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Villain, l’homme qui tua Jaurès - Daniel Casanave et Frédéric Chef - Altercomics

Par Damien Boone le 26 octobre 2011                      Lien  
Raoul Villain. La familiarité d'avec ce nom est inversement proportionnelle au retentissement historique de son acte essentiel : l'assassinat de Jean Jaurès, le 31 juillet 1914. Loin de toute réhabilitation, les deux auteurs retracent dans cette biographie l'existence d'un homme sans relief, un "figurant de l'histoire" idéologiquement porteur des tourments de son époque.

L’un, Daniel Casanave, est coutumier de l’illustration de la vie de grands personnages (Baudelaire, Attila, Le Soldat inconnu) ; l’autre, Frédéric Chef compte à son actif de nombreux ouvrages sur la région Champagne-Ardenne. Pour avoir l’idée de s’intéresser à un individu méconnu, même pas un héros de l’histoire, natif de Reims, il fallait certainement la rencontre de ces deux auteurs rémois.

Car on est ici loin de la "biographie dessinée" d’un grand homme. Si l’ouvrage retrace avant tout la triste vie de Raoul Villain, il tente aussi d’expliquer comment celui-ci a pu en arriver à assassiner le leader socialiste à la veille de la Première Guerre mondiale. Une partie de la réponse se trouve dans la ville de Reims, cité des Rois, dans laquelle, à l’ombre de la cathédrale, Raoul Villain passe son enfance et puise une partie de ses convictions politiques et religieuses. Un ange le suit d’ailleurs tout au long du récit, comme pour mieux indiquer la permanence et l’excès de la foi dans son action.

Délaissé dès son plus jeune âge par une mère qui a tenté de le tuer et par un père plus avide de temps passé au bordel que d’éducation, Raoul Villain poursuit une existence marginale, rejeté par les femmes et raillé dans tous les milieux qu’il côtoie (les jésuites, l’armée). Ses premières expériences professionnelles sont des échecs. Il ne trouve de repos que dans son intérêt pour l’art, son nationalisme et surtout, sa dévotion, pleurant à chacun de ses passages devant la statue de Jeanne d’Arc.

En adhérant à la Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine, confisquée, à ses yeux, par l’Allemagne, Villain vit dans le rêve d’une revanche sur l’ennemi héréditaire. Ainsi, la première partie du récit plonge le lecteur dans la face cachée de la Belle époque, cette période d’une quinzaine d’années précédant le premier conflit mondial, dont on oublie parfois qu’elle ne fut pas seulement’une période de reprise économique et de progrès triomphant, mais aussi aussi un temps où les tensions sociales étaient vives, le nationalisme et le militarisme agressifs, le colonialisme en pleine expansion, l’anticléricalisme intolérant, et la République encore fragile. En témoignent les luttes autour de la Loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, que Villain exècre. Dès lors, on ne saurait oublier que l’assassinat de Jaurès, s’il annonce la précipitation de l’Europe et du monde dans la guerre, résulte aussi de tensions grandissantes issues de l’incapacité des dirigeants européens à freiner la marche vers la guerre.

Convaincu d’avoir reçu une mission similaire à celle de Jeanne d’Arc, sauver la France, Villain envisage d’abord d’assassiner l’Empereur Guillaume II avant de tuer Jean Jaurès, persuadé qu’il est un agent allemand, des paroles de paix ne pouvant sortir que de la bouche d’un traître. Il est arrêté et emprisonné durant cinq ans, jusqu’à son procès en 1919. Entre- temps, c’est avec une certaine ironie que les auteurs lient son acte à la quasi-destruction de sa ville natale, qu’il vit du fond de sa cellule : Reims est presque entièrement rasée par les Allemands. Peuplée en 1914 de 113 000 habitants, elle n’en compte plus que 10 000 en 1918.

À la faveur des années de prison qu’il a déjà effectuées et de l’opposition de Jaurès à la peine de mort (!), Villain est acquitté, à la surprise générale. Il poursuit dès lors une vie "oisive et oiseuse", se vantant dans les dîners mondains d’avoir assassiné Jaurès. Il finit ses jours à Ibiza, où, surnommé "le fou du port", il perd peu à peu pied avec la réalité. La seconde moitié du récit s’attarde sur la déchéance progressive d’un homme seul, énigmatique. Raoul Villain est assassiné dans de troubles circonstances liées à la guerre d’Espagne en 1936.

L’ouvrage de Casanave et Chef, réaliste et soucieux des détails biographiques, permet ainsi de se pencher de façon originale, à travers l’un de ses anti-héros, sur une période de l’Histoire dont il est bon de se rappeler les combats.

(par Damien Boone)

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