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Zidrou (Ducobu, Lydie, Tamara) : "Je suis un scénariste instinctif"

Par Nicolas Anspach le 29 juin 2010               Ducobu, Lydie, Tamara) : "Je suis un scénariste instinctif"" data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
{{Zidrou}} nous avait surpris, avec {ProTECTO} et {La Vieille Dame qui n’avait jamais joué au tennis}, en sortant du registre humoristique. Il séduit une fois encore avec {Lydie}, un récit émouvant traitant d’un sujet délicat : le déni de la mort du nourrisson. Camille vient de perdre Lydie, son enfant. Elle est persuadée que les anges la lui ont rendue et elle se comporte comme si son bébé était encore en vie.

Zidrou (<i>Ducobu</i>, <i>Lydie</i>, <i>Tamara</i>) : "Je suis un scénariste instinctif"Quelques années après avoir signé ProTECTO, vous revenez avec Lydie, une histoire réaliste et intimiste…

C’était une des deux cents histoires qui m’accompagnent depuis des années. J’en ai de nombreuses dans les recoins de mon cerveau, dans mes carnets de notes ou dans mon ordinateur. Pour Lydie, j’étais parti d’une autre idée : une série, ou du moins une succession d’albums, où j’évoquerai le destin de personnes qui habiteraient une impasse. Et ce, à des époques différentes. Mon éditeur m’a fait comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une idée porteuse, commerciale. Nous avons décidé de transformer mon récit en un one-shot. Les éditeurs sont de plus en plus prudents par les temps qui courent.

Cette histoire se passe dans le Borinage [1]. Vous remerciez votre père dans l’album. Est-ce lui qui vous a soufflé l’idée de cette intrigue ?

En partie. L’histoire de passe à une époque qu’il a connue. J’ai mis différents éléments dans ce récit que j’ai indirectement absorbés. Les témoignages de mon père et de mes oncles par exemple. Ils ont fait partie de cette génération d’enfants qui jouait dans la rue et passait son temps à faire des blagues. Il y a de nombreuses vierges au-dessus des portes d’entrée des maisons dans la région de Mons. Mon père en a hébergé une pour dépanner un de ses amis qui était en travaux. Ces éléments sont venus s’emboiter dans un récit.

Je suis un scénariste instinctif et je ne sais pas dans quelle direction je vais lorsque je commence à écrire une histoire. Je n’en connais pas la fin. Et peu à peu, lorsque je construis l’histoire, j’essaie de mettre de l’ordre dans tout cela. Je ne sais même pas le nombre d’albums que nécessitera l’histoire. Les dessinateurs, avec lesquels je collabore, ont du mal à croire que je travaille de la sorte. En lisant la fin, ils croient que j’ai pensé à la conclusion de l’intrigue dès le début. Ce n’est pas le cas. Généralement, les fins de mes histoires se décident quant l’album est déjà écrit au trois-quart.

J’ai sûrement encore de nombreuses choses à apprendre dans mon métier de scénariste. Mais j’ai lu des milliers de BD, de livres et vu tout autant de films. Je sens quand les éléments du récit fonctionnent quand une idée est bonne ou plus forte qu’une autre. C’est pour cette raison que j’aime écrire un album en un seul bloc. Je peux revenir en arrière s’il y a une incohérence.

Extrait de "Lydie"
(c) Jordi Lafèbre, Zidrou & Dargaud.

Lydie évoque aussi d’une certaine époque …

J’ai aussi voulu traduire la solidarité qu’il y avait à l’époque dans les rues, dans les immeubles, ou dans les villages. On m’en a parlé. On constate que cela existait grâce à certains films, comme les Don Camillo ou dans les livres écrits par des témoins des années 1920 et 1930. On s’aperçoit qu’elle a disparu.

Ce récit parle du déni d’une mère concernant le décès de son nouveau-né. Ce sujet est dur, mais le ton que vous avez employé est assez léger. Était-ce facile de trouver le ton juste ?

Avant même d’écrire les premières lignes d’un scénario réaliste, je sais généralement le ton que je vais lui donner. Je suis content d’y être arrivé avec Lydie. En plus, à un moment donné, j’ai apporté une touche qui peut susciter le questionnement du lecteur. C’était évident de l’ajouter. Il en va de même avec la scène où Papa Tchou Tchou, le grand-père de Lydie, commence à se prendre au jeu en prenant le bébé dans ses bras ou en mangeant les parts de gâteau de l’enfant à table. Il devient une sorte de complice de la folie de sa fille. Tout correspond à une logique. Tout comme dans d’autres séries d’ailleurs. Par exemple, Tamara a enduré de nombreuses vacheries. Nous avons voulu la remercier, Christian Darasse et moi, en lui faisant vivre une histoire d’amour avec le plus beau et le plus gentil de tous les garçons. C’était une question d’équilibre

Extrait de "Lydie"
(c) Jordi Lafèbre, Zidrou & Dargaud.

La couverture est assez originale : La reproduction d’une vieille photographie, dans les teintes sépia.

