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Vincent Perez (2/2) : « ’La Forêt’ est un ovni au milieu des autres bandes dessinées »

Par Charles-Louis Detournay le 3 novembre 2010                      Lien  
Suite de la rencontre avec l'acteur-réalisateur et maintenant scénariste de bande dessinée. Après la réussite de son one-shot, il aborde une trilogie avec les mêmes personnages : références, traitement de l'humour et de l'intrigue, place du dessin et changements d'univers.

Après la réussite du one-shot de la Forêt, fallait-il se lancer dans une suite, et donc écrire véritablement un récit pour la bande dessinée, tout en respectant ses codes et sa pagination ? Ce sont les questions qu’il aborde avec nous, tout en dressant les influences qu’il voulaient placer dans ces trois autres albums, avant de penser au futur…

Le premier album était un one-shot. Vous auriez pu vous arrêter là, mais vous aviez encore des péripéties à évoquer pour donner une cohérence à l’ensemble ?

Vincent Perez (2/2) : « 'La Forêt' est un ovni au milieu des autres bandes dessinées »
L’idée d’une suite ne m’a pas attiré dans un premier temps. Mais comme Tiburce me l’avait annoncé : « Quand on commence, on a plus envie d’arrêter ! », et c’est vrai que l’écriture est très addictive. Finalement, lorsque je me suis retrouvé devant le clavier, l’attachement à mes personnages a pris le dessus ! J’ai eu l’impression qu’il frappait derrière une porte juste à côté de moi, et la tentation a été la plus forte : j’ai ouvert la porte pour voir ce qui se cachait derrière. Ils m’ont alors complètement submergé, m’entraînant avec eux à un tel point que j’ai parfois l’impression d’être moi-même un personnage : avant, je les tirais, maintenant, ce sont eux qui guident, ce qui est très agréable ! Je repartais sur une trame précédente que j’avais déjà écrite, mais je me lançais aussi avec plaisir dans les recherches qui font naître de nouvelles idées, comme pour le troisième tome pour lequel je me suis fort documenté sur l’Espagne des XVe et XVIe siècles. J’aime beaucoup le rapport particulier les espagnols peuvent avoir avec la mort, d’où le titre A vida y a muerte.

Après le premier tome, quel a été le moteur de la reprise ?

Merlin étant mort, la magie avait disparu. Mais par mes lectures, j’ai appris que Van Gogh peignait la nature comme s’il voyait leurs âmes. Il aimait beaucoup un conte d’Andersen, les Inséparables, dans lequel une mère part à la recherche de la Mort qui a emporté son enfant. Chemin faisant, elle se dépossède de tout ce qu’elle a (ses yeux, ses cheveux, etc.), en faisant don à des nécessiteux pour arriver dépouillée devant la Mort.

C’est d’ailleurs un des ressorts également de votre premier récit ?

Le tome 2, initiant la trilogie, avec ses vikings tonitruant.

Ah … Dans un certain sens, c’est vrai ! Comme quoi, on raconte toujours la même histoire ! (rires) Mais je voulais jouer également sur l’héritage de Titania, demi-sœur de Merlin et possédant donc cette part de magie. Mais éduquée sur un tout autre principe par la fée Morgane, cela ressort de manière plus exacerbée, ce qui relance le récit.

Si chacun de vos livres possède sa propre magie, on sent également qu’ils ont leur rythme propre.

J’ai l’impression d’écrire de mieux en mieux, tout en modifiant ma technique. Pour le premier tome, c’est un long scénario que nous avons élagué. Le second était un texte scénarisé, alors j’ai écris le troisième comme une nouvelle. Je sais que j’ai encore des progrès à faire, mais j’ai besoin de prendre plaisir à écrire. J’essaye de trouver un ton différent qui, je l’espère, inspirera au mieux Tiburce, et de m’impliquer de plus en plus dans ce que je fais, avec humilité.

Une fois de plus, un aspect burlesque apparaît dans vos scènes, comme ces vikings tonitruants lançant la trilogie dans le second tome !

