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Yves Swolfs ("Durango, Légende, Prince de la Nuit") (1/3) : « Chacun de mes récits découle de ma logique instinctive et inconsciente, de mon propre vécu »

Par Charles-Louis Detournay le 11 mars 2015                      Lien  
Aujourd'hui paraît le 7e tome du 'Prince de la Nuit", qui marque le retour d'Yves Swolfs en librairie, trois ans après la publication de son précédent album en tant qu'auteur complet, et près de quinze ans après le précédent tome du fameux vampire. Profitons-en pour revenir avec lui sur ses précédentes séries, dont "Légende", qui marqua un tournant dans sa carrière.
Yves Swolfs ("Durango, Légende, Prince de la Nuit") (1/3) : « Chacun de mes récits découle de ma logique instinctive et inconsciente, de mon propre vécu »
L’intégrale des cinq premiers tomes de "Légende"

Avant de revenir au Prince de la Nuit, vous avez travaillé de longues années sur Légende, une série que vous vouliez tout d’abord intituler autrement…

Le Chevalier errant n’était qu’un titre de travail. D’ailleurs, ce titre provisoire n’aurait pris tout son sens qu’après le cinquième tome ! Originellement, je n’avais que ce concept de chevalier vagabond, une sorte de Durango moyenâgeux, car j’aime ce type de personnage. Mais pour cette série, je me suis plus tourné vers la jeunesse et l’apprentissage. Le titre ne semblait donc plus vraiment coller à la réalité de la série.

Il a fallu en trouver un autre. Racontez-nous comment Légende est arrivé sur le tapis ?

Oh, j’étais chez Denis Bajram, du temps où il habitait encore le centre de Bruxelles. Nous étions en train de déconner autour de cette recherche de titre, alors que juste en face de son appartement, l’enseigne du restaurant clignotait devant nos yeux : La Légende. Nous n’avons pourtant pas ‘tilté’ directement. Ce n’est que le lendemain, purement inconsciemment, que ce titre m’est venu : cela collait au médiéval tout en étant innovant. Je pensais avoir trouvé tout seul le titre idéal pour une saga moyenâgeuse, mais c’est plus tard que Denis m’en a rappelé la réelle origine ! (rires)

La plupart de vos séries n’abordent pas, ou alors très rapidement, la jeunesse de vos personnages. Vous aviez envie de vous attacher résolument à cette genèse ?

Tout-à-fait ! J’aurais pu le faire avec un autre personnage, mais j’appréciais avant tout la démarche. Puis, j’ai vraiment eu le coup de cœur pour une structure déroulant les tomes comme un long flashback, alors que les derniers tomes revenaient finalement au temps présent. Avec une évolution de l’intrigue ‘actuelle’, cela me permettait de maintenir une présence de mon personnage adulte, car il faut un référent. Si j’avais débuté le récit sans flashback, avec juste Tristan enfant, je pense que le public aurait moins bien perçu la finalité du propos.

Revenons aux premiers tomes. Vous abordez les grandes lignes de la construction de la personnalité : se connaître soi-même et la part animale (instinctive) qui est en soi, le lien avec les autres, puis la spiritualité de manière générale.

Légende est un récit initiatique, et je voulais faire le tour de ces trois grands pôles, qui forment chaque individu. Concernant la spiritualité, je ne pouvais passer outre le rôle des moines sur qui reposaient la culture à l’époque, ce qui permettait d’enseigner les principes moraux. Mais je ne désirais pas évoquer un parti-pris religieux : Dieu est incontournable dans la vie quotidienne moyenâgeuse, je n’ai donc pas voulu occulter la religion catholique, mais je m’arrête là. J’ai donc donné un rôle de professeur-formateur à ce moine qui ouvre les yeux de Tristan au monde. Bien sûr, le départ de ce troisième apprentissage est plus complexe, car notre héros a subi des manquements dans son évolution. J’évoque légèrement cette problématique à certains moments, mais ils prendront tous leurs sens par la suite.

Le tome 6 de "Légende"

Le manque d’une présence maternelle peut-il expliquer sa gêne avec les femmes ?

Le manque de présence parentale en règle générale, car cet homme-loup qui l’élève s’est débrouillé comme il pouvait. Je voudrais approfondir cela jusqu’à aboutir à un homme entier. Voilà le propos de Légende !

Vous insistez sur l’importance de l’éducation, en opposant un pendant négatif au héros Tristan, par le biais d’Eol, le fils de Shagan. Au fur et à mesure du récit, on suit l’évolution de chacun, grandissant sans l’amour de leurs parents, ou presque…

Je voulais réellement aborder l’importance de l’éducation dans les deux hommes que vont devenir Eol et Tristan. Le sorcier-manipulateur Shagan est selon moi l’image du père négatif qui est autant intervenu dans la vie de Tristan que dans celle de son propre fils Eol. Mais ce fils n’est pas aimé, il n’est qu’instrumentalisé pour assouvir les ambitions de son père. Le lecteur perçoit donc le résultat des deux cheminements avec leur confrontation inéluctable, qui joue sur les faiblesses de chacun. Ce parallèle était donc volontaire depuis le début, et montre qu’une même influence peut créer deux tendances finalement opposées. Comme cette influence est mauvaise, les deux garçons en sont tous deux victimes, et c’est un impact positif qui fera la différence entre les deux, malgré leurs longs entraînements aux armes.

