Les Fauves sont lâchés. Marqué par une fréquentation record, le FIBD d’Angoulême a délivré ses récompenses attendues, couronnant comme de coutume depuis plusieurs années, l’édition alternative. Comme les ventes de mangas représentent davantage que 50% des ventes de nos jours, le FIBD est bien obligé d’abattre le joker des « Prix d’honneur » pour honorer ses invités japonais. On n’a rien sans rien.
Ainsi, deux fauves d’honneur ont été respectivement attribués à Junji Itō et à Ryōichi Ikegami. Deux récompenses plus que légitimes pour deux auteurs aux parcours aussi différents qu’éblouissants. En effet, Junji Itō continue de fasciner et d’effrayer avec son exploration des névroses et des obsessions. Une plongée sans concession dans les abîmes de l’âme humaine, que les festivaliers ont pu redécouvrir avec l’« épouvantable » exposition qui lui est dédiée lors de ce cinquantenaire.
De son côté, Ryōichi Ikegami réalise depuis plus de soixante ans un carrière exemplaire au service de la narration et de son public. Des séries comme Wounded Man, l’illustre Crying Freeman ou le plus récent Trillion Game ont su fédérer les lecteurs derrière son indubitable talent. À cela se rajoute le fauve spécial de la 50e édition, décerné à Hajime Isayama, auteur de L’Attaque des titans, un des mangas cultes des années 2010, également exposé lors de cette édition.
Philippe Druillet a son Prix
Créé par le cofondateur de Métal Hurlant, Philippe Druillet, et l’éditeur-galeriste Jean-Baptiste Barbier,, le tout nouveau "Prix Druillet" récompense des artistes (dessinateurs ou scénaristes) ayant réalisé moins de trois albums. Pour cette première année, c’est Manon Debaye avec La Falaise (Sarbacane) qui rafle la mise.
Un Prix Konishi plus loin (prix récompensant les traducteurs) décerné à Dai Dark - Tome 1 de Q Hayashida, attribué au traducteur Sylvain Chollet (Éditions Soleil), c’est au tour du Fauve de la série, d’honorer Liens du sang de Shuzo Oshimi (ed. Ki-oon), qui, selon Marc Vandermeer : « ...n’en finit pas de nous surprendre. Alors qu’on pensait la série sur une pente ascendante pour son héros, espérant pour lui qu’il puisse se relever après avoir subi l’amour toxique de cette mère possessive, voilà que tout bascule, à nouveau… Le lecteur n’est clairement pas au bout de ses peines, et c’est tant mieux. Grâce au maître de la psychologie, le public jouit de toutes les facettes d’un duo néfaste, sombre et mystérieux. Une mère et son fils, s’aimant jusque dans la folie. Se haïssant jusqu’au sacrifice. »
Quoi de neuf ? Goscinny !
Le Prix Goscinny, on le sait, récompense un scénariste émérite. Et c’est l’estimé Thierry Smolderen qui part cette année avec le trophée doté d’une somme conséquente. À la fois exégète de la bande dessinée (il enseigne à l’Ecole européenne supérieure de l’image d’Angoulême) et scénariste, le grand public le connaît entre autres grâce aux séries Gipsy et Les Dossiers d’Olivier Varèse avec Marini, Ghost Money avec Dominique Bertail et ou encore Marshall Blueberry en collaboration avec Vance & Giraud. Depuis plusieurs années, il s’illustre notamment avec une série de one-shots publiés aux éditions Dargaud dont le dernier en date, Cauchemars ex Machina dessiné par le fabuleux dessinateur argentin Jorge González, lui permet d’être ainsi légitimement récompensé.
Un second fauve salue une nouvelle scénariste, en la personne de Mieke Versyp pour Peau (Çà et Là). Marlène Agius n’avait pas tari d’éloges à propos de cet album : « "Peau" fait partie de ces albums auxquels on repense après la lecture pour y déceler un message caché, tant on tente de deviner chez les protagonistes les vraies personnes qu’elles incarnent, les multitudes de vies qui se cachent derrière cette relation anodine. »
Deux récompenses décernées ce jeudi, lors de la remise des Prix Découvertes, se retrouvent rappelés lors de cette cérémonie de ce samedi. Il s’agit d’un côté de La Longue Marche des dindes de Leonie Bischoff adapté de BathleenKarr (Rue de Sèvres), ainsi qu’un prix spécial pour Toutes les princesses meurent après minuit de Quentin Zuttion au Lombard, à propos duquel Kelian Nguyen expliquait dans nos pages : « Les Princesses meurent après minuit convoque en chacun de nous des thèmes universels. L’album nous prend par la main et nous promène dans nos propres souvenirs d’enfance, pour questionner au fond de nos cœurs les douleurs furtives et pourtant brûlantes qui ont fini par nous façonner : celle que les versificateurs sans imagination appellent parfois l’amour avec un grand A. »
Quant à La Longue Marche des dindes (le second album de Léonie Bischoff primé consécutivement au FIBD après Anaïs Nin), Louis Groult écrivait : « L’album a l’intelligence d’évoquer tous les grands thèmes de l’Amérique de l’époque (l’esclavage, le massacre des tribus indiennes, la place des femmes, l’alcoolisme, la violence …) et de les mettre à la portée des enfants. Le récit n’est pas édulcoré et permet aux enfants de saisir l’ampleur de ces thèmes tout en les préservant d’un choc émotionnel trop fort. De plus, l’histoire est empreinte d’une belle morale qui fait refermer l’album avec le sourire. »
Par le biais de son partenaire ferroviaire, le festival met à nouveau un jeune auteur à l’honneur. Hound Dog (Denoël Graphic) est le deuxième album de Nicolas Pegon. Cet auteur formé à l’animation, livre un récit à l’atmosphère très travaillée, poisseuse, presque glauque. « L’ensemble rappelle les romans de Jim Thompson ou de Dennis Lehane, nous disait Frédéric Hojlo. Dans cette Amérique déliquescente, deux paumés se retrouvent, en voulant se débarrasser d’un chien, à élucider la mort de son propriétaire. Un récit sombre, où l’ambiance et le contexte comptent au moins autant que l’intrigue. »
Restons dans la bande dessinée dite indépendante avec le Fauve de la BD alternative, attribué au collectif catalan Forn de Calç, chez Extinció Edicions.
