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Will Argunas : " Les USA sont vraiment un pays de démesure "

Par Laurent Boileau le 28 avril 2010                      Lien  
Septième album pour Will Argunas et troisième titre publié dans la collection KSTR dirigée par Didier Borg. Une fois de plus, l'auteur plante son histoire dans l'Amérique qu'il affectionne particulièrement. Ce pays où ses personnages prennent vie ou la perdent n'en finit pas d'inspirer ces univers sombres et violents qui caractérisent aujourd'hui son œuvre.

Quel est votre rapport avec l’Amérique ?

Will Argunas : Depuis tout petit, je suis attiré par les USA. J’ai eu la chance d’y aller deux fois quand j’étais au lycée : en première et en terminale. À chaque fois en immersion complète pendant un mois où je n’ai pas parlé du tout un mot de français. Ça m’a fait un peu un choc parce que ce n’était pas tout à fait l’image que j’en avais. Mais je suis toujours autant attiré par les USA.

Un polar ou un roman noir se situent forcément aux USA pour vous ?

W.A : Non pas forcément… Je pense juste que les USA permettent de dessiner un panel plus large de personnages. C’est un pays extrême au niveau des paysages, des gens qui y vivent, des ethnies et des langues parlées. Donc, on peut se permettre plus de choses et ça parle peut-être plus aux gens aussi. Mais au départ, c’est vraiment une envie qui m’est propre et que je n’explique pas forcément.

D’où vient cette passion pour le polar et le roman noir ?

W.A. : Curieusement, j’ai lu beaucoup de fantastique entre 18 et 23 ans. J’ai lu par exemple la collection Pocket terreur, beaucoup Lovecraft, Allan Poe, Anne Rice, Stefen King… Et puis, il y a eu un moment où je suis entré plein pot dans « la vie réelle »… Je me suis retrouvé caissier et épicier pendant cinq ans. Du coup, il y a eu un grand retour à la réalité et à la vie difficile de tous les jours parce que j’étais dans un tout petit appartement sur Paris et j’avais un peu de mal à m’en sortir. À ce moment, je me suis mis à lire du polar par le biais d’amis qui me conseillaient des livres. Et j’ai pris beaucoup plus de plaisir à lire des polars que des livres fantastiques qui, du coup, ne me faisaient plus rêver, ni fantasmer. Peut-être aussi que c’était moi qui avais changé, j’avais mûri et vieilli. Depuis dix, quinze ans, je ne lis plus que du polar ou du roman noir et donc bêtement maintenant, j’en fais en bande dessinée parce que c’est un univers qui me plait !

Will Argunas : " Les USA sont vraiment un pays de démesure "
Extrait de "Bloody september"
© Argunas/Kstr

Est-ce facile d’être original dans un univers aussi référencé ?

W.A. : J’essaye d’intégrer des événements réels pour ne pas être dans le polar-polar mais un peu plus dans le roman noir. J’ai lu beaucoup d’enquêtes policières avec des héros récurrents écrites par Lawrence Block, Henning Mankell, Michael Connelly, Denis Lehane… Et ça commence un peu à me « saouler » parce que même s’ils écrivent très bien et qu’ils sont originaux, le processus de l’enquête policière, je l’ai maintenant assimilé. Je prends plus de plaisir avec des romans noirs comme du Brady Udall ou du Iain Levison. Ce n’est pas une enquête avec un détective, même si ça reste un peu polar. J’ai envie de mettre un peu plus de réel maintenant, c’est comme une transition avec mon travail à venir.

Finalement, n’est-ce pas plus la psychologie des personnages que la dramaturgie de l’intrigue qui vous intéresse ?

W.A. : Oui, ce qui m’importe le plus, c’est qu’on croit à mes personnages, c’est d’être au plus près d’eux. C’est vrai que roman graphique le permet beaucoup plus que la narration classique en 46 pages. Je n’ai jamais pris autant de plaisir à travailler sur mes albums que maintenant qu’ils sont à forte pagination. Je trouve qu’on est plus proches des personnages, on a plus d’empathie pour eux, on y croit plus. Je tiens énormément à mes personnages. Il y a une part de moi en chacun d’eux qu’ils soient hommes ou femmes, tueurs psychopathes ou femme de flic. C’est ce qui m’importe le plus, plus que l’histoire finalement. Même s’il faut qu’elle soit bonne et qu’il y ait du suspens pour que le lecteur ait envie d’avancer.

