Barry Windsor-Smith a toujours fait savoir qu’il n’était pas à l’aise avec la logique de production intense de l’industrie des comics. À un moment de sa carrière, il a même choisi de ne plus se plier aux besoins du marché, les sorties régulières, pour travailler chaque projet comme si c’était le dernier. L’auteur travaillait sur celui-ci depuis la fin des années 1990, une histoire qui lui trottait dans la tête depuis 1984. Là on peut dire qu’il a vraiment pris son temps.
Monsters est au départ un projet qui tourne autour de Hulk, le personnage balèze et rageur de l’éditeur Marvel Comics. Idée retoquée par l’éditorial mais que l’opiniâtre artiste avait décidé de poursuivre, revisitée, sous un autre nom, une habitude chez lui. On se rappelle ses projets avortés sur les personnages de la Chose, héros des Fantastic Four de Marvel, ou de son histoire avec Superman pour DC Comics. Des sujets refusés qu’il pourrait bien retravailler pour les achever un jour, comme ici.
On nous annonce que Monsters "explore la vie de deux familles américaines différentes, mortellement liées par un projet nazi abandonné qui concerne les recherches sur le génie génétique. Expériences qui ont été secrètement reprises par le gouvernement américain..."
Le projet semblait à l’arrêt, mais fin 2019, l’artiste en avait annoncé sa publication prochaine, preuve qu’il n’avait pas lâché prise malgré les bruits qui couraient.
Barry Windsor-Smith est une curiosité dans le milieu de la BD américaine. Déjà il est anglais, et, malgré le fait qu’il ait vécu aux États-Unis pendant des années, il a continué à vivre et à travailler pendant longtemps, selon le fuseau horaire de Londres. Original.
Moins poétique en revanche et cause de grosses frustrations, possibles raisons de sa longue absence sous les projecteurs et les rayonnages des libraires : au fil du temps le versatile créateur a développé une véritable allergie au type de contrat de travail imposé, le plus souvent, par les grandes maisons d’éditions américaines. Le fameux contrat "work for hire ", qui prive les créateurs de droits, au profit exclusif des éditeurs.
Pour lui, ces méthodes sont : "un outil légal mais immoral, destiné à voler les jeunes talents de toutes les prérogatives possibles qu’ils devraient autrement posséder s’ils travaillaient pour des éditeurs plus scrupuleux et moralement acceptables “.
Pourtant, en dépit de cette amertume de plus en plus pesante sur le monde de la BD, ses conceptions artistiques et sa philosophie font qu’il a toujours défendu une acceptation entre les domaines créatifs sans hiérarchie artificielle : “Je perçois peu de différences entre ce qu’on appelle les beaux-arts et ce qui est considéré d’une autre manière, et, en effet, avec le plafond de la Chapelle Sixtine. Je suggère de noter les liens étroits entre les personnages et les couleurs de Michel-Ange et celles des meilleures bandes dessinées de super-héros, par exemple celles de Jack Kirby”.
Kirby est une de ses premières idoles et sa plus grosse influence graphique, au début, car il a vite évolué pour trouver un style très caractéristique et puissant. Mais il faut garder à l’esprit que, malgré ces envolées conciliantes, le dessinateur anglais a toujours eu la dent dure avec la BD américaine et son milieu.
D’ailleurs il a cessé de travailler dans le monde de la bande dessinée dès la fin des années 1990, après l’interruption de sa série anthologique “Storyteller” chez l’éditeur Dark Horse Comics, un projet où les droits de créations appartenaient aux auteurs, magazine dans lequel il pouvait publier ce qu’il voulait. Une rupture qui l’a laissé abasourdi, avec à la clé de grosses difficultés financières.
Depuis, à part quelques rares récits courts et quelques couvertures, Barry Windsor Smith s’était montré assez discret. Il travaillait sur son projet Monsters qui, au fur et à mesure, prenait de l’ampleur. Mais nous y voilà : après quelques heurts avec Marvel, DC Comics et même Dark Horse, qui tous devaient publier le livre à un moment donné, c’est finalement l’éditeur Fantagraphics qui va proposer l’ouvrage.
Un auteur majeur tel que Barry Windsor Smith, qui sort d’un long silence, pour proposer une nouvelle œuvre de cette envergure, qui la mature depuis 35 ans, dans un noir et blanc où il excelle, c’est toujours un moment qui compte.
Voir en ligne : Ici, sur le site de l’auteur, on peut admirer quelques cases de Monsters
(par Pascal AGGABI)
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