L’Espagne décidément à la fête, car l’autrice Ana Penyas, déjà primé trois fois dans son pays, est distinguée par l’Éco-fauve Raja pour Sous le soleil (Actes Sud L’An 2). « L’autrice attaque au tourisme de masse qui touche la ville de son enfance, Valence. Sous une forme très moderne, elle mêle force documentaire et tranches de vie locale. Dans un format à l’italienne, les images surprennent, déroutent parfois : du dessin au crayon de couleur, avec collages, photos retouchées, répétitions de formes, insertion de séquences documentaires avec témoignages d’époque… Il y a dans ce roman graphique autant de modernité que de critique politique. »
Fauve Patrimoine, Prix du public France télévisions et Fauve des lycéens
Les Editions Revival sont légitimement récompensées pour leur travail patrimonial depuis cinq ans. Ce Fauve du patrimoine récompense Fleurs de Pierre d’Hisashi Sakaguchi, une série livrant le quotidien héroïque des résistants yougoslaves contre l’invasion nazie. Une perle narrative et graphique dégotée par l’ineffable Dominique Veret pour Vincent Bernière, amoureux de l’auteur.
Le jury des journalistes de France Télévisions ont pour leur part souhaité honorer Naphtaline de Sole Otero (Çà et Là) qui retrace les questionnements d’une jeune femme qui tente de tirer des leçons de son histoire familiale. Un album qui n’avait pas non plus échappé aux radars d’ActuaBD.
Quant aux lycéens, ils décernent leur Fauve à Khat de Ximo Abadía (La Joie de lire), le journal d’un jeune Érythréen qui débarque à Valence parmi des centaines de migrants. Bien vu !
Fauves révélation et spécial du jury
Une Rainette en automne (Les Éditions de la Cerise), la somptueuse nouvelle bande dessinée de l’artiste suédoise Linnea Sterte, reçoit le Prix Révélation de cette sélection : « Elle met en scène un road trip animalier fantastique onirique traitant tant du rapport au vivant que du passage du temps, nous expliquait Thomas Figères. Une bande dessinée d’aventure d’une infinie douceur qui ne manquera pas de vous surprendre tout en vous invitant à la méditation. »
Et c’est Animan qui reçoit le Prix Spécial du jury. Rappelez vous comment Romain Garnier décrivait cette farce caustique : « Animan aborde des sujets aussi divers que le harcèlement, le rapport à l’altérité, le meurtre, la vengeance ou l’amour. On pourrait s’attendre à ce que toutes ces thématiques soient moins graves au prisme de son graphisme. Certes, dans un premier temps, cela engourdit notre ressenti. Puis notre vision graphique enfantine s’électrise, violentée par la monstruosité des situations. Ce va-et-vient entre le fond et la forme est une belle réussite que l’on retrouve dans plusieurs de ses bandes dessinées. »
Fauve d’or : The Prix du meilleur album
La cérémonie se termine par la récompense attendue par tous : le Fauve d’or remis à Martin Panchaud pour La Couleur des choses, chez Ça et Là, également primé par l’ACBD cette année, et qui rappelons-le, est le tout premier album de l’auteur.
Voici ce qu’en disait l’auteur sur ActuaBD : « L’idée était de raconter une histoire avec le minimum d’éléments possibles qui provient de ma formation de bande dessinée et de graphiste. Je me suis inspiré de l’adage du minimalisme "Less is more". Je me suis dit : « Je vais raconter une histoire en enlevant tout ce qui n’est pas nécessaire. » J’ai fait quelques essais et je me suis rendu compte que ça marche, que l’on comprend très bien l’histoire et que les personnages prennent vie. Au bout d’un moment, on ne voit plus des formes mais des personnages. »
Un palmarès qui s’offre à la découverte pour les esprits curieux mais qui, hormis les mangas, s’adresse à un public de passionnés.
(par Oussama KARFA)
(par Charles-Louis Detournay)
(par Kelian NGUYEN)
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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Photos : Kelian Nguyen (ActuaBD)
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