Elle est centrée sur Camille (la maman), Papa Tchou Tchou (le grand père) et le bébé. Jordi Lafèbre, le dessinateur de cette histoire, a eu cette idée. D’une manière générale, je n’interviens pas dans le travail du dessinateur. Jordi a mis le drap d’une telle façon que l’on ne voit pas le bébé. Il a directement perçu le ton de l’histoire. On est en osmose, en parfaite synergie. Il a également compris l’atmosphère de notre prochaine histoire, qui est moins « violon », moins grand public.

Pourquoi avoir attendu tant d’années pour écrire des scénarios réalistes. Mèche Rebelle, la genèse de ProTECTO est paru en 2003. Depuis lors vous n’avez signé qu’un recueil de nouvelles. Pourquoi ?

Ce projet a été monté il y a de nombreuses années. J’ai eu des difficultés à trouver le bon dessinateur. Matthieu Bonhomme, qui n’avait encore jamais signé de livre, a même fait des essais. A l’époque, je n’avais pas la sécurité financière que m’apporte aujourd’hui Ducobu. J’étais plutôt orienté vers la jeunesse et le gag. Si ProTECTO avait décollé, il est probable que j’aurais publié plus rapidement d’autres histoires réalistes. J’ai écris de nombreuses histoires réalistes qui sont restées longtemps dans mes cartons, mais le bon accueil de « la vieille dame qui n’avait jamais joué au tennis » a permis de décoincer la situation. Après la publication de ce livre, j’ai reçu des appels téléphoniques, des e-mails d’éditeurs qui ne m’adressaient pas la parole auparavant. Alors qu’une partie des histoires contenues dans ce recueil datait d’une douzaine d’année (Rires).

Vous avez d’autres projets réalistes ?

Oui. Nombreux. Mais j’ai envie de continuer la bande dessinée tout public. Seulement à cause du succès l’L’Élève Ducobu, les gens ont cru que j’étais un gagman. Ce n’est pas le cas. J’ai plusieurs projets signés. Il y a souvent un décalage important entre l’écriture et la publication de l’histoire. Je travaille actuellement sur une histoire avec un autre dessinateur espagnol qui se déroule durant la Première Guerre mondiale. Il y aura donc du sang et de la boue. J’ai écrit une histoire érotique qu’un Angoumoisin dessine actuellement. Avec Mattéo, le dessinateur de ProteCTO, nous préparons une série en trois albums sur le thème de Venise.

J’ai suffisamment de travail pour ces prochaines années (Rires), tant mieux ! Avoir un éditeur qui croit en vous et qui met les moyens pour communiquer sur vos livres, cela vous porte. Mais j’ai conscience qu’il faudra un peu de temps avant que les lecteurs acceptent que je suis capable de scénariser autre chose que Ducobu !

Godi et Zidrou, les deux font la paire et font les pitres.
Photo (c) Nicolas Anspach

Comment caractériseriez-vous Godi, le dessinateur de Ducobu ?

C’est avant tout un ami. J’ai énormément de chance que le succès de cette série soit tombé sur ses épaules. Bernard Godi est un vrai professionnel, et il assume le travail qu’une série à succès implique. Il sait qu’il faut réaliser du suivi, faire des dessins pour accompagner la série. Et surtout, sortir avec régularité des albums. Godi est un travailleur ! Lorsque l’on me demande les raisons du succès de L’Élève Ducobu, je réponds toujours : « Le travail ! ». Si Ducobu marche, c’est parce que nous avons beaucoup travaillé ! Cela étonne toujours mes interlocuteurs. Certains croient que le succès tombe du ciel !
Le seizième album vient de sortir, et j’ai terminé le scénario du dix-huitième. Nous nous offrons le luxe, grâce à cela, de choisir les gags pour mieux équilibrer le prochain album. Ou alors, de pouvoir modifier l’album pour l’ajuster à l’actualité, comme on l’a fait dans le seizième pour Rik Spoutnik !

Nous avons ensemble un projet d’histoires mettant en scène des voitures. Bernard est un grand amateur de vieilles bagnoles. Mais comme il y a une adaptation cinématographique de Ducobu qui est en train de se faire, Bernard se consacre entièrement à cette série afin d’avoir des planches d’avance pour mieux accompagner la sortie du film.

Le 16e album de "L’élève Ducobu" est paru en juin

Tamara est une série évolutive. Cette jeune femme qui se prenait des râteaux avec les garçons a, à présent, un amoureux…

On ne peut plus faire des BD de la même manière qu’il y a vingt ans ! À l’époque, on aurait fait vingt albums, au moins, sur la thématique de l’adolescente boulote qui se fait éconduire par les garçons. Les lecteurs demandent autre chose aujourd’hui. Et ce n’est pas plus mal. Les auteurs doivent être déstabilisés, se retrouver sous la pluie pour avoir de nouvelles idées. Je travaille avec Jean-Marc Krings sur un projet de série évolutive, Vanille et Chocolat. Il y a de plus en plus de séries évolutives, et ce n’est pas pour me déplaire.

