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Will Simpson ("Judge Dredd", "Game of Thrones") : « Le dessin est un acte de foi »

Par Thomas Berthelon le 18 mars 2015                      Lien  
Le storyboardeur de la série "Game of Thrones" a débuté dans les comics (Judge Dredd, Hellblazer, Batman, Aliens...) avant de mettre ses crayons au service d'Hollywood. Entretien avec un passionné.

Artiste irlandais résidant à Belfast, Will Simpson a débuté dans les comics dans le magazine britannique Warrior sur la série Transformers, puis sur Judge Dredd pour 2000 AD. Il travaille ensuite pour DC Comics (The Punisher, Indiana Jones, Batman, Aliens, Hellblazer), avant de produire des concept arts puis des storyboards pour le cinéma (Le Règne du feu). Aujourd’hui, il est le storyboardeur de la série Game of Thrones, produite par HBO d’après l’œuvre de George R. R. Martin.

Nous l’avons rencontré lors de sa venue au dernier Toulouse Game Show. Les propos de Will Simpson ont été traduits par Miceal Beausang-O’Griafa, qui est également intervenu dans nos échanges. L’entretien a dû être écourté en raison de l’emploi du temps chargé de l’artiste.

Will Simpson ("Judge Dredd", "Game of Thrones") : « Le dessin est un acte de foi »
Couverture du comics "Transformers".

Quel a été votre parcours artistique à vos débuts ?

Will Simpson : C’est très simple, j’ai fait mes débuts dans la BD quand j’étais enfant, quand je m’entraînais à adapter sous forme de BD mes histoires de science-fiction préférées, notamment les nouvelles de Ray Bradbury, et c’était passionnant parce que je dessinais par exemple cinq planches, et je remarquais les progrès que je faisais entre la planche 1 et la planche 5. Bon évidement, après, je déchirais le tout et je recommençais une autre version, mais cela a été en tout cas ma toute première école.

Mon démarrage dans le métier des comics, c’est lorsque j’ai dessiné trois numéros pour le fanzine Cúchulainn, qui est le chien de l’Ulster, le héros national irlandais. Cela a été ma première publication mais, en même temps, ma découverte de ce que pouvait être un conflit avec un soi-disant éditeur. En effet, je voulais récupérer mes planches, et il faut savoir qu’on payait tous une cotisation pour que le fanzine puisse être édité. Là, on me dit : « Non, tes planches appartiennent au fanzine ! » Diplomate comme je suis, j’ai immédiatement décroché mes planches du mur, en ajoutant des phrases relativement colorées, et je suis parti là-dessus.

Une illustration de Judge Dredd.

Concernant mes études, j’ai suivi une première année dans une école équivalente aux Beaux-Arts en France. Très rapidement, je me suis aperçu qu’on essayait de me formater. Je suis parti et je me suis mis à peindre des tableaux de paysages et de portraits, puis j’ai dessiné mes premières planches de BD. J’ai oublié de préciser que les trois planches dont je parlais tout à l’heure avaient fait l’objet d’une critique parue en Angleterre, qui m’a fait repérer par British Marvel, soulignant qu’il y avait de très beaux dessins d’artistes, notamment dans le travail d’un certain Will Simpson. Ma carrière a vraiment démarré ainsi.

Vous passez ensuite chez Warrior, et puis il y a cet entretien d’embauche assez particulier chez 2000 AD…

Il y a eu un moment dans ma carrière où je me suis dit : « Ça y est, je suis arrivé dans le comics », puisque je dessinais Transformers pour British Marvel. Au début, j’adorais le boulot, je le trouvais intéressant. Seulement, au bout d’un moment, c’est devenu beaucoup plus restrictif, on a eu des directives américaines (encore du formatage, comme à l’école d’art !). Personnellement, j’étais intéressé par l’interaction entre les personnages humains et les Transformers, mais ils ont décidé de virer les humains pour ne garder que les robots. Il n’y avait donc rien de plus douloureux pour moi que de dessiner ces boîtes de conserve. Excusez-moi car je sais qu’ils sont très populaires, mais quand vous ne faites que ça, qu’il n’y a pas d’humanité dedans, et que vous devez reproduire les mêmes formes tout le temps, c’était vraiment terrible pour moi.

Le grand moment de la prise de conscience est arrivé lorsque j’ai du dessiner une histoire en 10 planches : j’ai créé les cinq premières en une journée, mon encreur les encrait la nuit même, puis je dessinais les cinq autres planches le lendemain, qui étaient encrées durant la nuit. Le troisième jour, l’histoire était prête et livrée à British Marvel. Je pensais que c’était la fin de ma carrière mais, contre toute attente, ils ont adoré. Je me suis dit que j’allais droit dans un mur, si je ne sortais pas de là, je n’allais jamais pouvoir progresser.

