Quiconque a lu Junji Ito une fois a forcément été marqué par son sens particulier du récit d’horreur qui part de situations anodines pour se transformer peu à peu en cauchemar infernal, omniprésent et sans échappatoire.
Dans sa nouvelle série écrite pendant le confinement de 2020 et parue en France chez Mangetsu en août 2022, l’auteur a pour la première fois expérimenté l’absence de limite de pages grâce à l’application digitale LINE Manga sur laquelle il a publié directement ses planches. Comme il l’explique en postface, il ne s’agit pas de nouveaux récits mais de trames existantes ou dormantes qu’il a réveillées et mises en images, sans limite à sa créativité.
Cela explique pourquoi les quatre histoires de ce premier volume sont très différentes les unes des autres et ne partent pas non plus des mêmes sources d’inspiration, même si la patte du mangaka est aisément identifiable.
Alors que Le Coteau des pleureuses décrit le calvaire d’une jeune femme qui ne peut plus s’arrêter de pleurer, Maudite Madone est un jeu sonore avec l’expression « madanna » qui signifie « maudit mari » en japonais. Cette anecdote éclaire différemment ce récit glaçant où les femmes tiennent une place importante.
Quant à La Rivière spectrale d’Aokigahara, il s’agit du reste d’une idée de scénario dans lequel l’auteur voulait faire évoluer le corps humain de façon filiforme pour lutter contre les vents solaires. Le rendu étant finalement jugé trop SF, les vents sont remplacés par des âmes, ce qui confère à cette histoire un côté à la fois délirant et dérangeant.
Enfin, Léthargie est une histoire qui a mûri et joue sur les peurs les plus profondes : que peut faire un être humain lorsqu’il dort ?
Un manga d’une qualité exceptionnelle
La collection consacrée au mangaka chez Mangetsu s’enrichit donc d’un nouveau tome toujours aussi soigné. La couverture en hardback brillant reproduit le décor de la forêt de La Rivière spectrale d’Aokigahara. Le dessin de surcouverture attire le regard avec l’effet miroir de sa figure féminine, centrale chez Junji Ito, et la profusion de détails à l’arrière-plan qui illustrent les quatre nouvelles.
Le style graphique inimitable du maître de l’horreur japonais se retrouve également dans la finesse de son crayonné et plusieurs pleines pages d’une qualité et d’un réalisme époustouflants. La noirceur, l’ombre, la folie sont représentés avec une facilité déconcertante et un trait assuré qui rendent la lecture encore plus immersive.
L’ensemble est complété par une préface de Fausto Fasulo, une postface de l’auteur et une analyse détaillée de chaque nouvelle par Morolian, le spécialiste francophone de Junji Ito.
Ce volume très complet devrait être suivi en 2023 de deux autres tomes.
(par Gaëlle BEDIS)
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