Blattaville est une cité comme les autres. On y boit des canons au bistrot du coin, on y rêve de sexe, en attendant. Ses faubourgs mal fréquentés, son caïd, ses putes au grand cœur y côtoient dans le désordre artistes ratés et vies désabusées. Dans le bar glauque du quartier s’entremêlent les histoires de ces habitants pouilleux et frustrés.
Gégé l’artiste attend la consécration. Son talent va enfin être reconnu par ses maîtres Cizaille (Cizo) et Vanshluss (Winshluss). En attendant, il survit, traînant aux côtés de Marcoz, son pote de biture et génie ignoré. Avatars des auteurs, ces deux-là vont revoir Pénélope, la star qui fait son "come-back" dans sa ville natale qu’elle a fui vingt ans plus tôt. Gégé et Pénélope, c’était une grande histoire d’amour.
Entre feuilleton familial et satire sociale, Pichelin et Guerse peignent avec ironie et cynisme la vie provinciale de ces perdants de l’obligatoire accomplissement de soi. Ne se privant pas d’égratigner au passage l’hégémonie culturelle parisienne, les soi-disant grands maîtres et les poètes maudits autoproclamés.
Cofondateurs des Requins Marteaux, nos auteurs ont également créé Ferraille et son style entre auto-fiction et “cartoon” mettant en scène des losers inspirés de la BD indépendante américaine de Mad à Crumb. Bêtes et méchants, buveurs invétérés, nigauds paumés à la sexualité attardée, ces personnages sont devenus la marque de fabrique des Requins et plus spécifiquement de Ferraille. C’est dans cette veine que l’univers de Vermines fut créé en 2004.
Mélangeant culture populaire, fable satirique et roman noir, les auteurs ont créé un monde cohérent qui, après les épisodes successifs parus précédemment, invente un récit complexe aux voix multiples. Autour d’une intrigue centrée sur le retour de la fille prodigue revenue régler ses vieux comptes, tous les personnages vont se croiser au détour d’un zinc en piteux état. Tous ont un passé plus ou moins avouable, certains ont un avenir, pour les autres ce sera la boisson, source de réconfort et d’oubli.
Narcissiques, ringards, manipulateurs ou prétentieux, la plupart des protagonistes sont méprisables ou odieux. Corrosive et piquante, la satire cogne et provoque un rire crasseux.
L’inventivité des deux auteurs dans le décorum, le zoomorphisme, l’attention aux détails, et le formidable travail de colorisation, entre nuances de vert et de marron (on en saisit aisément le sens) portent un univers riche où la bouffonnerie et le grotesque décalquent cette vie calme et tranquille.
(par Vincent GAUTHIER)
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