Zoom sur… Shindo L

Shindo L est un artiste qui compte de nos jours dans le paysage du Hentai. C’est aussi une signature qui fait vendre, pour preuve :

Source : compte Twitter @Pointmanga

Point Manga est, entre autres, le site officiel de vente en ligne de l’éditeur NihoNiba. Parmi les réimpressions d’albums mises en avant à l’été 2022, on retrouve notamment les deux recueils de Shindo L publiés chez cet éditeur. Remarquez l’album qui trône au milieu de cette photographie : il s’agit de Métamorphose qui fut ces dernières années très difficile à trouver dans le commerce ou en ligne. Il y avait pour ce livre une réelle attente, souvent exprimée sur le Net. Quelles seraient les raisons qui ont fait émerger un tel attrait du public pour les albums de Shindo L ?

Pour arpenter le chemin qui nous permettrait de répondre à cette question, nous sommes tentés dans un premier temps de vous soumettre une longue et intéressante interview de l’artiste menée récemment par le collectif anglophone de YouTubers Trash Taste : cet entretien de près de deux heures affiche 1,4 million de vues au compteur, un score remarquable toutes bandes dessinées confondues sur la plate-forme.

▼ Ci-dessous, l’interview complète de Shindo L par Trash Taste. Nous avons retranscrit dans cet article des réponses de l’auteur, issues de cet entretien, qui nous semblaient intéressantes à vous relayer.

Shindo L, un style bien affirmé et loin d’être consensuel

Iconoclaste et détonnant, le style narratif et graphique de l’artiste laisse rarement indifférents les lecteurs. Pour le meilleur ou pour le pire selon les goûts de chacun. Pour Shindo L, l’histoire est importante dans un manga érotique. Dans la plupart des récits que propose l’industrie du Hentai, il constate que sur une vingtaine de pages, il n’y en a souvent que cinq qui sont consacrées à développer une histoire et que les autres sont consacrées à une scène érotique. Avec des récits aussi peu développés ou de manière superficielle, les lecteurs ont l’habitude de passer les cinq premières pages pour aller directement à la scène érotique.

« L’histoire rend plus sexy. Il faut parvenir à intégrer l’érotisme dans l’histoire. »

C’est un souci d’écriture que l’on retrouve objectivement dans les albums de Shindo L : il raconte avant tout une histoire qu’il souhaite la plus intéressante ou détonante possible et intègre de manière la plus organique qu’il peut les ébats dans le récit. Avouons-le, les thèmes retenus par Shindo L sont souvent des thèmes clivants ou sensibles qui pourront rebuter une part non négligeable des lecteurs. Par exemple, dans le recueil Junai Irregulars (inédit en langue française), l’artiste met en scène une héroïne trentenaire qui a perdu ses bras et ses pieds à cause d’un violent accident de voiture. Lire Shindo L est très souvent un challenge pour les lecteurs car on peut s’attendre avec lui à des développements ou des scènes qui nécessiteront d’avoir le cœur bien accroché.

Quand Shindo L évoque son inspiration sur le plan graphique, il avance que sa principale motivation est de dessiner quelque chose qui lui plairait, mais qui n’est pas alors disponible sur le marché. Pour lui, dessiner une scène érotique pour un Hentai ou une scène de combat pour un Shônen nekketsu, cela revient du pareil au même : il faut essentiellement trouver le bon biais pour retranscrire le mouvement. On tient là peut-être l’idée directrice derrière ses caractéristiques planches dynamiques et détonantes.

De New-York au Japon, la trajectoire singulière d’un artiste

On a pris l’habitude au fil des dernières décennies de constater que les mangakas qui comptent au Japon sont exclusivement des artistes japonais. Eh bien, dans le domaine des mangas érotiques, ce n’est pas le cas : Shindo L est en effet natif du quartier du Queens, à New-York.

Sensible depuis longtemps à la pop culture nippone, Shindo L évoque, nous semble t-il avec nostalgie, l’animation japonaise dans les années 1990 où de grands noms du secteur travaillaient aussi dans la production d’animes pour adultes. On tient peut-être là une première influence qui a conduit plus tard l’artiste au souci du mouvement dans ses œuvres.