La bande dessinée me fait découvrir des aspects cachés en moi et qui me surprennent, comme l’humour, ce qui est très agréable. Ainsi, le bain des vaches que l’on voit effectivement dans le second tome est inspiré des Celtes, qui découpaient un bœuf en morceaux et ajoutaient des légumes. Le roi ‘plongeait’ dedans lorsque tout avait mijoté, et distribuaient les morceaux selon le rang et les mérites de chacun. Toute cette recherche est passionnante, car on en apprend toujours plus, et on ne voudrait plus arrêter. Je me suis aussi beaucoup inspiré de Joseph Campbell, dont les livres évoquent les traditions, les héros et les légendes, et sur lequel s’est basé Georges Lucas pour Star Wars.

Tiburce n’est jamais loin !
Photo : © CL Detournay

La magie disparaît complètement dans le tome 3. Est-elle supplantée par la religion, très présente, ainsi qu’on l’évoque dans Excalibur ?

Je ne sais pas si j’ai consciemment amené la religion pour pallier ce manque, mais je désirais réellement faire disparaître la magie : d’abord avec la mort du diable, ainsi que la disparition de Merlin, Viviane et des autres créatures magiques. La magie revenait alors, mais située au cœur de Titiana. Ce n’est qu’à la fin du second tome qu’elle commence à exploiter ses possibilités, blessée par la mort de son enfant et le départ de son mari. La douleur la rend folle et la magie devient son ultime ressource de survie !

Le tome 3, sûrement le plus réussi de la trilogie, empli d’humour, de réflexions et de références !

Comme dans le premier tome, on retrouve quelques phrases plus métaphysiques en récitatifs, incitant à la réflexion…

Tiburce y tenait. Cela donne un peu de recul au récit tout en maintenant le contact avec le narrateur. Puis, cela rajoute un deuxième degré bienvenu, surtout que ces phrases sont d’ailleurs plus courtes dans le premier La Forêt.

Quelles sont les thématiques qui vous touchent lors de l’écriture ?

Je suis fort influencé par l’air du temps, et les questionnements contemporains. Même si mes récits sont imaginaires et placés dans un contexte féérique, on n’y retrouve l’importance et les conflits entre religions. J’ai donc positionné mes personnages au milieu de ces questions, tout en donnant l’amitié comme valeur universelle, et le reste en découle assez logiquement.

Le chevalier vert traverse quand même une réelle quête spirituelle ?

En abordant toutes les grandes interrogations humaines, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de la source de la vie sur Terre ou de la présence de Dieu, ces abstractions sont le reflet de mes propres questionnement. Mais j’ai voulu donner un point de départ assez simple, à savoir le chevalier qui vole en l’air, et croit tomber dans la nuit infinie. Il se retrouve à se poser des questions, somme-toute très naturelles, mais qui lui font percevoir la vie autrement, se rapprochant plus du bouddhisme. Et c’est pour cela qu’il m’a plu de rapprocher le musulman, ce moine catholique ayant assisté à trois miracles, et ce nouveau bouddhiste, lors d’une soirée d’échange et de palabres près du feu. Ce que j’apprécie, c’est ce que ses trois hommes sont exactement dans la même situation, encerclés par des ennemis, et qu’il s’agirait donc de leur dernière discussion avant la mort.

Par après, le chevalier vert continue son chemin, devenant un nouveau Don Quichotte avec le moine en Sancho Panza !

Rien que le titre du tome 3 « A vida y a muerte ! » symbolise toute la culture hispanique. Je me suis donc amusé avec les codes du genre, surtout que je suis fan de Cervantès ! J’ai donc réalisé un clin d’œil en imaginant mes personnages inspirant Cervantès pour ses propres héros.

Vincent Perez aux côtés de Tiburce Oger, présentant la couverture du tome 2, Le logis des âmes
Photo : © CL Detournay

Autre référence, cette trilogie est pleine de références à l’univers d’Astérix, que vous aimez tant : les normands qui débarquent dans le village, le ciel qui tombe sur la tête, le voyage en Hispanie…

Effectivement, plus que tout autre, Astérix est l’univers qui m’a le plus plu dans la bande dessinée, mélangeant l’humour dans des situations dépeintes parfois avec beaucoup de mordant. Pourtant, je dois avouer que ces liens entre la Forêt et Astérix sont totalement inconscients, mais je ne m’en étonne pas. Par contre, l’allusion à Lucky Luke dans la dernière case du quatrième tome est pleinement assumée ! (rires)

