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William ("Les Sisters / Les Super Sisters") : « Il faut beaucoup d’énergie pour faire ce métier »

Par Jean-Sébastien CHABANNES le 27 septembre 2016                      Lien  
Outre l'originalité de la série et le talent de plus en plus reconnu du scénariste Christophe Cazenove, la qualité du trait de William Maury illustre parfaitement l'importance du dessin et son rôle primordial, même quand il s'agit d'histoires destinées en priorité à un public très jeune. Son style graphique souple et soigné est facilement identifiable. Publié chez Bamboo depuis déjà huit ans, son dessin se révèle très séduisant pour attirer en réalité un public de tout âge... ce qui tombe très bien dans le cadre du thème abordé !

Comment s’est construit le succès des « Sisters » ? Est-ce que ça a commencé véritablement dès le premier album ?

Le fait d’avoir posté plusieurs sketchs et strips sur le forum "Baywin" ou sur mon blog "UADF" depuis 2006 a pas mal joué je pense. J’ai senti à l’époque que les gens accrochaient et qu’ils retrouvaient pas mal de leur vécu aussi... pour ceux qui ont des enfants, une sœur ou un frère. Olivier Sulpice (l’éditeur de la maison « Bamboo ») y a cru de suite en tirant le premier tome à 20 000 exemplaires. Ce qui est énorme pour une nouvelle série et un album en général ! On a été pré publié dans « Le journal de Mickey » avec une page par semaine (six mois avant la sortie officielle).

 William ("Les Sisters / Les Super Sisters") : « Il faut beaucoup d'énergie pour faire ce métier »

J’ai été "scotché" par l’engouement des jeunes lecteurs qui nous encourageaient à continuer. Certains parents nous envoyaient même des anecdotes au cas où on serait à cours de gag... Mais avec les tornades que j’ai à la maison, ça ne risque pas. Du coup, avec Christophe Cazenove, nous avons remis ça et depuis, onze albums ont vu le jour (sans compter les hors séries , spin off et romans de la même série). Mais s’il y avait une recette au succès d’une BD, ça se saurait !

Le développement de l’univers s’est incroyablement élargi au-delà des simples albums de B.D. Je pense aux revues et aux livres. C’est assez rare et un signe de succès ?

Tout en gardant les mêmes personnages, j’avais imaginé un univers différent pour Wendy et Marine bien avant de présenter le projet « Les Sisters » aux éditeurs. J’avais adoré le film d’animation « Les indestructibles » de John Lasseter chez « Disney / Pixar ». Je retrouvais pas mal de similitudes entre le caractère des enfants du film et celui de mes filles. Et je suis aussi un gros lecteur de comics depuis tout petit. Ainsi est née l’idée des « Super Sisters ». Idem, les blogueurs et membres du forum ont adhéré. L’éditeur nous a fait confiance et nous avons travaillé sur le tome un « Privée de laser » après le tome cinq de la série « Sisters ». Pour « La cuisine » et « Les toutous », c’est une idée de l’éditeur. Pourquoi pas ? Je me suis bien amusé ! Et en plus, j’ai appris des trucs. Mais il n’en faut pas trop. Il y a même eu un album en 3D et plusieurs "Best of".

Puisque vous êtes vous-même un amateur de BD, quels sont vos goûts, vos séries et vos auteurs préférés ?

En BD, mes goûts sont assez variés. Ça va de « Calvin et Hobbes » de Bill Watterson, « Gaston », « Astérix » ou « Sœur Marie-Thérèse » de Maëster à « The Walking Dead », « Rapaces », « Blacksad », « The Invincible », « Les Vieux Fourneaux », « Harmony » de M. Reynès etc. Il faut que ce soit un coup de foudre graphique d’abord. Et si le scénario me tient en haleine, alors je reste fidèle à la série. J’adore les virtuoses du pinceau tels que Marini (« Le Scorpion », « Rapaces », « Les Aigles de Rome »), Guarnido (« Sorcelleries », « Blacksad »), Alex Ross (« Kingdom Com »), Jamie Hewlett (« Tank Girl / Gorillaz » ) Gibrat (« Le Sursis ») Oscar Martin (« Solo »)... La liste est très longue. Dernièrement, j’ai même lu quelques mangas : « Quartier lointain » de Tanigushi, « Sun Ken Rock » de Boichi ou "I am a hero" de Kengo Anazawa. J’ai toujours une pile de bouquins à lire et d’auteurs à découvrir.

Il y a une vraie spécificité dans votre manière de dessiner. Cela attire mais pas seulement les enfants, il semblerait...