Le premier Doujin qu’a réalisé Shindo L fut inspiré par les films La Planète des singes, eux-mêmes inspirés par le roman de l’écrivain français Pierre Boulle. Pour l’artiste, Planet of the Apes est devenu dans sa parodie érotique Playmate of the Apes : nous n’avons pas lu ce Doujin de jeunesse, mais on ne doute pas au regard de son titre qu’il pavait déjà la route qu’allait arpenter Shindo L dans sa sulfureuse carrière.

Après l’université, Shindo L avait envie de faire du dessin son métier, mais le monde des Comics aux États-Unis lui apparaissait comme trop encadré. En grossissant le trait, il trouvait qu’il n’y avait qu’une manière de faire dans son pays natal et qu’on devait s’y conformer. Il eut pensé dans les premiers temps à se tourner vers le monde des Comix indépendants, mais il s’agit d’un marché de niche et il ne pensait pas forcément être le bienvenu avec ses productions érotiques. Le jeune artiste va donc se tourner vers un pays qui semble alors plus commercialement ouvert aux propositions érotiques en bandes dessinées : le Japon.

Arrivé au pays du Soleil Levant, Shindo L va accompagner le développement naissant d’Internet au milieu des années 2000. Il se lance alors en tant qu’indépendant avec ses Doujin, qui sont disponibles alors en téléchargement payant en ligne. À l’époque, le piratage des contenus culturels est en plein essor : les histoires de Shindo L sont alors massivement traduites sans autorisation depuis le japonais et rendues disponibles gratuitement sur de nombreuses plateformes. La popularité de l’artiste grandit sur le Net et c’est à ce moment-là qu’il est repéré par un éditeur nippon, le très solide Ti-Net, qui lui propose d’intégrer avec ses futurs récits son catalogue. Le succès jusqu’alors toujours grandissant au fil des années, Shindo L collaborera aussi avec WaniMagazine, l’éditeur leader du Hentai au Japon.

En associant la popularité de ses œuvres sur le Net au fait qu’il est l’un des très, très rares ero-mangakas à avoir dévoilé publiquement son identité [1], Shindo L est progressivement devenu l’une des figures les plus connues de l’industrie du Hentai de nos jours.

© Shindo L/WaniMagazine/Fakku

Métamorphose (2019, NihoNiba)

Le premier album de Shindo L qui a été traduit en langue française fut Métamorphose, probablement son œuvre la plus connue de nos jours. Et la plus clivante (ce qui n’est pas rien à écrire au regard de la bibliographie de l’artiste). Regardez, même brièvement, la première planche de cet album : il y a des chances pour que vous reconnaissiez celle-ci ou une illustration extraite de celle-ci, tant cette planche a servi ces dernières années de mème [2] sur Internet.

Métamorphose raconte l’histoire d’une lycéenne japonaise, nommée Saki, qui intègre son nouvel établissement. Alors qu’elle quitte le collège, elle prend conscience qu’elle n’a pas pris le temps de s’y faire des amis ; charge à elle de changer la donne dans sa nouvelle vie. Pour ce faire, Saki imagine que la meilleure façon d’y parvenir est de changer d’allure : adieu les lunettes, bonjour la nouvelle coupe de cheveux et un maquillage plus élaboré.

Et ça fonctionne : Saki commence à faire tourner des têtes sur son passage, notamment celle du dénommé Hayato. Celui-ci a repéré dans la rue la lycéenne et il n’hésite pas à commencer à la draguer : Saki ayant aucune expérience sentimentale, elle ne se méfie pas de ce jeune homme qui se révélera être une ordure de la pire espèce. En effet, pour pouvoir coucher rapidement avec Saki, il ne va pas hésiter à la droguer à son insu. Sans être consciente du drame dont elle est victime, l’héroïne va naïvement associer le sexe et la prise de drogues.

Ce début d’intrigue on ne peut plus sensible n’est que « le début » justement : la descente aux enfers de Saki est très violente et rappelle sensiblement l’esprit du film Requiem for a Dream du cinéaste Darren Aronofsky. Métamorphose est connu pour être un album déprimant, aux thèmes dérangeants et au contenu érotique qui pose question au lecteur. En effet, si l’on considère cet album avant tout comme un Hentai, difficile de considérer son contenu comme récréatif… Au regard de la vision exprimée par l’auteur sur ce que peut être l’élaboration d’un récit, on peut imaginer qu’il nous raconte ici avant tout une histoire sombre où le contenu érotique vient s’insérer comme un thème comme un autre dans ce contexte d’une noirceur certaine.