Les deux chevaliers souffrent avant tout de ce manque d’amour !

Mais du côté du héros négatif qu’est Eol, c’est l’instrumentalisation que son père en fait (une machine à combattre pour ses propres intérêts) qui pose problème. Si un enfant n’est que la projection des volontés du père, il ne possède pas de propre autonomie. C’est d’ailleurs devenu un gag : Eol appelle Shagan une fois « Père », une fois « Maître », ce qui prouve qu’il ne sait pas très bien où il en est. Shagan lui-même ne renvoie pas d’amour envers son fils, mais en est fier lorsqu’il sert bien ses propres intérêts : la relation est faussée. Si Tristan a eu plus de reconnaissance véritable de la part de sa succession de mentors, il n’a pas non plus trouvé le grand amour. Il lui reste du chemin à parcourir.

Vous faites d’ailleurs dire à votre héros qu’il se sent perdu dans cette traque dont il fait l’objet. Il se sent désintéressé de ce titre auquel il a droit, mais c’est à ce moment-là que le personnage d’Ombeline prend toute sa valeur !

Oui, cette sœur jumelle, qui n’est pas présentée comme telle dans le premier tome, est un facteur très important. Après cette rencontre fortuite alors qu’ils sont enfants, ils n’ont de cesse de vouloir se retrouver. Cette recherche représente la réconciliation et l’équilibre entre le masculin et le féminin au sein d’une même personne. Pour Tristan, cette quête de sa sœur n’est donc qu’une quête de soi symbolique, vers sa part de féminin pour redevenir entier, en opposition à la séparation réalisée à la naissance par Shagan, ce qui a créé le désordre.

Finalement, Tristan a toujours été poussé ! Poussé donc son apprentissage, acculé qu’il était par ses poursuivants. Puis poussé à retrouver Ombeline, cette part de féminin qui lui manquait. On termine ce cycle, alors qu’il est enfin libre, sans contrainte. Il va donc devoir se trouver lui-même, agir de son propre chef.

C’est ce que nous traiterons dans un second cycle, qui débute dans le 6e tome. Dans ce récit, il y a donc cette première approche du féminin, teintée d’un peu plus de fantastique....

Avant cela, à côté de cette ouverture progressive au monde comme on l’a évoqué, il y a aussi cette succession de mentors : l’homme-loup, le détrousseur et père de Judith, puis Akunaï le guerrier asiatique et enfin le moine. Vouliez-vous évoquer ce besoin que chaque être en construction doit se choisir des repères, quitte à les abandonner plus tard afin d’en prendre d’autres ?

Effectivement, c’est une formation nécessaire, reprenant les divers pôles qu’un père initiatique devrait jouer. Par cette absence, Tristan est confronté séparément à ces personnes qui représentent diverses facettes : la protection, dans son contexte presque animal ; puis l’apprentissage social, les interdits et les places qu’il faut prendre. La place d’Akunaï est moins empreinte de psychologie, car j’avais besoin d’un maître-guerrier dans ma trame. On peut le voir comme un pendant plus positif au père de Judith, car il le guide dans les choix à opérer pour occuper sa place sociale.

Légende, tome 2

Par rapport à vos précédentes séries, on ressent une plus grande dimension psychologique, avec une évolution sans doute moins présente dans les états de fait décrits dans Durango par exemple où les personnages sont très définis dans leur rôle.

Le tome 7 du "Prince de la Nuit" sort ce 11 mars

C’est sans doute en lien avec mon propre vécu. Dans cette démarche, Le Prince de la nuit était une étape importante, car je désirais évoquer les parts de bien et de mal que nous possédons tous au fond de nous et la place que nous leur accordons, mais aussi la psycho-généalogie et l’inscription de tout ce contexte dans la société judéo-chrétienne à cette époque charnière.

Attention, je ne veux pas donner l’impression de faire mûrir cela longtemps à l’avance. Je suis conscient jusqu’à un certain point de ce que je place dans chaque récit. Mais une bonne part est inconscient, découle de ma logique instinctive, de mon vécu. Ensuite, le regard du lecteur vient donner cette dimension complémentaire qui rend unique chaque perception. C’est d’ailleurs la plus belle motivation de ce travail ! On peut parfois se demander le sens de ce qu’on fait ? Écrire des histoires, c’est déjà pas mal, mais si elles servent de base à un lien complémentaire entre l’inconscient de l’auteur à l’inconscient du lecteur, alors je me peux me dire que je sers à quelque chose, en toute sincérité et humilité.

Demain, la suite de cette interview...

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photo en médaillon : CL Detournay

 
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