J’aime dessiner et tester divers styles graphiques. Le fait d’avoir lu autant de BD franco-belges que de comics a sûrement influencé mon approche artistique. J’attache beaucoup d’importance à la mise en scène, la couleur, la dynamique des mouvements des personnages. J’aime les petits détails (qui passent souvent inaperçus) mais je m’en fous. Du moment que j’y trouve mon plaisir ! J’essaye quand même d’être le plus lisible possible : c’est primordial pour garder une narration fluide. Mes premiers albums étaient réalisés dans un style plus réaliste et s’adressaient à un public ado/adulte. Je me cherchais. J’espère évoluer encore. Je dessine beaucoup entre deux cases. Ça dépend de mon humeur. Mais les fées, trolls et zombies reviennent souvent dans mes carnets de croquis. Rien à voir avec « Les Sisters » !

Vous avez des enfants, deux filles qui seraient votre source d’inspiration au quotidien ?

Oui, Wendy et Marine sont effectivement mes filles... et donc, ma source première d’inspiration ! J’ai demandé leur accord avant de me lancer dans cette aventure bien sûr. C’est vraiment une sorte de journal que je leur offre et qu’elles reliront plus tard avec plaisir j’espère.

Dessin de l’auteur réalisé pendant l’interview

J’ai également deux filles qui ont à peu près l’âge de Wendy et Marine : elles se retrouvent beaucoup dans « Les Sisters » ! Dans leur relation comme dans les objets d’une chambre.

Je vous souhaite bien du courage surtout si elles ont autant de caractère que les miennes ! ( Rires ) Pour les décors (ou les petits détails comme les livres, les posters ou les doudous), je ne vais pas chercher loin non plus : j’ai tout sur place. Autant en profiter ! Il n’y a pas mieux comme documentation et ça sonne plus vrai.

Votre scénariste Christophe Cazenove n’a pas d’enfants... presque un paradoxe pour mener cette série ! Comment travaillez-vous ensemble ?

Je ne comptais pas aller plus loin que le blog. Je travaillais sur d’autres séries qui ne marchaient malheureusement pas. J’ai proposé le projet aux éditeurs qui s’appelait au départ « Un Air de famille ». J’ai demandé de l’aide à mon copain Christophe car je ne me sentais pas capable de mener de front dessins, couleurs et scénarios. Nous voulions travailler ensemble depuis quelques temps, mais rien ne venait. J’avais des tas d’idées en tête et des carnets bourrés d’anecdotes mais pas sous forme de gag à la page.

Christophe qui est très à l’aise avec ce genre de narration a accepté et il est venu s’imprégner de l’ambiance survoltée à la maison. Il a fait connaissance avec Wendy et Marine... les vraies. Nous avons décidé d’une ligne de conduite, je lui ai dit ce que je voulais faire ou ne pas faire dans ce projet. Et comme tout semblait couler de source, les pages se sont enchaînées à la vitesse grand V.

Comment s’est faite justement la rencontre avec votre scénariste ? Le choix des Éditions Bamboo a découlé de cette rencontre ?

Nous étions tous les deux en train de dédicacer dans une Fnac à Nice. Moi, je signais le deuxième tome de « Baraka » (avec Georges Lautner au scénario) et lui avait déjà pas mal de séries à son actif. Nous avons vite sympathisé et de là est née l’envie de travailler ensemble. J’aimais son humour tout en finesse et lui mon dessin. Il n’en fallait pas plus pour que règne une bonne entente et une collaboration artistique. Parmi nos dossiers à présenter, il y avait quelques planches gag avec des fées rigolotes et pochtronnes «  Fables de comptoir » et une vague piste autour de deux femmes de ménage ayant des super-pouvoirs. Mais nous n’avons pas dépassé le stade du "Charac Design" pour cette dernière. Je ne lui ai pas proposé de suite de me donner un coup de main sur « Un Air de famille » (qui deviendra par la suite « Les Sisters ») car je n’étais pas encore sûr d’en faire quelque chose de concret à l’époque. Quand je me suis décidé à l’envoyer aux éditeurs (et suite aux refus des précédents dossiers), j’ai appelé Christophe et lui ai proposé de co-scénariser ces tranches de vies familiale. Comme « Bamboo » a répondu le premier, ça tombait pile poil.

Comment dessinez-vous ? Sur papier ou à la tablette graphique ? Quel rythme vous faut-il pour réaliser une planche entière ?