Le titre de cet album a pour référence directe une œuvre de l’écrivain Franz Kafka, à savoir La Métamorphose. Peut-être est-ce là une manière de souligner les réactions très toxiques dans le récit de Shindo L des proches de Saki, comme celles de son père ou de ses camarades, face à sa volonté ingénue de présenter un nouveau visage au monde.

Shindo L’s Cultural Anthropology (2020, NihoNiba)

Le deuxième album de Shindo L qui a été traduit en langue française fut Shindo L’s Cultural Anthropology. Il s’agit du titre qui a accompagné le lancement de la collection OHNI chez l’éditeur NihoNiba, cet acronyme signifiant « Objet Hentai Non Identifié ». L’objectif de cette collection est de présenter des Hentai aux contenus identifiés comme différents, n’hésitant pas par exemple à piocher des thématiques du côté du fantastique ou du surnaturel. La collection OHNI ne pouvait rêver meilleur ambassadeur que ce premier album.

© Shindo L/Ti-Net Co., LTD./NihoNiba

On suit ici les aventures de Naomi Miyashita, une étudiante en anthropologie culturelle. Passionnée par la matière, elle endure des sarcasmes permanents de la part de son directeur de recherches, le professeur Itsuki. La particularité de ce dernier est d’être un brillant doctorant âgé de seulement neuf ans, émancipé par l’État japonais pour qu’il puisse enseigner à l’université ! Le professeur Itsuki est un fervent adepte des études de terrain, il parcourt donc le monde en compagnie de ses élèves, Naomi et Sakura, afin de documenter au mieux possible ses futures publications. Hentai et Shindo L obligent, le diable se cache dans les détails : bien trop jeune pour aller au plus près des pratiques culturelles qui attisent sa curiosité, le professeur Itsuki n’hésite pas à envoyer Naomi et Sakura à sa place pour participer à ces rites et récupérer le plus de données possibles. Et pour cause : la plupart de ces études portent sur des pratiques culturelles qui incluent des rapports sexuels.

© Shindo L/Ti-Net Co., LTD./NihoNiba

Ce tour du monde des croyances liées à l’érotisme permet à Shindo L de mélanger les influences culturelles et d’offrir un visage exubérant à son récit. On aura ainsi dans cet album une relecture érotico-nippone du destin des pythies de Delphes à l’Antiquité grecque, un développement des plus explicites à partir de l’estampe nippone du Rêve de la femme du pêcheur par Hokusai dans un cadre inspiré par Le Cauchemar d’Innsmouth de l’écrivain H.P. Lovecraft, un jeu autour des stéréotypes sur les peuples vivant dans des espaces reculés comme ici la Nouvelle-Guinée et enfin, une rencontre détonante entre la pratique du Vaudou et la croyance Shinto du Japon. Le contenu érotique de cet album est assurément clivant et pourra rebuter une part non négligeable des lecteurs, mais on ne peut que respecter la capacité ici démontrée de Shindo L à surprendre son lecteur, celui-ci ayant bien du mal à anticiper les fantaisies érotiques imaginées par l’auteur.

TSF Monogatari (2021, Hot Manga)

Le dernier album de Shindo L qui a été traduit en langue française fut TSF Monogatari. Dans ce recueil, l’artiste développe une intrigue autour de la question du genre et du changement de sexe.

On y suit les aventures de Takumi Musashino, un étudiant qui est frappé par un violent cancer en phase terminale. Résigné à mourir, Takumi reçoit la visite d’une doctoresse représentant un grand groupe pharmaceutique : ils lui proposent de tester une nouvelle thérapie génétique dont les effets secondaires ne sont pas encore connus. Takumi accepte le nouveau traitement et guérit grâce à celui-ci.

Ce traitement a toutefois un effet secondaire inattendu : le corps de Takumi a totalement changé, devenant celui d’une jeune femme. De retour à l’université, ses camarades peinent à reconnaître Takumi, même si celui-ci leur affirme qu’il reste le même et selon ses propres mots, « [Il est] toujours un mec à l’intérieur ».

