges, tellement flamandes, issues d’une époque où les habitants du Plat Pays résolvaient leurs problèmes avec bonhomie en se battant les flancs, arrosant leurs rires de larges rasades de Kriek ou de Gueuze Lambiek.
Voir en ligne : LA VENTE LAUDY SUR CATAWIKI (CLÔTURE LE 7 MARS 2020)
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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