Nishi Keiko était encore adolescente lorsque ses premières œuvres, envoyées à la Takemiya Keiko Manga School du magazine JUNE, sont publiées. C’était en 1986. Deux ans plus tard elle faisait ses débuts chez Shôgakukan à qui elle reste fidèle jusqu’à récemment [1].
Publiée principalement dans le magazine Flowers (aux côtés de 7 Seeds et de Kamakura Diary), spécialisée en Josei manga, c’est-à-dire dans une publication destinée aux femmes adultes, l’œuvre de Nishi Keiko apparaît variée et dense, avec deux titres majeurs : Stay et Otoko no issho.
En 2013 Panini Manga s’était essayé à la publication d’une œuvre de Nishi Keiko, Ane no Kekkon, mais au bout du troisième tome, sur huit, l’éditeur avait jeté l’éponge. C’est donc Akata qui remet le couvert, avec cette fois-ci un récit complet : Kame no Naku Koe dans son titre original, littéralement : « La voix qui pleure de la tortue », a été prépublié en 2008 dans le magazine Flowers.
D’un côté un jeune fonctionnaire de province qui s’arrête tous les soirs dans un bar. Il y passe son temps à vérifier le contenu d’une grande enveloppe dont il ne semble ne pas savoir qu’en faire. De l’autre une lycéenne d’une beauté exceptionnelle qui vient fumer tous les soirs dans ce même bar comme si elle attendait quelque chose...
À force de s’observer de loin, le jeune fonctionnaire qui a découvert que la jeune femme était lycéenne décide de l’aborder pour lui demander d’arrêter de fumer. Piquée au vif, elle lui demande de lui révéler le contenu de cette enveloppe qu’il porte constamment avec lui.
Bon gré, mal gré, elle découvre qu’il s’agit de planches d’un shôjo manga, c’est-à-dire un manga destiné aux adolescentes ! Émue et enthousiasmée par la lecture de l’histoire, et comprenant que le jeune homme n’osera jamais franchir le pas, elle décide de prendre les choses en main. Les voilà partis pour Tokyo afin de présenter ces planches à un éditeur !
Le point fort de cette aventure repose sur ces deux personnages que tout oppose mais qui ont en commun d’être en décalage avec l’image qu’ils véhiculent. Drôles et piquants, les dialogues et le caractère improbable de certaines situations se révèlent tour à tour hilarants et touchants.
Le récit extrêmement rythmé propose une dizaine de personnages d’importance diverses mais qui seront tous changé suite à ces drôles de quelques jours. Idée intéressante : en plus de notre duo et de leur escapade à Tokyo, le lecteur suit en parallèle la famille très dysfonctionnelle de l’héroïne. Quatre mini-histoires (le père, la mère, le frère et le grand-père) presque sans dialogue, dans une atmosphère lancinante et désenchantée, qui en disent long sur cette famille finalement très ordinaire.
Sur une idée simple exploitée dans un joli et élégant graphisme typé années 1990, Nishi Keiko déploie une malicieuse histoire autour des espoirs et des regrets, avec le tour de force de créer une étonnante galerie de personnages, vivante et attachante, que l’on regrette déjà de quitter une fois la dernière page arrivée. Vivement recommandé !
(par Guillaume Boutet)
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