Une planche du comics "Rogue Trooper"

J’ai donc pris mon courage à deux mains, j’ai pris du temps que je n’avais pas et j’ai dessiné une page de Judge Dredd, avec Dredd, Judge Anderson, Mean Machine, et un beau décor de gratte-ciel. Puis j’ai appelé Steve MacManus de 2000 AD, qui éditait entre autre Judge Dredd, et je demande un rendez-vous. Il me répond : « Hey, mais tu es le mec des Transformers ! » (rires) et c’était clairement très péjoratif, et je dois reconnaître que je ressentais exactement la même chose ! Il a finalement consenti à me recevoir mais seulement cinq minutes. J’ai donc traversé toute la ville avec tous mes travaux professionnels sous le bras.

Dans son bureau, MacManus me répète : « Tu n‘as que cinq minutes ! ». Il me recevait certainement uniquement par courtoisie professionnelle, car je dessinais des comics. Je montre ma pile de Transformers, avec au-dessus, l’illustration sur Judge Dredd. Il repousse la pile de Transformers mais garde le dessin de Dredd et me répond : « Sur la base de cette seule image, je t’embauche ! » C’est ainsi que j’ai débuté chez 2000 AD, et cela n’a été que du bonheur ensuite, car il s’agissait du meilleur de la SF et du comics anglais de l’époque, les plus grands talents y étaient réunis. On m’a confié Universal Soldier, puis un run assez long sur Judge Dredd, j’ai travaillé de manière régulière sur ce titre, puis ce fut Rogue Trooper (avec Dave Gibbons NDLR), Tyranny Rex, et d’autres…

Une partie de l’exposition consacrée à Will Simpson, au Toulouse Game Show 2014.
Un "concept art" pour la série "Game of Thrones"

Auriez-vous des conseils à donner à des jeunes voulant débuter dans le concept art, le storyboard ou les comics ?

En fait, il ne faut jamais se fixer sur des objectifs secondaires, j’ai connu des moments où j’ai gagné correctement ma vie, d’autres non. Parfois, c’était désespérant, affreux. Mais il y avait bien une chose qui me soutenait : prendre un crayon et dessiner, créer des univers, inventer des histoires, et c’est ça le but ultime ! Nous faisons ce métier par passion. Si vous avez vraiment un minimum de talent et de désir de dessiner, c’est ce que vous devez faire, de toute façon, vous n’aurez pas le choix. Votre habilité artistique est intrinsèquement liée à ce que vous voulez faire dans la vie, donc il ne faut pas en dévier.

Beaucoup de gens vivent avec cet objectif de gagner de l’argent. Vous avez le cas de la pub : c’est vrai que vous allez travailler comme des fous pour produire, produire, vous allez certainement bien gagner votre vie, et encore, cela reste relativement précaire, mais est-ce que vous allez y trouver votre âme ? En tout cas, pas moi. Il y a aussi les Beaux-Arts, où vous serez plus en contact avec votre pensée, pour conceptualiser puis mettre en forme. Énormément de voies s’offrent à vous. Personnellement, je fais beaucoup de choses, il s’agit de différentes activités artistiques, des moyens d’expression différents. Quand je dessine, quand j’écris, quand je réalise, que ce soit du film, sur du papier ou autres, c’est la même chose qui guide chacun de mes gestes. Il y a aussi cette croyance que si vous travaillez vraiment, tôt ou tard, il y aura une sorte de convergence, un hasard, qui récompensera votre production, et on vous paiera pour cela. C’est comme ça que ça marche.

Depuis que j’ai commencé dans mon petit fanzine, jusqu’à aujourd’hui à travers Game of Thrones, rien n’a changé. Bien sûr, mes conditions de vie sont meilleures, mais la passion est toujours la même. Je ne peux pas travailler si je m’ennuie, si je ne crois pas en ce que je fais. S’il y a bien une chose à retenir, c’est que le dessin est un acte de foi, et qu’il faut plonger dedans. Si vous avez la chance de pouvoir vivre de votre passion, combien de personnes peuvent vraiment l’affirmer ? Très peu, peut-être 10% et encore… Donc foncez, accrochez-vous, échangez avec vos professeurs, et tout ira bien !

Extrait du storyboard de la série "Game of Thrones".

Propos recueillis par Thomas Berthelon au Toulouse Game Show 2014. Remerciements à Will Simpson, Miceal Beausang-O’Griafa, Michel Montoto et l’organisation du TGS.

(par Thomas Berthelon)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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