Dans Bloody September, la thématique, le traitement et l’image sont plus "trash" que dans les albums précédents. Pourquoi ?

W.A. : Depuis 2 ou 3 ans, je vais voir plus de films d’horreur réalistes : ça va des films de Rob Zombie à Saw. En même temps, j’avais commencé à travailler sur un autre projet qui n’avait rien à voir avec Bloody September. Quand j’en ai parlé à Didier Borg, mon éditeur, il a refusé tout en bloc parce qu’il disait qu’il ne voyait pas ce qu’il y avait de Will Argunas dedans. Je l’ai un peu mal pris et du coup j’ai inventé un personnage, une sorte de tueur vraiment horrible. Ayant déjà traité de la pédophilie, j’ai abordé la nécrophilie. C’était plus ragoûtant ! C’est comme ça qu’est venu petit à petit le thème de la sexualité de l’actrice porno et du flic qui n’en a pas parce qu’il a une femme paraplégique… Donc l’album a tourné autour de la sexualité et surtout de l’identité, c’est-à-dire ce qui fait qu’on est un homme ou une femme. Qu’est-ce qui se passe pour des gens qui ont des problèmes avec leur sexualité ? Et par-dessus ça, ce qui n’était pas du tout prévu au départ, il y a le 11 septembre qui s’est rajouté. Après avoir dessiné l’horizontalité de Los Angeles, j’avais envie de changer et je suis passé à la verticalité de New York !

Vos précédents flics étaient très différents du personnage de Francis, développé dans Bloddy September

Jake (dans Black Jake) ou Franck (dans Missing) étaient des flics très "borderline". Cette fois-ci, comme j’avais un tueur vraiment sombre, je voulais un type beaucoup plus intègre, même s’il a des problèmes de couple comme tout le monde peut en avoir. Je voulais aussi qu’à la fin, le tueur ne soit pas pris et que le flic ne meure pas pour changer de Black Jake et Missing où les couples tueur-flic mourraient, certes dans des circonstances différentes.

C’est la première fois que vous réalisez vos couleurs ?

W.A. : En BD, oui. Mais cela fait dix ans que, en pub, je vis de la couleur ! Mon plaisir était donc, en BD, de me consacrer au scénario et au dessin. Sur Missing et Black Jake, la mise en couleur était réalisée par un studio chinois. Cela demandait des "briefs" et des "débriefs", tout cela était fastidieux à la longue. Comme j’ai un style graphique qui n’est pas vraiment de la ligne claire, il y a des fois où le coloriste ne comprenait pas bien les dessins en arrière plan. Pour Bloody September, je voulais un travail très pointu sur New York. J’avais toutes les docs sur mon bureau et sur mon ordinateur, donc c’était plus simple que je le fasse moi-même !

Pourquoi finir les albums par ces cahiers d’informations ?

W.A : Je réalise un important travail de recherche de documentations et d’imprégnation. Comme la pagination est libre chez Kstr, je me suis dit que c’était dommage de ne pas en profiter et de ne pas faire partager aux lecteurs tout ce que j’ai découvert. Les USA sont un pays vraiment de démesure, dont on ne se rend pas forcément compte en France. Ça me plait bien de travailler sur un album et de me dire que j’ai ce bonus à la fin où je pourrais faire ce que je veux et donc exploiter au maximum tout ce que j’ai appris.

Dans ces "bonus", il y a un certes un certain nombre d’informations mais n’y a-t-il pas aussi une volonté de dénonciation ?

W.A : Oui c’est vrai, depuis Black Jake, il y a un petit côté "engagé". J’ai trouvé le problème de l’émigration clandestine mexicaine passionnant et j’avais envie de le caser dans les bonus. Dans Bloody September, je voulais parler de l’envers du décor de l’univers du porno, et puis aussi du 11 septembre. Ces bonus me permettent de m’exposer peut-être un peu plus mais sans pour autant donner de point de vue, cela reste toujours neutre.

Quand je réalise mes albums, je suis toujours révolté parce que je fais ça entre mes boulots de pub et je suis un peu dans un état de tension. Je pense que ça se sent dans l’histoire et que ça m’aide à être dedans. La BD, c’est d’abord la forme : la couleur, ça plait ou ça ne plait pas, la mise en scène, les cadrages… Mais derrière, il y a des thèmes que j’aborde d’album en album et que je peux approfondir dans les bonus.

Propos recueillis par Laurent Boileau

(par Laurent Boileau)

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Photo © L. Boileau

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