Ne gâchons pas notre plaisir, le FIBD a au moins réussi cet exploit : faire sortir Bill Watterson de son silence. Il fait l’affiche et ce sera bien tout : sa collaboration au prochain festival s’arrête là. Il prête néanmoins certaines de ses planches à une exposition qui lui sera consacrée et rien que cela, c’est déjà une très grande nouvelle. Voir de visu les rares planches visibles de Calvin & Hobbes sera en soi une grande expérience.
Sur l’affiche en question, n’y cherchez pas le gamin et le tigre, la principale raison pour laquelle Watterson a été élu en janvier dernier par quelque 1300 "ravis de la crèche" manipulés dans un scrutin houleux et contestable : "Je n’ai jamais utilisé mes personnages pour promouvoir autre chose que mon propre travail, déclare Watterson au gratuit 20 Minutes. Et là, il s’agit de promouvoir la BD dans son ensemble."
Pour ce faire, il livre une parodie des comic strips du début du XXe siècle, un peu comme Spiegelman dans À l’Ombre des tours mortes.. Un scénario à la Mack Sennet qui n’a rien d’une affiche, mais le FIBD s’en débrouillera, il a vu pire.
Au niveau de la programmation, les successeurs de Benoît Mouchart étaient attendus au tournant. Résultat : on ne mise que sur des valeurs sûres.
Une exposition Jirô Taniguchi, l’auteur japonais révélé par Frédéric Boilet pour Casterman a fait son bout de chemin depuis que son album Quartier lointain a été primé à Angoulême en 2003. Depuis, ses ouvrages se sont enchaînés, abordant aussi l’univers de la montagne que celui de la littérature, toujours dans une touche très personnelle.
Le "King" Jack Kirby (1917-1994) se trouve lui aussi à l’affiche. Celui qui a forgé pour ainsi dire la grammaire du comic book, le créateur des X-Men, de Fantastic Four, de Hulk, de Thor et de bien d’autres super-héros se trouve pour la première fois exposé de façon massive à Angoulême. Un accrochage qui accompagne l’exceptionnel travail patrimonial mené ces dernières années par Urban Comics et Panini Comics qui se sont employés à rendre disponibles les œuvres de cet auteur majeur de la bande dessinée américaine.
Patrimoniale aussi, la bande dessinée finlandaise Les Moomins de Tove Jansson qui auront 70 ans en 2015. Un auteur que l’on avait déjà vu au Centre Belge de la BD en 2005.
Nostalgie également que cette rétrospective Alex Barbier découvert en 1974 dans Charlie Mensuel et qui a annoncé son arrêt de la bande dessinée au profit de la peinture. Sa manière de dessiner et de raconter annonce en effet la production de Fremok, un label qui est devenu aujourd’hui son éditeur.
Des générations plus récentes pointent leur nez cependant, avec un hommage rendu à Anouk Ricard et ses personnages d’Anna et Froga dont l’intégrale vient de paraître aux éditions Sarbacane. Une BD révélée par Gwen de Bonneval dans la revue Capsule Cosmique en 2004.
Les Flamands nous reviennent à Angoulême avec Nix et ses personnages de Kinky & Cosy créés en 2001 et publiés au Lombard.
La maison de bande dessinée alternative bruxelloise L’Employé du moi créée en 1999 et qui révéla des auteurs comme Sacha Goerg, Max de Radiguès, Simon Roussin ou Ulli Lust..., et qui lança en 2001 la plateforme de création Grandpapier.org, est également accrochée aux cimaises de cette édition angoumoisine.
Un scénariste se trouve à l’honneur en la personne de Fabien Nury (Il était une fois en France, Tyler Cross, W.E.S.T, L’Or et le Sang, Silas Corey…), un scénariste majeur de notre temps en pleine force de travail et qui trouve là une forme de consécration.
On nous annonce une centaine de rencontres, des concerts consacrés au blues (nostalgie encore) et les habituelles activités dédiées aux sponsors. Une édition dans la droite ligne des précédentes.
