D’étranges phénomènes secouent de sa torpeur le musée d’une petite ville de Nouvelle-Angleterre. Où est entreposé le sarcophage vieux de 42 000 ans du prêtre d’un antique culte oublié. Le sort de l’humanité semble réglé d’avance par un pacte maléfique passé entre ce dernier et des dieux de l’antédiluvien âge hyperboréen.
Le cours de ce funeste destin pourra-t-il être inversé par le major Damson et sa petite équipe de spécialistes du paranormal ? Eux qui vont se trouver confrontés au réveil du nécromancien et à son invocation d’un cortège de zombies de son acabit, de monstres surnaturels et de vers géants.
Ce ZombieWorld, classique du récit horrifique et fantastique, remonte lui à 1997. Il préfigure la forte relance du genre suscitée par Robert Kirkman. Pour rappel, après quelques balbutiements et une première apparition de Hellboy sous son aspect actuel dans Next Men de John Byrne, Mike Mignola le transforme en protagoniste de sa propre série, au départ fondée sur un script du dessinateur et coscénariste des Uncanny X-Men. Les aventures du démon rouge sont véritablement initiées avec Les Germes de la destruction (Seeds of Destruction, 1994).
Mike Mignola est alors auréolé par un prestige neuf, dû à son adaptation avec Howard Chaykin, au début de la décennie 1990 et qui a fait date depuis, du Cycle des Épées de Fritz Leiber. Comme John Byrne, Frank Miller et d’autres auteurs très populaires à l’époque, il se tourne vers Dark Horse, créé de fraîche date (1986).
La maison d’édition de Mike Richardson, un libraire et distributeur de comic books du Milwaukie (près de Portland, Oregon), attirait à elle ces grands noms en leur offrant la possibilité de conserver les droits sur leurs créations (creator owning). Par contre, DC Comics ou Marvel, comme leurs principaux homologues, s’y refusaient depuis des décennies.
Hormis l’exploitation de franchises médiatiques très populaires (Alien, Buffy, Predator, The Mask, Star Wars, etc.), le procédé a bien fonctionné pour Dark Horse — [littéralement Cheval noir ou sombre], l’appellation désignant en anglais le vainqueur surprenant d’une course. Puisque cet autoproclamé outsider ou challenger inattendu est finalement devenu aujourd’hui le troisième éditeur de comic books aux États-Unis. Ceci s’est toutefois soldé par son récent rachat par une firme scandinave du jeu vidéo et du divertissement, Embracer (2021).
Durant une convention à Victoria, en Colombie britannique, Mike Mignola avait rencontré le Montréalais anglophone Patrick "Pat" McEown, un Canadien, comme J. Byrne cependant Britannique de naissance. Pat McEown avait été récemment distingué aux Eisner Awards avec Matt Wagner pour la mini-série Grendel : Warchild (Grendel : L’Enfant guerrier), un autre titre prisé de Dark Horse. Lorsqu’il se lance avec Mike Mignola dans l’amorce de ce qui avait pour ambition, au départ, d’être au moins une nouvelle mini-série.
En français, les trois épisodes produits au final ont été publiés par Albin Michel, peu après l’édition originale américaine (Dark Horse, 1997), sous le titre Zombies, le Maître des vers (1998). Conçue d’abord en noir et blanc, celle-ci est colorisée pour réédition en 2005. Depuis presque vingt-cinq ans, ce récit n’avait donc pas fait l’objet d’une republication en VF. C’est chose faite aujourd’hui chez 404 Éditions, dans une qualité supérieure.
Le traitement graphique choisit à l’époque par Pat McEown avait plutôt surpris, tranchant avec celui de Mike Mignola, aux contrastes entre le noir et le blanc plus radicalisés. Le père du cambion rouge parle en postface d’un dessin à la Hergé. Car il s’agit là de la référence la plus évidente pour un Américain dès lors qu’il est question de ligne claire.
