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Walthéry : « Natacha est née chez Peyo ! »

Par Nicolas Anspach le 24 juillet 2007                      Lien  
A l’occasion de la sortie du premier tome de l’intégrale des aventures de {Natacha} aux éditions Dupuis, {{François Walthéry}}, se souvient de la genèse de cette série et des scénaristes qui ont scellé la destinée de la première héroïne moderne et sexuée du journal de {Spirou}…

Quel a été l’implication de Gos dans la naissance de Natacha ?

Énorme ! A l’époque, nous étions tous les deux assistants de Peyo. Il partait régulièrement en voyage sans nous laisser trop de travail. J’habitais près de Liège et j’étais obligé de rester à Bruxelles pendant la semaine. Gos et moi-même profitions de ces moments plus calmes pour discuter ensemble. Il avait créé des personnages pour un projet de série : un tigre qui se prénommait Boubou, qui était accompagné d’une jeune femme. Il avait inventé quelques histoires pour le mettre en scène. Nous avions tous les deux amenés des planches de nos travaux personnels respectifs à la rédaction de Spirou. Yvan Delporte a incité Roland (Gos) à réaliser une histoire mettant en scène une héroïne. Mais il n’aimait pas dessiner les femmes. Gos préférait l’humoristique. Pour ma part, j’appréciais de dessiner mes amies. Nous avons donc discuté de l’histoire pendant des mois. Les premières planches du premier album, Hôtesse de l’Air, ont été réalisées en 1967. La prépublication de cette aventure de Natacha a commencé en février 1970 dans le magazine Spirou.

Walthéry : « Natacha est née chez Peyo ! »
Natacha, le premier tome de l’intégrale.

La série a connu de nombreux scénaristes…

C’est un concours de circonstance, même si ces changements ont été inconsciemment voulus. La naissance de Natacha a plus ou moins coïncidé avec celle du Scrameustache. Après le deuxième album, Gos a préféré arrêter de scénariser Natacha. Il tenait tellement à sa série, qu’il n’avait plus le temps d’en écrire pour d’autres. J’ai confié mon personnage à des amis, et Gos continuait à lire le scénario. Ces différents scénaristes ont tous apporté une couleur particulière à la série.

Qu’ont-ils apporté à Natacha ?

Marc Wasterlain, par exemple, a amené, sans le faire exprès, le Commandant Turbo, l’un des personnages principaux de la série. Le caractère de Walter s’est affirmé à cette époque là. Chacun des scénaristes a apporté un renouveau à la série. J’étais le garant de l’unité et je veillais à ce que ces auteurs restent dans l’esprit de la série.

Vous accordez également votre confiance à des scénaristes débutants …

Oui. C’est le cas par exemple pour Atoll 66, l’album qui sortira à la fin de l’année. Guy D’Artet n’est pas ce que j’appellerai un scénariste débutant. Mais plutôt un « amateur », dans le bon sens du mot. Il y a une dizaine d’année, il m’a proposé un scénario. Il s’agissait d’une belle histoire exotique, contenant tous les ingrédients pour faire un bon Natacha. Bruno Di Sano, avec lequel je travaillais déjà sur une série pour les éditions Joker, Johanna souhaitait dessiner un Natacha avec moi. Guy D’Artet n’arrivait pas à terminer l’histoire, et nous avons discuté tous les trois pour trouver une bonne fin.

Ce sont les coups de cœur qui vous font avancer ?

Oui. Je suis déjà impatient de dessiner le vingt-et-unième album. Il se déroulera au Caire. Thierry Martens [1] et Mythic m’avaient écrit cette histoire. Encore un récit qui traîne dans mes cartons depuis des années ! Je me suis documenté pour illustrer cette ville, qui compte dix-sept millions de personnes.

Vous ne souffrez pas de laisser ces bonnes idées dans un carton pendant de nombreuses années ?

Oui. Dès que je débute un album, j’ai hâte de le terminer pour en commencer un autre. Malheureusement, une bande dessinée demande un an de travail en moyenne… Et je suis un peu plus lent que d’autres !

Maurice Tillieux est sans doute le scénariste qui a laissé la plus belle empreinte dans la série Natacha

J’ai surtout eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Ce n’était pas n’importe qui ! Derrière son apparence très sérieuse, se cachait un pince-sans-rire, un blagueur à froid. Il avait une très grande classe, et beaucoup de culture. En fait, il avait la même classe que Sirius (Timour). Maurice avait pour principe de ne jamais décourager un jeune auteur. Il était loin d’être prétentieux !
René Goscinny disait toujours qu’il aurait aimé écrire La voiture immergée. C’était plutôt un beau compliment. Tillieux écrivait des nouvelles, qu’il transformait en bandes dessinées. Je suis certain qu’il aurait pu écrire des romans [2]. C’était un laborieux du dessin, comme Peyo d’ailleurs. Un « pénible du dessin » ! C’était son expression (Rires).
Il appartenait à une classe d’auteur qui a, aujourd’hui, pratiquement disparu.

La couverture du prochain album
(c) Walthéry & Marsu Productions.

Vous avez toujours aimé mettre en scène vos amis auteurs dans vos bandes dessinées …

En effet. J’ai même axé toute une histoire, Natacha et les Petits Mickeys sur ce thème. A l’époque, le quotidien La Libre Belgique avait écrit que c’était plus une BD de potache qu’une vraie bande dessinée. Je m’étais moqué de tous les auteurs du journal de Spirou ! Y compris de moi, d’ailleurs (Rires).
L’idée de cette histoire est née grâce à Charles Dupuis. Nous avions l’opportunité de faire une tournée de dédicaces à New-York. Charles Dupuis était inquiet à l’idée que la majorité de ses dessinateurs embarquent dans le même avion. Je l’entends encore dire : « Tous ces dessinateurs dans le même vol, ce n’est pas prudent. Ne pourraient-ils pas aller dans deux avions différents… Si l’un deux crashe ! ». On en a tellement rigolé, Mitteï et moi-même, que nous avons eu envie d’écrire une histoire sur ce sujet.

Parlons d’un de vos vieux amis, Victor Hubinon…

J’aimais beaucoup sa manière d’être. Un homme gentil et blagueur. Lorsqu’il travaillait, il ne comptait pas ses pages. Il devait facilement en faire six ou sept par semaine. Il traversait parfois des périodes difficiles, où il buvait beaucoup. Il allait jouer au bridge dans un café liégeois, Le Pauvre Job. Lorsqu’il ne tenait plus sur ses jambes, il m’appelait pour que je l’aide à retourner chez lui. Je restais alors deux ou trois jours dans les parages. On parlait de notre travail, et il m’a conseillé de travailler mes planches en damier. Une case où le décor est travaillé, une autre sans aucun décor.

Qu’en est-il de votre arlésienne, le deuxième tome du « Vieux Bleu » ?

J’en suis à la moitié. Je vais le continuer avant d’entamer un nouveau Natacha ! … Et je compte bien le finir !

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Walthéry, sur actuabd.com, c’est aussi les chroniques du premier tome de l’intégrale et de du T19 : La Mer des Rochers


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Les images sont (c) Walthéry & Dupuis.
La photo en médaillon est (c) Nicolas Anspach

[1Cet ancien rédacteur en chef de Spirou est devenu le Monsieur Archive des éditions Dupuis. Il a pris sa retraite le 30 janvier 2007.

[2Il en a écrit deux, en fait. NDLR.

 
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