C’est à l’âge de 36 ans, en 1940 que son chemin bifurque. Auparavant, il avait même fait ses débuts officiellement à l’Opéra de Lille, et avait été choriste pour Mistinguett en 1922, mais la guerre intervient, la frontière entre la France et la Belgique se ferme (il n’y avait pas Schengen, à l’époque) et notre chanteur, qui faisait du dessin de décoration pour les grands magasins bruxellois pour survivre, doit se rabattre sur le premier de ses dons, le dessin. Il avait fait des études de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles où il avait rencontré Jacques Laudy et Jacques Van Melkebeke qui prêteront plus tard leurs traits à Blake et Mortimer.
En 1940, Laudy, justement, le présente à Jean Dratz, un peintre qui, lui aussi, a dû se rabattre sur une activité lucrative comme directeur artistique et rédacteur en chef du journal belge de bande dessinée Bravo. Jacobs y fait bon nombre d’illustrations puis, les Allemands ayant interdit l’importation de BD américaines, il est amené à faire un erzatz de Flash Gordon intitulé Le Rayon U, un ancêtre de Blake et Mortimer auquel Jean Van Hamme s’apprête de donner une suite en 2022.
De son côté, Jacques Van Melkebeke, devenu journaliste, lui présente Hergé au service duquel, il avait écrit un pièce de théâtre : Tintin aux Indes. Cette rencontre va changer la vie de Jacobs et parallèlement celle d’Hergé.
À Jacobs, Hergé va transmettre les rudiments du 9e art, le sens de la narration, le côté loustic du dessin même dans le registre réaliste. À Hergé, Jacobs apportera davantage de rigueur graphique et, sans doute avec l’aide de Jacques Van Melkebeke, un érudit des littératures populaires, un sens de la mise en scène, du spectacle qui ne le quittera plus. Ajoutons la mise au point de la couleur si caractéristique, la colorimétrie, des albums de Tintin, dans leur version en couleurs de 64 pages.
On retrouve Jacques Van Melkebeke, mais aussi Laudy, à la fondation du Journal Tintin en 1946. Avec, dès le premier numéro, les premières pages de Blake & Mortimer : Le Secret de l’Espadon, l’un des joyaux de l’École belge de bande dessinée.
La vie de Jacobs est très bien racontée dans la biographie que lui ont consacré Benoît Mouchart et François Rivière (aux Impressions nouvelles), le biographe d’Agatha Christie et celui de Jacques Van Melkebeke (À l’Ombre de la Ligne claire, aux Impressions nouvelles également). Ils ont mis en commun leurs connaissances encyclopédiques de l’époque pour éclairer l’homme et l’œuvre avec une acuité parfaite.
Une biographie en BD
On en retrouve des éléments dans le biopic en bande dessinée que lui ont consacré Philippe Wurm et le même François Rivière : Edgar P. Jacobs – Le Rêveur d’apocalypses, chez Glénat.
Graphiquement, c’est une merveille parce que Wurm, qui est vraiment un héritier de Jacobs pour le dessin, restitue merveilleusement les ambiances de Bruxelles ou du Brabant wallon dans l’avant-guerre et l’après-guerre avec un souci du détail absolument bluffant qui exhale un doucereux parfum de nostalgie.
Le fil du récit est celui des créations de l’artiste, de L’Espadon aux Trois formules du Professeur Sato, et donc de cinquante ans de l’histoire de la bande dessinée belge avec moult détails et anecdotes. On regrette juste une représentation du dessinateur en personnage hésitant voire velléitaire, ce qui ne correspond pas au souvenir que j’en ai. Mais l’exercice est remarquable et, se laissant aller à des jeux esthétiques réjouissants, on peut dire que Wurm a fait là son chef d’œuvre.
Blake & Mortimer de A à Z
On ne peut conclure cette chronique sans signaler le numéro spécial du Monde, Blake & Mortimer de A à Z, spécial anniversaire 75 ans d’aventures. D’ « archéologie-fiction » à « Z’ong », en passant par « By Jove », « Centaur Club » ou « Marque jaune », c’est tout l’univers de Jacobs qui est revisité à travers ses images les plus iconiques. Une belle introduction à la lecture pour un prix modeste : 7,95€.
Voir en ligne : - « Blake et Mortimer de A à Z – Numéro anniversaire : 75 ans d’aventures. » Le Monde hors-série – 7,95€
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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