© Shindo L/Ti-Net Co., LTD./Hot Manga

Ce changement involontaire de sexe va modifier son rapport aux autres. Son amie Azusa Sogahara va ainsi l’aider à accepter son nouveau corps de femme, tout en lui cachant que ses sentiments amoureux à son égard existent toujours malgré son changement de sexe. C’est déjà plus compliqué avec son ami d’enfance Ryou, qui ne voit pas en Takumi aujourd’hui son ami d’avant. Pour Ryou, Takumi est mort et ne peut pas être cette jeune femme qui semble le dégoûter…

Cette nouvelle perception qu’ont les autres de Takumi ne va pas faciliter sa vie : tous ses camarades étudiants à la recherche de leur premier rapport sexuel veulent que Takumi les dépucelle. Ils pensent ainsi qu’il est plus simple de demander à un jeune homme de leur âge dans le corps d’une femme de les aider, plutôt que d’essayer de bâtir une relation avec une femme. Très vite, ces étudiants vont faire fi du consentement de Takumi, qui sera la victime de leurs excès. Une situation d’autant plus problématique qu’un nouvel effet secondaire apparaît : tout le corps de Takumi est devenu une zone érogène très sensible, le privant très vite de tout discernement lorsqu’il est excité. Parviendra t-il malgré ces obstacles à faire coïncider son identité et son nouveau genre ?

© Shindo L/Ti-Net Co., LTD./Hot Manga

À la lecture de ce synopsis, on ne le croirait pas mais TSF Monogatari a un esprit globalement plus positif que Métamorphose. Ici aussi, le personnage principal subit des violences qui pourront rebuter une part non négligeable des lecteurs, mais Shindo L parvient progressivement à faire évoluer son héroïne dans la construction de son identité. TSF Monogatari apparaît comme le récit d’une transition positive pour Takumi, surmontant les problèmes que lui pose la société à ce sujet. Dans l’absolu, c’est aussi un album qui apporte une altérité bienvenue car il est l’un des très rares à nous être parvenus qui traite du thème de l’identité transgenre.

Source : compte Twitter @Shindo_L

L’actualité de Shindo L

Comme le montre ci-contre le stand de l’artiste au Comiket 100 [3] qui s’est tenu en août 2022 à Tokyo, Shindo L est particulièrement actif au sein de son cercle de Doujin, nommé Da Hootch. Depuis de nombreuses années, l’artiste est capable d’y proposer autant des Doujin développant son propre univers, comme des chapitres supplémentaires pour TSF Monogatari, que des Doujin parodiques de licences connues comme Dragon Ball Super ou de jeux vidéo comme Dragon Quest ou Danganronpa.

Ces chapitres supplémentaires de TSF Monogatari témoignent par ailleurs de l’influence de Shindo L sur les autres artistes de l’industrie du Hentai. Ainsi, ces nouveaux chapitres sont proposés par l’artiste lui-même, mais aussi par d’autres auteurs qui viennent apporter leur pierre à l’édifice. Parmi ces nouvelles signatures, on retiendra prioritairement celles des auteurs connus comme Meme50 (publié en langue française avec les albums Cheeky & Chubby et Louder & Lewder chez l’éditeur NihoNiba) ou Mizuryu Kei (auteur ayant sa popularité au Japon, mais pas encore traduit sous nos latitudes) ; signe évident de la capacité de Shindo L à réunir du beau monde autour de lui.

Nous n’avons pas d’information officielle ou exclusive à vous relayer quant à la sortie prochaine d’un album de Shindo L, mais une célèbre chaîne de magasins culturels dont le nom est un acronyme composé de quatre lettres annonce sur son site l’arrivée prochaine d’une telle référence.

Est-ce que The Pink Album sera bien une prochaine nouveauté pour la collection NihoNiba ? Peut-être, qui sait… Toujours est-il que cette enseigne a eu en avance la bonne information concernant Is My hooby weird ?, qui sortira bel et bien à la fin de ce mois de septembre 2022. Nous aurons très certainement l’occasion de vous présenter ce titre dans la rubrique Adulte à l’occasion d’une future critique.

Comme nous avons essayé de vous le présenter à travers cet article, le style de Shindo L cache une écriture iconoclaste s’emparant de sujets de société sensibles. Sous son aspect tapageur, les lecteurs découvriront avec cet artiste des récits plus élaborés qui questionnent les sujets où la scène érotique est aussi réfléchie que le récit. Les lecteurs intéressés peuvent laisser leur curiosité donne une chance à ses albums.