A l’initiative d’Isabelle Franquin, la fille de l’artiste qui prêta son prénom à la formidable série Isabelle, le CBBD accueille une exposition qui n’est ni exhaustive, ni didactique mais s’ouvre par un parcours historique, suivi d’une représentation fantasmée de l’ambiance de cette bouillonnante période.
Avec la complicité de deux spécialistes, Frédéric Jannin [1] et Hugues Dayez [2], Isabelle Franquin a imaginé « L’atelier de Franquin, Jijé, Morris & Will ». L’exposition met en lumière une période d’intense créativité, durant laquelle le mentor Jijé ouvrit les portes de sa maison à une génération de surdoués qui s’apprêtaient à révolutionner la manière de faire de la bande dessinée en Europe. Documents, planches originales, albums, objets évocateurs, et mise en scène ludique forment le contenu d’une exposition qui a le grand mérite de ressembler à l’esprit de ses sujets.
Isabelle Franquin nous raconte la genèse du projet : « Le Centre belge de la BD m’a contactée pour me proposer d’imaginer une exposition et j’ai pensé à ce moment-là. Cette période spécifique a marqué le début d’une belle amitié, et les échanges à l’atelier ont influencé leurs carrières respectives. C’était une rencontre humaine avant tout ». Plutôt que de se centrer uniquement sur Franquin, l’exposition ouvre la focale sur ses voisins de table, ce qui n’aurait pas déplu à ce grand modeste : « Absolument. Mon père aimait travailler en équipe, on a donc eu l’idée de créer un grand atelier avec les quatre. En 1947, quand ils sont arrivés chez les Gillain à Waterloo, ils se sont installés dans la chambre à coucher ! C’était incroyable, vous vous imaginez ? Quatre dessinateurs qui fumaient comme des pompiers, vous imaginez le désagrément et par là même, la tolérance d’Annie, la femme de Jijé ? ».
Dans cette ambiance de camp scout, Jijé ne prend pas la place d’un professeur. Isabelle Franquin poursuit : « Il avait dix ans de plus que Morris, Will et Franquin. Il avait donc quelque chose d’un grand frère. C’était une période formidable de leur existence, pleine de rire et d’une extraordinaire émulation ». Pour illustrer ces années de compagnonnage, la commissaire de l’exposition à souhaité mettre les quatre dessinateurs sur un pied d’égalité : « J’ai eu l’occasion de visiter le Musée Hergé, qui comprend une salle dédiée au Studio Hergé. Ce qui m’a frappé, c’est qu’aucun des collaborateurs n’était véritablement cité. Je trouvais ça un peu triste de ne pas expliquer qui faisait quoi, quel était l’apport de chacun, puisque c’est le propre de tout studio ou atelier : il y a des échanges entre les artistes. C’est aussi ce qu’on a essayé de montrer en créant l’Atelier de Franquin, Jijé, Morris et Will ». Avec un grand sourire, Isabelle Franquin déambule entre les journalistes massés dans l’exposition, visiblement impressionnée par leur nombre, et ravie de leur intérêt.
Pour l’aider dans sa tâche, Frédéric Jannin a été mis à contribution. « Isabelle était sensible au fait que son père avait toujours travaillé avec une bande de copains. C’est peut-être ça l’héritage principal de son séjour chez Jijé à Waterloo : ce côté familial et léger. En discutant, c’est l’idée qui est rapidement remontée à la surface. On voulait également montrer que ce moment précis est l’élément déclencheur de l’Ecole de Marcinelle. Puis on a réfléchi à un moyen de recréer un atelier grandeur nature, évidemment de manière allégorique. On a ajouté une introduction historique et des planches originales, car nous sommes au Centre belge de la BD, ça fait partie des prérequis de leurs expositions ». Pour figurer ce fameux atelier qui donne son titre à l’exposition, les commissaires ont fantasmé quatre grands bureaux où planent les esprits de Jijé, Franquin, Morris et Will. « Il y a les quatre bureaux des quatre grands, et un troupeau de petits bureaux pour les héritiers qui symbolisent la camaraderie, le travail avec les uns et les autres, et le fameux mot d’ordre de Franquin : Faites rire ! On est là pour ! » précise Fred Jannin. Le commissaire a également réalisé toute une série d’animation de dessins afin que l’ on ait l’impression une fois assis à la table des quatre, de les voir dessiner au-dessus de notre épaule.
JC De La Royère et Hugues Dayez se sont chargés de la rédaction des textes de l’exposition. « Isabelle Franquin avait eu l’idée de base, Fred Jannin s’occupait de la partie graphique et esthétique de la reconstitution des ateliers. Le directeur du CBBD m’a demandé d’avoir le point de vue de Sirius, comme ils avaient forcément un rapport très affectif à ces quatre auteurs », nous confie Hugues Dayez. « On est aux antipodes de l’exposition "Le Monde de Franquin", qui était un mastodonte qui tirait vers l’opération marketing. Ici, on est dans quelque chose d’atmosphérique, d’affectif. C’est une exposition en dehors des sentiers battus, où l’on montre autre chose que les stars de leur production. Nous avons essayé de faire un compromis (à la belge) entre quelque chose de sérieux et d’un peu historique, et quelque chose d’affectif et de chaleureux ». Un parti pris des trois commissaires qui permet à l’exposition d’une part de jouir d’un graphisme très aéré et élégant, et d’autre part de ne pas se couper des visiteurs du Centre qui sont des touristes internationaux qui ne connaissent pas forcément bien l’histoire de la BD franco-belge.
Le mot de la fin sera pour Isabelle Franquin : « Pendant la préparation de l’exposition, j’ai reçu une lettre très touchante de Jean-Claude Fournier qui disait ceci : Je crois que Jijé a communiqué à cette joyeuse équipe, outre un savoir faire et un savoir-vivre, une petite flamme qu’ils ont ensuite portée en eux, prête à être offerte à qui en voulait. Et André me l’a refilée ».
L’essence de la vie à l’atelier de Franquin, Jijé, Morris et Will tient dans cette phrase.
(par Morgan Di Salvia)
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Photos © M. Di Salvia
En pratique :
Exposition « L’atelier de Franquin, Jijé, Morris & Will »
Du 15 juin 2010 au 30 janvier 2011
Centre Belge de la Bande Dessinée
20 rue des Sables – 1000 Bruxelles
Ouvert tous les jours (sauf lundi) de 10 à 18 heures.
Tel. +32(0) 219 19 80
www.cbbd.be
[1] qui a travaillé avec Franquin
[2] auteur de plusieurs livres sur cette période et chroniqueur chez Spirou
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