Je dessine debout ou assis. J’essaie d’alterner. C’est bien d’avoir une table à dessin à bonne hauteur. Surtout pour le dos. Beaucoup de dessinateurs en souffrent. J’ai testé diverses techniques : du pastel et de l’aquarelle pour une B.D. médiévale, de l’encre de Chine et du numérique... et aussi du 100% numérique ! Jusqu’au tome quatre de la série « Les Sisters », je réalisais mes cases au crayon, puis je les scannais et je colorisais à l’ordi. C’était long et fastidieux. Depuis, mes planches naissent toutes sur tablette. Du story-board à la couleur. Je n’ai plus d’originaux. C’est un gros avantage de pouvoir revenir sans arrêt sur la mise en scène ou sur un croquis sans gâcher du papier. Je me dis que beaucoup d’arbre sont épargnés du coup... ( Rires ) Je continue quand même à dessiner sur feuilles... mais en dehors des cases et pour le plaisir. Crayons et aquarelles le plus souvent, ça détend. C’est un moment de grâce incomparable. Pour une planche "gag", il me faut en moyenne deux jours et demi de travail : story-board, dessins et couleurs. J’aime autant l’étape de la mise en scène que celles du crayonné, de l’encrage ou de la mise en couleur. Cette dernière me prend beaucoup de temps car je rajoute des détails parfois des personnages en finalisant. Mais le maître-mot, c’est la lisibilité.

Où avez-vous appris à dessiner avant de réaliser « Les Sisters » ?

Je suis un autodidacte. Je n’ai jamais appris ailleurs que dans les bouquins, albums de B.D. ou "Art Book". A force de scruter les dessins, de repérer les techniques de peintres ou de mes auteurs favoris, de tenter de faire pareil (avec un résultat plus ou moins satisfaisant). Egalement en dessinant d’après nature ! Je croquais mes camarades de classe. J’ai longtemps pratiqué la caricature et le portrait. Dessiner me passionne encore et c’est ce qui m’importe : garder la flamme !

On se dit qu’un projet de dessin animé pourrait facilement voir le jour.

Effectivement, un dessin animé se prépare. Des épisodes de douze minutes environ. C’est un travail d’équipe qui demande du temps. Normalement, ça sera diffusé en 2017 sur une grande chaîne, mais je ne peux pas en dire plus encore. Si ce n’est que le peu que j’ai vu est très réussi et reflète bien l’univers de la B.D. Il y a eu plusieurs projets avortés alors, nous croisons les doigts pour celui-ci qui est le plus avancé.

Est-ce qu’une déclinaison de la série pour garçons a été envisagée ? Par vous ou d’autres ?

Chacun fait ce qu’il veut. Ça a d’ailleurs été fait avec « Les Twins » ou « Les frangins ». A la base, je fais cette B.D. pour mes filles. J’espère qu’elles les liront à leurs enfants et petits enfants. Ce sera leur madeleine de Proust en quelque sorte.

Quel est votre gag préféré des « Sisters » ?

Il y en a plusieurs mais ceux qui me rappellent des journées vécues avec mes filles sont les plus marquants. Marine, la cadette qui n’a plus de place pour dormir car elle a trop de peluches ou celui avec les filles qui nous réveillent à six heures du matin car trop impatientes d’aller au parc aquatique. Christophe apporte une touche importante. Il crée des gags vraiment efficaces et ouvre des brèches souvent inattendues : comme par exemple Marine qui veut aider la Police à retrouver des voleurs de bijoux car elle a un flair infaillible (vu qu’elle retrouve son doudou uniquement à l’odeur). Un bon gag ! C’est le juste équilibre entre la tendresse et l’humour acide. Nous faisons de notre mieux pour que ce soit vivant, dynamique et surtout crédible.

Quels personnages aimez-vous le plus dessiner ?

J’aime autant dessiner Marine que Wendy. Elles ont chacune leurs particularités physiques. J’attache beaucoup d’importance au rendu des cheveux (souplesse et lumière), aux mimiques (et diverses grimaces) ainsi qu’à la posture et au mouvement. Marine sautille et n’a souvent qu’une seule chaussette. Wendy change souvent de tenues et ses gestes sont plus calculés. Elle parle souvent avec les mains : une vraie méditerranéenne et j’adore dessiner les mains. ( Rires )

Dessin de l’auteur réalisé pendant l’interview

J’aime aussi croquer Sammie la grande copine "fashion" de Wendy, qui est plus âgée et qui est le portrait craché de la fée « Watterpouffe » (autre création pour une B.D. avec Christophe). Elle a de grands yeux alors que Wendy et Marine ont de simples points, des olives. Un peu comme les yeux de Spirou ou de Tintin. Par contre, je n’aime pas me dessiner : c’est pour cela que j’ai pris le parti de me représenter de dos ou de 3/4. Et du coup, je dessine aussi mon épouse ainsi.

