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YVES FRÉMION : Au quai Boumeurre (épisode 5) : Le Petit-Mickey qui n’a pas peur des gros

Par Yves FREMION le 30 octobre 2020                      Lien  
(Flow de rap) : "Au quai Boumeurre - Où je demeure - Mes souvenirs s’y pressent - Comme pécheresse - À confesse - Ou à la messe... " Ah, les débuts du "Petit-Miquet qui n’a pas peur des gros" ! Je leur dois tout ! Et j’ai pas fait exprès !

À peine « monté » à Paris début 1972 avec Christine Poutout (pas encore devenue la photographe de la BD), jeune et fringant mais inconnu, je n’y avais qu’une poignée d’amis que, selon de qui on était proche, on appelait « la bande à Riche », « la bande à Fromental-Landon » ou « la bande à Frémion ». Daniel Riche (décédé trop jeune) était un auteur et critique de SF avisé, le duo Jean-Luc Fromental (aujourd’hui éditeur et scénariste) et François Landon (aujourd’hui journaliste et préfacier des expos de la galerie Martel) ont commis beaucoup d’ouvrages et de rewritings ensemble avant de se séparer.

Tous trois étaient là ce soir là dans mon petit appartement de Vitry, appartenant au père de Richard Matas (dessinateur devenu auteur de polar, décédé lui aussi) pour une bouffe de bienvenue. Il y en avait peut-être d’autres, mais qui ? Imbibé sans doute, une idée me traversa le cerveau dont je fis part illico à la famille (ici : rires enregistrés) : « On va faire un fanzine qui s’appellera Le Petit-Miquet qui n’a pas peur des gros » ! En effet, « petits-mickeys », cette désuète expression des années d’avant-guerre me paraissait devoir être réhabilitée (au risque d’ennuis avec Disney-France) ; et chaque fois que, depuis Vitry, je traversais en voiture le périphérique, je croisais un bistrot populaire qui faisait un coin aigu et appelé « Au petit qui n’a pas peur des gros ». Pour ceux dont la culture s’arrête à deux ans en arrière, je rappellerai qu’après la World War 2, un courant politique populiste, à base de petits commerçants très réacs, s’était constitué autour de Pierre Poujade et connut un certain succès. Ces poujadistes se voyaient tous comme des « petits » qui luttaient contre des « gros ». Démagogie fort efficace.

YVES FRÉMION : Au quai Boumeurre (épisode 5) : Le Petit-Mickey qui n'a pas peur des gros
PMQNAPPDG n° 5, couv. de Gotlib Spécial Oc

Quoi qu’il en soit, ma proposition devant mes complices fit un flop retentissant. Ils se moquèrent de moi et de mon idée, ce qui me vexa profondément. En ces cas, petit lecteur, sache qu’il faut toujours surenchérir et ne jamais reculer. Donc je m’y mis.
À l’époque, où ni imprimante ni photocopieuse n’existaient encore (je vous parle d’un temps que les non-boomers ne peuvent pas connaître), il existait un petit appareil qu’on appelait une ronéo. On y glissait du papier et la matrice de la page et ça la reproduisait d’une couleur choisie, quand on tournait la manivelle (il en existait des plus automatiques, mais elles coûtaient cher). La matrice était un stencil, un papier spécial épais. Quand la lettre frappait ce papier, elle le perçait. Quand la machine tournait, l’encre passait dans les trous et la lettre se trouvait imprimée sur les feuilles, qu’on sortait une par une. Si on se gourait quelque part, corriger était très difficile, et moche.

PMQNAPPDG n° 1 Page 1

Je rajoutais à la difficulté en ne préparant rien, et en improvisant tout. Au point que j‘arrivais rarement à finir un paragraphe en fin de page. Quand une était terminée, Christine tournait la machine (100 exemplaires) tandis que j’écrivais la suivante. Je compliquais encore en glissant un dessin, gravé au Bic, censé être une scène de ‘’Prince Vaillant’’, mais dessinée par une main TRÈS malhabile. Au final, nous agrafions les 4 pages. Plus moche et plus amateur, y a pas eu dans l‘histoire du fanzine, fort recherché aujourd’hui. Ce « fanzine parisien » se voulut vite l’organe de la BD, de la SF et de la VP (Veuve Poignet).

PMQNAPPDG n° 1, avec une reproduction de ’’Prince Vaillant’’...

Chaque texte était signé d’un pseudo à calembour, dont je ferai ensuite une spécialité (j’en ai peut-être utilisé 300) et le contact ne fut pas à mon nom, mais à celui de Christine Poutout, avec son patronyme réel et sexy, à une époque où il n’y avait pas de fanzineuses.

Je l’envoyais par la poste aux adresses que j’avais : donc aux dessinateurs, auteurs, branleurs, et aussi aux amis, rédac’ chefs, fanzineux, critiques, éditeurs… Et là, stupeur ! Gotlib (sur lequel je déconnais dans le numéro) prend contact ; Claire Bretécher écrit à Christine une longue lettre accompagnée d’une médaille de la Vierge Marie (authentique). Plus tard, dans un roman-photo de Hara-Kiri, le professeur Choron tient le dernier numéro à la main ! Sous ces compliments de tous ces dieux de l’humour que j’admire, je reste estomaqué. J’appelle Choron : il a aimé, « - C’est plein d’idées » me félicite-t-il. La classe ! Il m’encourage à leur envoyer des trucs, mais ce que j’envoie n’est pas terrible : je n’entrerai jamais à Hara-Kiri. La honte !

PMQNAPPDG n° 2, contribution de Yves Klein

On prit l’habitude de « rééditer » des classiques (Hal Foster, Yves Klein, Malevitch… Puis Gotlib dessina la couverture d’un numéro annonçant sa mort, au bic (il le redessinera quand on fera l’intégrale) et, exceptionnellement, Fromental & Landon, repentants, écriront un texte, sous un pseudo inventé par un autre, Nikita Phekté (c’est Jacques Goimard qui l’utilisait en SF). Enfin, L’Écho des savanes étant né entretemps, Gotlib, Bretécher et Mandryka me proposèrent de devenir les éditeurs du PMQNAPPDG. La plus-que-classe !…

(à suivre)

PMQNAPPDG n° 4 spécial ’’Gotlib est mort’’, par Gotlib (alors vivant).
PMQNAPPDG n° 4 spécial ’’Gotlib est mort’’, par Gotlib (vivant alors) version refaite

(par Yves FREMION)

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