Le retour dans le royaume de Titiana dans ce dernier tome n’est pourtant pas toujours aussi joyeux…

Comme nous le disions, Titiana est aveuglée par la douleur provoquée par la mort de ses proches, ce qui explique le titre La veuve noire. En tant que fille du Diable, elle se rend alors compte de la portée de ses pouvoirs, et décide de se venger sur les hommes. Après les contrées hispaniques, on revient donc dans un monde de magie où la société est en pleine débâcle, tous les sujets ayants été transformés en hybrides avec des animaux divers. Tiburce peut donc s’en donner à cœur joie avec des compositions de personnages fascinants.

Si on prend un peu de recul, on se rend compte que vos personnages vivent des moments très rudes, ce qui les entraîne dans des actes parfois insensés. Est-on encore dans les contes que vous racontez à vos enfants ?

Oui, car les contes peuvent être très violents, et je pense que par ces histoires, ils nous préparent l’âpreté de la vie. On se projette donc à vivre de belles choses, mais aussi des moments plus difficiles et donc à se surpasser.

Vous expliquiez que l’écriture et l’humour que vous placez dans vos scénarios vous avait libéré...

Écrire La Forêt m’a permis de prendre confiance en moi pour l’écriture destinée au cinéma : je me sens plus à l’aise dans la façon dont je raconte une histoire, et dans la structure générale. À tel point que mon prochain film (qui sera néanmoins déjà le troisième), est le premier qui m’ouvre tous les portes pour sa réalisation complète, ce qui est une grande victoire, mais aussi une fierté pour mon écriture. Comme la bande dessinée a peu de contraintes, mise-à-part la pagination, cela a libéré mon imaginaire, me permettant de me poser pour l’aspect cinématographique.

Vous avez d’ailleurs placé pas mal de planches sans bulles, en particulier dans le dernier tome. Une envie de laisser la place au dessin ?

Le tome 4, concluant la trilogie, avec le retour de la magie...

Comme disait Tiburce, il ne faut pas être redondant entre les textes et le dessin. Je désire que les personnages parlent pour apporter une donnée nécessaire, et pas pour meubler. Ce quatrième tome est plus graphique car les éléments apportés jusqu’au retour de Titania se font de manière progressive. Les personnages vivant les mêmes émotions de surprise et de peur que le lecteur, il était inutile d’en rajouter.

Vous disiez que l’écriture de bande dessinée était addictive. Allez-vous lancer le cinquième tome de la Forêt ?

Pour ma part, j’ai vraiment fini avec Titiana et son univers. J’ai d’autres idées de contes, alors pourquoi pas en faire des scénarios, car je pense que Tiburce est plutôt demandeur. On peut garder le nom général de la série, mais cela n’aura rien à voir avec les tomes précédents. Tiburce a ainsi flashé sur une très ancienne de mes histoires, mais je dois me remettre dedans, ce qui n’est pas plus évident. D’un autre côté, j’ai un autre récit en tête, qui n’est pas dans l’univers de Tiburce, car il traite de vampires. Le seul souci, c’est que j’hésite encore à l’adapter en bande dessinée ou au cinéma. Il faut que le temps et le courage de développer tout ce que j’ai déjà écrit. J’aimerais aussi faire une bande dessinée de science-fiction, qui permettrait d’approcher le symbolisme et les paraboles. À suivre…

Vous allez bien entendu continuer d’écrire pour le cinéma, avec ce troisième film dans lequel vous vous impliquez beaucoup. Mais allez-vous réellement continuer dans la bande dessinée ?

Quand on est en création, cela me fait du bien, je peux me canaliser sur un texte et je suis donc plus à même de travailler. J’essaye d’avancer en restant dans ma vérité. J’écris de la bande dessinée car j’y trouve mon compte en découvrant des choses en moi que je ne soupçonnais peut-être pas. Je désire rester honnête avec moi-même et le lecteur. Tant que le plaisir sera là, je continuerais.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire notre chronique du premier tome de la Forêt et notre article Un regard neuf sur le Moyen-âge

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Toutes les photos, y compris le médaillon, sont © CL Detournay.

 
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