Autre temps, autre mœurs. On aurait sans doute ri si on nous avait présenté ce type de concept il y a quelques années : treize dessinateurs pour treize albums, un par mois, le tout orchestré par un scénariste qui doit approcher les 250 titres au compteur.
Mais voilà, avec les séries qu’on avale goulûment à la télévision, le public a changé et se révèle insatiable pour consommer encore et encore un produit qu’elle a apprécié.
D’un autre côté, le marché de la bande dessinée s’est lui-même auto-projeté dans cette direction : elle n’est plus réservée qu’à la jeunesse, les lecteurs se multiplient et achètent plus ; l’offre augmente pour suivre la demande qui se segmente en séries balisées (spin-offs ou séries concepts). Résultat : des dessinateurs confirmés se mettent dans l’équipe en espérant tomber un jour sur le scénario qui les rendra incontournables. Un effacement de l’auteur au profit de la série qui ressemble bien à une américanisation de nos méthodes de production.
En suivant la règle de 20-80 %, cette réflexion est loin d’être idiote, car ces concepts formatés permettent d’engranger des bénéfices qui devront obligatoirement être réinjectés dans des nouveautés ! Un investissement plus risqué, certes, mais qui s’avère rentable sur le long terme, grâce aux futurs grandes séries qui en émergeront.
Dans sa présentation 2011 à Angoulême, Guy Delcourt himself décortiquait les chiffres de mise en place et de vente de Jour J : dès la parution des troisième et quatrième tomes, les chiffres de réassort des premiers volumes parus quelques mois auparavant augmentaient de manière exceptionnelle, ce qui entraînait automatiquement la réussite programmée des cinq premiers titres.
Pour forcer le trait, un directeur commercial sans aucun lien avec Delcourt nous expliquait récemment : « Le lecteur a besoin de points de repère. C’est un peu comme acheter un hamburger dans un fast-food : on ne s’attend pas à tomber de sa chaise en le dégustant, mais on est certain de ne pas faire de mauvaise surprise, et de satisfaire le besoin premier de son achat. »
Zodiaque : un manque d’originalité compensée par de l’efficacité
Puisque le lecteur apprécie ce type de format, puisque les auteurs s’y retrouvent, tout autant que les éditeurs, il n’y a pas de raison de rechigner en ces temps incertains. Bien entendu, chaque grande maison voudra cultiver sa différence (une approche ‘nouvelle vague’ pour Les Autres Gens, le jeu scénaristique dans Alter Ego ou Destins, etc.), mais Delcourt assume fort bien l’identité de son concept : plus l’approche sera transparente, moins le lecteur hésitera à acheter l’album : « Le dessin semble bon, j’ai bien aimé les séries du scénariste, se dit le quidam, je vais m’en prendre un ou deux selon le signe astrologique et on verra si la sauce prend... »
Et cela prend même plutôt bien, mais laissons Corbeyran nous présenter la structure qu’il a construite autour l’idée de son éditeur :
"Chaque signe du Zodiaque est unique, mais il est également la continuité du précédent, en même temps qu’il prépare l’avènement du suivant. Le Zodiaque forme un cercle dont chaque élément, chaque signe, apporte sa contribution à l’élaboration d’un ensemble plus grand. C’est sur ce modèle que la série « Zodiaque » a été pensée. Elle se présente comme une chaîne où chaque maillon révèle un nouveau protagoniste, de nouveaux personnages et un nouveau mystère.
Chaque album plonge le lecteur dans un univers distinct : la politique, la finance, la médecine, le crime, la justice... Les douze tomes sont donc lisibles indépendamment car, à l’instar de chaque signe, chaque récit possède une vie intrinsèque et une énergie propre. Au fil de la lecture, cependant, apparaît le sentiment qu’une autre histoire est en train de se dérouler : une histoire cachée, une histoire plus mystérieuse, mais aussi plus vaste, plus globale. Une histoire où chaque protagoniste joue un rôle déterminant. Une histoire qui ne connaîtra son dénouement que dans l’ultime album de la série."
Le Défi du Bélier, Le Secret du Taureau
La série se lance en librairie avec deux albums ce mercredi 7 mars : la poursuite d’un serial-killer et la plongée dans les arcanes des traders de Wall Street donnent directement le ton très réaliste et convainquent d’entrée de la pertinence de l’approche.
La spécificité de la série est liée à sa légère touche fantastique : un don que possède chacun des personnages principaux, lorsqu’il porte un pendentif représentant son signe zodiacal.
Inutile de vous dévoiler ces secrets, mais sans être le moteur de chaque intrigue, les pendentifs sont bien entendu le fil rouge de l’ensemble ! D’où viennent-ils ? Pourquoi n’y en a-t-il qu’un par signe ? Ces pouvoirs sont-ils si déstabilisants que les deux premiers « héros » choisissent à un moment de s’en séparer ?
Ces pendentifs vont susciter bien enytendu la convoitise d’autres personnage, car s’il n’y a que douze signes zodiacaux, nous risquons donc de retrouver plusieurs personnages de chaque histoire qui sont nés dans la même période. Enfin, chaque album peut aussi dévoiler une partie des suivants : ainsi, le premier tome du Bélier met en scène la voyante du Gémeaux pendant quelques pages. On en découvrira plus sur cette mystérieuse femme au début du mois d’avril, dans le tome 3 : Le Choix du Gémeaux, une enquête qualifiée par l’éditeur de « parapsychique et rédemptrice » !
Derrière le fantastique qui a fait la renommée de Corbeyran (Les séries de Stryges, Uchronie[S] et bien d’autres), on retrouve aussi l’efficacité de sa construction et son analyse des personnages. Les caractères de ceux-ci sont bien entendu liés à la symbolique du signe zodiacal concerné : têtu pour les Béliers, fonceurs pour les Taureaux, etc. Chaque récit est aussi très bien construit et nous plonge dans un univers parfois déjà bien développé comme celui de la traque des sérial-killers dans le cas du T1, mais également dans l’univers plus mystérieux des traders. Entre intrigue, romance, passion dévorante, explications techniques, chacun des deux premiers tomes comblera les attentes du lecteur.
Bien entendu, chaque album se conclut sur une part de mystère, afin de pousser le lecteur à acheter les douze tomes, compléter le puzzle et satisfaire sa curiosité dans le treizième tome final, espérons-le, plus réussi et innovant que le dernier tome d’Uchronie[S], malheureusement assez décevant.
(par Charles-Louis Detournay)
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