Le coup de force de 9e Art+
Par ailleurs, nous vous en parlions encore voici quelques jours, les tensions augmentent entre l’Association du Festival, propriétaire de la manifestation et la société organisatrice du Festival, 9e Art+, à laquelle avait confiée l’organisation dans un contrat de dix ans dont l’échéance tombe en 2017.
Après avoir proposé de recevoir sans contrepartie 50% de la marque, on apprend par un article de Maurice Bontinck et Richard Tallet dans La Charente Libre que 9e Art+ vient de tenter un coup de force en déposant les deux marques, « Festival de la BD d’Angoulême » et « Festival d’Angoulême », sans prévenir les élus ou l’association du FIBD : "Le patron de 9e Art+, qui organise le festival depuis 2007, a déposé, au nom de sa société, deux marques : « Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême » et « Festival d’Angoulême ». Sans prévenir personne. Pas plus l’association qui lui a signé le contrat d’organisation pour dix ans, que les collectivités qui financent l’événement à hauteur de 2 millions d’euros chaque année" écrit le quotidien angoumoisin.
L’adjoint à la culture de la Ville d’Angoulême, Samuel Cazenave, dénonce ce qu’il appelle une "déloyauté". L’actuel président du FIBD, Patrick Ausou déclare : « le coup des marques, ça flingue tout le monde. »
"Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre" dit un adage latin, traduction d’une tragédie grecque perdue. Après avoir détruit l’Académie des Grands Prix, facteur majeur de l’identité du FIBD, après avoir envenimé les relations avec La Cité de la BD, ce qui aboutit au départ de son directeur Gilles Ciment, Frank Bondoux vient peut-être là de faire la manœuvre de trop.
Au-delà du fait que ces maladroits dépôts de marque ne résisteront pas devant un quelconque recours en référé, 9e Art+ prend le risque de voir son contrat résilié plus tôt que prévu, par sa faute. Car dans son contrat avec le FIBD, une clause prévoit que l’esprit du Festival doit être préservé. Or comment peut-il l’être face à de telles manœuvres clandestines ? « La dénonciation du contrat est inéluctable à l’issue du prochain festival », assène Patrick Auzou, le président du FIBD, jusqu’ici prudemment rangé parmi les soutiens de Franck Bondoux.
Ce serait une bonne chose, histoire de remettre un peu de bon sens et de respect des deniers publics dans cette gestion. Cette omnipotence de 9e Art+ nous a toujours semblé être une entrave au développement harmonieux d’un festival vers lequel jusqu’ici convergeaient toutes les forces qui voulaient promouvoir et défendre la bande dessinée. C’était ce qui avait fait son succès et le sens de la lettre ouverte de Didier Pasamonik à la ministre de la culture en janvier dernier : il faut réduire les prérogatives de l’organisateur du salon au profit des acteurs culturels locaux (La Cité, Magelis, l’ESI...) ou concernés par le 9e art (les éditeurs, les auteurs...).
Interrogé par La Charente, Franck Bondoux prétend qu’il a fait cela "pour protéger le Festival". Pourquoi n’en a-t-il pas parlé aux premiers concernés ? Pourquoi le dépôt de marque est-il fait au nom de 9e Art+ et pas au nom de l’Association du FIBD qui en est légalement la propriétaire ?
La même Charente rappelle opportunément que Bondoux a "depuis son arrivée, [...] toujours refusé de rendre publiquement des comptes, malgré un financement majoritairement public."
Nous avions en son temps rapporté l’enquête de la Charente Libre mettant en lumière les curieux montages financiers qui se trouvaient derrière la gestion du Festival. "Quand CL a tenté d’y voir plus clair dans le montage de ses sociétés, raconte opportunément le journal, il a attaqué en justice. Qui l’a débouté et condamné à verser 3.000 €."
On sait que Franck Bondoux est coutumier de ce genre de bras de fer qui intervient juste avant la conférence de presse de la prochaine édition du FIBD qui a lieu traditionnellement à la fin novembre. Jusqu’ici, il avait réussi à faire plier ses adversaires. Qu’il se méfie : l’addition des forces en présence pourrait finir par avoir raison de ses ambitions.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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