Pat McEown, toujours en postface (voir le carnet de croquis commenté), apporte plus de précisions concernant ses modèles. Il cite en premier Yves Chaland. Il mentionne en plus l’illustrateur et designer new-yorkais Steve(n) Guarnaccia et, surtout, Roy Crane (Wash Tubbs and Captain Easy, Buz Sawyer).
Ce dessinateur clé a aboutit dans les années 1920-30 à la transition déterminante entre le registre originel dominant des comics strips à vocation humoristique — dont la désignation comics conserve le souvenir — et l’adventure strip plus réaliste. Le rôle d’incessant expérimentateur de Roy Crane, ainsi que de relais essentiel influençant plusieurs écoles graphiques américaines, celle à la ligne sombre de Mike Mignola incluse, lui a valu l’admiration des meilleurs dessinateurs d’outre-Atlantique.
Quant aux arguments de base de la trame de ZombieWorld, ils mélangent de vieilles recettes issues de récits de magazines pulps des années 1920-30 et de comic books d’horreur des années 1950-60 (EC Comics, etc.).
La mayonnaise prend grâce à l’enjeu apocalyptique, amené crescendo, que Mike Mignola réussit à lui conférer. Même si, sans aucun doute, un tel ressort narratif doit beaucoup à H. P. Lovecraft. Et sa portée s’en trouve maximisée par une fin laissée ouverte, paradoxalement par accident, due à une interruption imprévue au bout de trois épisodes seulement.
Une grande latitude a été laissée au dessinateur, selon une méthode scénaristique, façon Stan Lee, telle que pratiquée chez Marvel dans les années 1960. Ainsi, Pat McEown explique quelle fut sa part dans l’élaboration du character design des personnages, de l’attribution de leurs noms respectifs ou la définition de leurs personnalités.
On remarquera que cette équipe d’enquêteurs spécialistes du paranormal n’est pas sans rappeler celle des pourfendeurs du crimes du Doc Savage de l’éditeur Street & Smith. Les emprunts issus des publications pulps d’antan sont cultivés à foison. En dehors des clins d’œil à Robert E. Howard et à son Âge hyborien (fictif) ou de la présence de créatures cauchemardesques derechef d’inspiration lovcraftienne, Pat Mc Eown cite directement aussi Clark Ashton Smith.
Mieux, l’intérêt véritable de cette histoire réside davantage dans ce qu’elle nous permet de prendre toute la mesure de leur résonance sur le travail de narrateur de Mike Mignola, à ce moment encore en train de se mettre en place. En cela, ZombieWorld constitue un maillon essentiel, sinon une pièce manquante jusqu’ici pour une partie du public francophone, à une bonne compréhension de l’univers étendu de Hellboy. Car cette bande dessinée se dévoile constitutive de son élaboration.
D’évidence, le major Damson et ses assistants ont laissé leur empreinte dans le façonnage de l’une de ses pierres angulaires, le B.P.R.D. (Bureau for Paranormal Research and Defense, Bureau de Recherche et de Défense sur le Paranormal). Certes, celui-ci était déjà évoqué en 1994, au début des aventures de Hellboy, censées se dérouler en 1944, contre des occultistes nazis.
Mais, au sein du Hellboyverse, cette organisation secrète et sa troupe de choc ne devaient pleinement jouer leur rôle qu’une fois le démon rouge présenté comme en étant devenu démissionnaire. Ainsi advinrent les histoires spécifiques mettant en scène les autres membres du B.P.R.D., publiées à partir du début des années 2000.
Après l’intermède déterminant de ZombieWorld donc, cette franchise phare du comics indépendant devait prendre un envol décisif à cette période. Au point qu’elle connaîtra de nombreuses déclinaisons, y compris cinématographiques, alternant le moins bon ou le meilleur, avec Guillermo del Toro et sa notoire obsession tératologique.
(par Florian Rubis)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
"ZombieWorld, le Champion des vers" – Par Mike Mignola & Pat McEown – 404 éditions
Avec préface de Pat McEown, postface de Mike Mignola, un carnet de croquis commentés par Pat McEown et une galerie de couvertures.