On ne présente plus Shigeru Mizuki, l’un des mangaka les plus importants de l’histoire de la bande dessinée japonaise, décédé il y a trois ans. Notamment connu en France pour NonNonBâ, Kitaro le repoussant ou encore pour son autobiographie, il est associé à l’univers des "yôkaï", ces créatures du folklore japonais auxquelles il consacra de nombreux ouvrages.
C’est ainsi que nous avions pu découvrir son Dictionnaire des Yôkaï chez Pika ou encore le superbe Yôkai chez Cornélius, son éditeur majeur en France. Et ce dernier propose aujourd’hui un autre ouvrage sous le même format - à l’italienne - avec la même qualité de papier et d’impression pour faire ressortir la splendeur graphique de ce nouvel opus, Yôkaïdô, qui se présente davantage comme un livre d’art qu’une bande dessinée.
Alors, qu’est-ce que Yôkaïdô ? Un jeu de mots tout d’abord, qui associe les fameux yôkaï si chers à Mizuki à une célèbre route japonaise, la route de Tôkaïdô. Celle-ci, construite au tout début du XVIIe siècle, reliait la capitale impériale, Kyoto, à Edo, la future Tokyo, siège du pouvoir des shoguns.
Cinq cents kilomètres jalonnés par cinquante-trois stations offrant de magnifiques panoramas et points de vue qui alimentèrent la vogue artistiques des meisho-e, les peintures de vues célèbres. Une mode qui va s’épanouir pleinement avec l’ukiyo-e popularisé par Hokusai avec ses 36 vues du Mont Fuji composées entre 1831 et 1833.
Et c’est au même moment, entre 1833 et 1834, que Utagawa Hiroshige réalise Les cinquante-trois stations du Tôkaïdô. Ce recueil d’estampes rencontre immédiatement un immense succès et installe son auteur parmi les plus grands peintres de son époque.
En 2003, quelques 170 ans plus tard, Shigeru Mizuki décide de rendre hommage à cet ouvrage majeur et revisite les paysages immortalisés par Hiroshige avec l’irruption de sa propre obsession : les yôkaï. Il reprend même la technique de composition traditionnelle de gravure sur bois pour réaliser ses dessins. Yôkaïdô se présente ainsi comme un magnifique ouvrage d’illustration nous conduisant de Nihon-Bashi à Kyoto.
Chaque double-page du volume met en regard la version originale d’Hiroshige et celle revue, avec humour, finesse et décalage, par Mizuki. Les planches sont accompagnées par un index des stations savamment renseigné, faisant le lien entre le contexte historique représenté et les créatures mises en scène par Mizuki. Voilà qui fait de cet itinéraire une des plus savoureuses pérégrinations possibles de cette fin d’année.
(par Aurélien Pigeat)
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Yôkaïdô. Par Shigeru Mizuki. D’après Utagawa Hiroshige. Éditions Cornélius, collection "Blaise". Sortie le 29 novembre 2018. 112 pages. 35,50 euros.