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YVES FREMION : Au Quai Boumeurre (épisode 12) : Les marges de Fluide

Par Yves FREMION le 7 juillet 2022                      Lien  
Au quai Boumeurre - Où je demeure - Mes souvenirs s’y pressent - Comme pécheresse - À confesse - Ou à la messe. Les fameuses marges de Fluide glacial - le seul journal où même les marges étaient remplies de conneries, du moins dans les pages de la ‘’Gazette de Frémion’’ - furent une innovation que bien de nos concurrents voulurent imiter, mais tous durent bien vite renoncer.


C’était venu comme ça : dès le début de la Gazette (n° 6 du canard ! - 1976), j’avais plein de copinages à faire (livres, spectacles), mais les glisser à l’intérieur de la Gazette m’enlevait de la place pour le vrai contenu, textes ou dessins, et du coup alors, pourquoi pas les écrire dans la marge ? Très vite, les copains eux aussi voulurent glisser leurs copinages à eux et je les laissai faire, sauf que la plupart étant dessinateurs, ils se mirent à crobarder de minuscules dessins. Bientôt, toutes les pages eurent leurs marges qui en peu de temps furent occupées dans leur intégralité. Les marges de la Gazette étaient nées. Pour environ 35 ans (avec quelques interruptions margesques). Elles ne devinrent vraiment emblématiques du journal qu’au numéro 145 (1988).

YVES FREMION : Au Quai Boumeurre (épisode 12) : Les marges de Fluide

Il y eut de grandes périodes, notamment celle où j’eus l’honneur d’exercer cinq ans des fonctions politiques dans une prestigieuse instance européenne. Alors les copains se déchaînèrent. Aucun politicien ne fut jamais moqué comme je le fus, avec mon accord enthousiaste, mais cela faisait de moi le plus célèbre de l’équipe d’élus écologistes du Parlement. « - Ils te détestent, tes copains ? » me demandaient mes collègues, moins habitués à l’humour ravageur de la presse satirique. Ils ignoraient que pour avoir le droit de se moquer de tout le monde il faut d’abord savoir se moquer de soi.

Pendant tout mon mandat, malgré mes quelques 55 heures de travail par semaine [un député européen qui ne travaille pas 55 heures ne fait simplement pas son job – donc tous ceux qui ont le front de cumuler ce mandat avec un autre sont des escrocs, quelle que soit leur appartenance politique, qu’on se le dise !] je conservais un week-end entier à écrire mes 8, puis 7 pages du journal. Avoir un pied dans la déconne et un autre dans le travail sérieux était idéal pour un éclectique à tendance probablement schizo qui est la mienne. Mais c’était épuisant. Par chance, les copains, en se moquant de tout cela, m’aidaient à faire sérieusement mon boulot d’élu sans me prendre, moi, au sérieux. Qu’ils en soient remerciés.

Le succès des marges conduisit la rédaction à un moment donné à bousculer les règles : elle agrandit les marges de ces 4 pages pour qu’il y ait plus de place pour les dessins et des dessins plus grands, que parfois la « coupe »… coupait.
Un jour j’appris que se préparait un volume « best of » de ces marges. On ne m’avait pas prévenu. J’exigeais aussitôt de le diriger et d’en écrire le texte, mais je ne pus en faire le choix, car il était déjà fait par le maquettiste. Il avait plutôt bien trié mais… uniquement dans les dernières années, celles… où il était là ! C’était déséquilibré mais ça faisait illusion, tant pis. La rigueur était une vertu d’un autre siècle. Cet album, ‘’Fluide glacial en marges’’ (2004) est introuvable, dit-on sur les sites qui en causent. Si vous le trouvez, relisez la préface où tout est expliqué.
Réalisées pendant le « bouclage » du magazine (en fait de mes seules 4 pages), prétexte avant tout à un dîner arrosé et offert, les marges étaient réservées à l’équipe des réguliers du magazine, il n’y eut d’invités que tardivement. On a une idée des réguliers avec les portraits que Blutch a réalisés pour sa belle couverture de l’album. Mais il manque évidemment les pionniers écartés par Plipo le maquettiste (Gotlib, Loup, Cabanes, Alexis, Lelong, etc., les plus vieux « fluidosaures » quoi).

Quand un dessinateur, dont j’avais publié le premier dessin dans ladite Gazette, devenu entre temps rédac’ chef du journal, décida que cette Gazette était de la merde et en profita pour me virer, il jura devant toute l’équipe (à ma demande), lors de mon pot de départ, de ne plus jamais publier de marges puisque j’en étais l’inventeur. Il ne tint que 2 numéros avant de violer son serment et remis les marges. Mais l’esprit n’y était plus et après une brève décadence, elles s’arrêtèrent d’elles-mêmes. Puis le coupable fut viré à son tour. « - Si quelqu’un t’a offensé, ne cherche pas à te venger. Assieds-toi au bord de la rivière et tu verras passer son cadavre » dit Lao Tseu. Ah ah ah.

(par Yves FREMION)

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En médaillon : Yves Frémion - Photo Sophie Vignault

 
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