Avec Jean-Marc Krings, justement, vous reprenez La Ribambelle, une série créée par Jean Roba.

Oui, l’ancien rédacteur en chef du journal de Spirou, Olivier Van Vaerenbergh, avait pensé publier des histoires courtes de héros-phares du journal, d’hier ou d’aujourd’hui, dans un cahier central. L’expérience aurait dû durer un an ! Les auteurs d’aujourd’hui auraient donc dessinés les personnages qui ont fait la gloire du journal. Quelques auteurs m’ont demandé de leur scénariser une histoire, selon leurs goûts. J’ai travaillé sur ces projets.
Le rédacteur en chef de Spirou a changé, et du coup, ces projets de reprises sont tombés à l’eau. J’étais triste, d’autant plus que nos planches de la Ribambelle était déjà faites.. Je m’étais réellement amusé à travailler sur ces personnages et avec Jean-Marc… J’ai eu envie de continuer cette aventure. Et Dargaud a accepté de nous publier.

Je crois en l’histoire que j’ai écrite. L’éditeur est prudent car les séries d’aventures humoristiques se plantent souvent. C’est même une hécatombe. Dargaud veut sortir les deux premiers tomes et prendre une décision quant à une éventuelle suite après avoir eu les premiers chiffres. Si les ventes sont catastrophiques, ni les auteurs, ni les éditeurs n’ont intérêt à continuer.

Le 8e Tamara est paru en juin

Vous préparez également un one-shot « Spirou et Fantasio » avec Marc Hardy …

Il s’y attèlera dès qu’il aura terminé le prochain Pierre Tombal ! Il paraîtra donc en 2011. Ma seule ambition, pour ce récit, a été de mettre en valeur le dessin de Marc Hardy. C’est un très grand dessinateur. Il voulait qu’une partie du récit ait pour cadre l’Orient ! Pour le reste, je vous laisse la surprise de la découverte.
Nous n’allons pas faire un Spirou classique. Cette collection « Une aventure de Spirou et Fantasio par … » a pour objectif que les auteurs donnent leurs visions des personnages. Lorsque l’on demande à Frank Miller de faire un Batman, ce n’est pas pour qu’il invente une histoire classique. Il a apporté son univers, sa vision à ce personnage. Nous ferons de même avec Spirou et Fantasio.

Quelles sont les livres qui vous ont donné envie de devenir auteur ?

Enfant, j’ai lu beaucoup de classiques : Boule & Bill, Gaston Lagaffe, Tintin, etc. J’ai été marqué par un recueil du journal de Tintin qui rassemblait quelques numéros. Je commençais le recueil en lisant une aventure de Ric Hochet, sans en connaître le début. Et je le terminais avec Jugurtha en loupant les vingt dernières pages. Comme j’étais terriblement frustré de louper une partie de ces histoires, j’inventais les parties manquantes !
Sinon, durant ma jeunesse, j’ai apprécié Rataplan (de Berck & Duval), Bernard Prince (de Hermann et Greg), Astérix (de Goscinny & Uderzo), etc. Cela allait des grands classiques à des BD plus anecdotiques. J’aime cette diversité, et je la défends ! J’espère bien qu’à quarante balais, vous ne lisez plus Rataplan, mais n’oubliez pas que quand vous avez eu sept ans, vous aviez envie d’histoires qui contenaient « des grottes et des passages secrets ». Et donc, vous aviez envie de lire des Foufi, et des BD de cette sorte …

Vous avez deux projets chez Sandawe. L’un avec Godi (Suivez le guide) et l’autre avec E411 (Maître Corbaque). Qu’est ce qui vous stimule dans cette forme d’édition où les internautes se transforment en investisseurs pour financer un projet auquel ils croient.

Je n’y connais rien. Mais ma génération a encore des réflexes de vieux. Je suis quelqu’un qui allume sa radio à huit heures pour avoir la météo, alors qu’il suffit d’aller sur Internet. Je suis un peu comme cela. Je dois combattre de vieux réflexes, et je sais qu’il y a des musiciens qui se sont fait connaître via ce genre de site. Pourquoi ne pas le faire de cette manière avec des projets de BD ? Il faut rester ouvert pour ne pas devenir un vieux con !

(par Nicolas Anspach)

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Des textes d’actualité :
- L’élève Ducobu : un cancre qui réussit (Juin 2010)
- Le Flagada reprend son vol (Mai 2008)

Des interviews de ses co-auteurs :
- Christian Darasse : "Dans 80 % des cas, la Première Fois est un acte très romantique (Septembre 2009)
- Godi : "La série "L’élève Ducobu" est un petit théâtre de marionnettes autour de l’école" (Juillet 2009)

Des chroniques d’albums :
- Lydie
- La Vieille dame qui n’avait jamais joué au tennis
- Tamara T6


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Photos : (c) Nicolas Anspach

[1Région minière de la Belgique. NDLR.

L’élève Ducobu Le Lombard Dargaud ✍ Zidrou ✏️ Nicola Gobbi ✏️ Jordi Lafèbre
 
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