Wendy et Marine font partie de ces rares personnages de BD qui vieillissent. Enfin, elles grandissent plutôt !

C’est vrai que Wendy a un peu mûri depuis le tome un. Elle fait plus ado. Ça s’est fait naturellement. Par contre, Marine n’a pas bougé. Je crois que ça restera comme ça. Une ado et une petite qui est encore au primaire et qui veut tout faire comme sa grande sœur, c’est un atout comique. On dira que Wendy a entre douze et quatorze ans et que Marine a entre sept et huit ans. Ça ne bougera pas... sauf en dernière page de chaque album, où elles se projettent dans un futur idéal !

Une série parallèle « Les Super Sisters » a démarré : on devine que cela vous permet d’élargir votre univers graphique. Quel est l’accueil des lecteurs ?

« Les super Sisters » apparaissent dans tous les albums : une page ou deux et ce, depuis le début. En 2010, j’ai proposé à mon éditeur et à Christophe d’en faire un album complet. Christophe est vraiment incroyable, il passe d’un univers à un autre avec une facilité. C’est dingue ! Souvent en festival, quand je dédicace un « Super Sisters », on me demande s’il y aura un "vrai" Sisters après. Tout le monde n’adhère pas à la science-fiction ou à l’heroic-fantasy mais je suis content que Bamboo soit aussi ouvert. On a pris beaucoup de plaisir à réaliser ces albums.

Est-ce que vous relisez ou regardez vos anciens albums ?

Uniquement quand j’ai besoin de représenter un personnage que l’on voit moins souvent. Par contre, je relis forcément la nouveauté lorsque je la reçois. Mais avec un œil critique, toujours à la recherche d’une maladresse ou d’un oubli... d’une coquille graphique ! On s’en aperçoit toujours trop tard : deux mains gauches, une chaussette qui change de pied d’une case à l’autre etc. Ça arrive ! Comme je travaille sur tablette, je découvre mes planches sur papier une fois celles-ci imprimées. Par contre, j’ai un peu de mal à regarder les premiers albums. Avec le recul, je ne vois que les défauts.

Y a–t’il un album dont les lecteurs vous parlent le plus ?

Non, les lecteurs en dédicace me parlent plutôt des personnages. Ils aiment un tel ou me posent des questions sur un autre. Ils me demandent souvent si les copines des Sisters existent vraiment dans la vie. Je leur réponds que certaines oui... même si j’ai pris quelques libertés avec leur personnalité et leur physique.

Y a-t’il un dessin ou un gag où vous vous dites « J’aurais peut-être dû faire autrement » ?

On peut toujours faire mieux mais on fait le maximum pour éviter les redites et les poncifs. Et puis les planches doivent nous plaire. On est trois à s’impliquer sur un album : Christophe, l’éditeur et moi. En réalité, il y a plutôt des gags que j’ai refusé de faire ! Mais pas plus de deux ou trois je crois... Ce n’est pas évident de faire la différence entre ce qui se passe dans la B.D. et ce que je vis à la maison. Je m’y perds parfois ! ( Rires ) Blague à part, dès que je sens que ça devient trop privé ou un peu glauque, je freine et je propose autre chose.

Êtes-vous tenté par la réalisation d’un album seul, d’un album personnel ?

En ce moment, Christophe et moi travaillons sur une nouvelle série, toujours chez Bamboo. C’est une fois de plus un personnage créé il y a quelques années sur un blog qui voit le jour. Un petit zombie attachant mais vorace qui s’appelle "Tizombi". Un jour, je réaliserai peut-être un album seul et vraiment différent, mais rien n’est planifié. Pour l’instant, j’aime beaucoup ce travail d’équipe. Je m’entends très bien avec Christophe Cazenove et mon éditeur. Une très bonne équipe quoi ! ( Rires ) Je croise les doigts pour que ça dure longtemps.

Comment vous projetez-vous dans l’avenir ?

Je ne me pose plus cette question. J’ai une chance énorme de vivre de ma passion et quand je bosse sur un album, je profite de l’instant. Je ne pense qu’à l’album en cours (pas à celui que je ferai après). Il faut beaucoup d’énergie pour faire ce métier mine de rien. Je "mange" des cases et des bulles au quotidien ! Mais je ne vais pas me plaindre : c’est ce que j’ai toujours voulu faire.

Propos recueillis par Jean-Sébastien Chabannes
http://pabd.free.fr/ACTUABD.HTM

Voir en ligne : Sisters Blog

(par Jean-Sébastien CHABANNES)

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