"Les Profs" au cinéma, y retrouvez-vous vos petits ?
Oui, je trouve que Pef a été suffisamment malin pour adapter notre univers. Ce n’était pas évident. Notre bande dessinée est basée sur le principe du gag en une planche. Il a su garder l’ambiance tout en développant un film d’une heure trente. Nous sommes dans le registre du burlesque sans être vulgaire. Je n’ai pas honte de ce film, j’avais peur que d’un ratage comme les Bidochon, où l’on voyait de bons acteurs dans un film sinistre.
Comment avez-vous apprécié les interprètes ?
Physiquement, Gladys, la prof d’anglais interprétée par Isabelle Nanty et Maurice, le prof de philo par Raymond Bouchard sont confondants. Au début du film, Pef ne ressemble pas à Polochon, le prof d’histoire, mais petit à petit, il le devient. Sa métamorphose est étonnante.
Quant à Christian Clavier, il joue juste, il sort de son registre habituel, c’est une bonne surprise. Enfin j’ai été très impressionné par Philippe Duclos. Ce comédien n’est pas du tout proche de notre proviseur, mais son jeu est exceptionnel. Le voir se décomposer tout au long du film est simplement jouissif.
Un souvenir de Pef pendant la préparation du film ?
Nous lui avons donné nos albums quand il a commencé à imaginer sur le scénario. Dans une planche du troisième recueil, certains élèves suivent les cours installés sur des échafaudages par manque de place. Il a repris ce gag dans le film. Cela m’a fait très plaisir car Erroc (scénariste des Profs, NDLR) avait tiré cette idée suite au conseil de classe de ma propre fille où le problème de la place dans son établissement était devenu crucial. Du coup, j’ai offert la planche originale à Pef !
Ce film vous influencera-t-il à l’avenir ?
Non, cela reste un film, je ne l’adapterai pas non plus en BD. En revanche, il y a quelques années, un pilote de sitcom avait été tourné et celui-ci m’avait influencé. Par la suite mes personnages étaient devenus plus réalistes.
Comment avez-vous choisi Alain Mauricet pour encrer les nouvelles planches des Profs ?
Il y a trois ans j’ai été victime d’un accident cérébral qui m’a laissé handicapé. Il m’a fallu tout réapprendre et je marche encore difficilement. Dorénavant, je travaille sur palette graphique avec moins d’aisance que sur le papier. Je ne peux plus crayonner qu’une cinquantaine de planches par an et donc travailler avec un encreur. Olivier Sulpice des éditions Bamboo m’a proposé Mauricet parce que son encrage est proche du mien.
Participez-vous à Boulard, la série dérivée des Profs ?
Pour moi, c’est une autre série dans laquelle je ne m’implique pas. Mais je n’aurais pas voulu qu’elle se fasse sans la participation d’Erroc, de Mauricet et de Jacqueline Guénard qui réalise la mise en couleur de toute la série.
Avec le recul, comprenez-vous le succès des Profs ?
Si j’avais connu la recette du succès, je n’aurais pas attendu trente ans pour m’y mettre. Je crois qu’il résulte d’une part de son sujet qui est quasi universel et d’autre part à notre façon de le traiter : quand nous avons commencé la série, le but n’était pas de "casser du prof", nous voulions que chacun s’y retrouve : élèves, anciens élèves et enseignants. C’était notre envie, nous ne répondions pas à un concept marqueté. En termes de ventes d’albums, je suis brusquement passé de 8 000 exemplaires à plus de 100 000, je n’ai pas connu de palier. Dans le fond, je crois que ce n’est pas parce que l’on vend beaucoup d’albums qu’on est un bon auteur. On vend quand à un instant, on rencontre un public. À l’inverse, je connais d’authentiques génies qui ne vendent rien du tout.
Il semble qu’au départ vous ayez eu du mal à trouver un éditeur…
Après bien d’autres tentatives, la série a été finalement acceptée au Journal de Mickey par Jean-Luc Cochet. Il a juste changé le titre, le nôtre était "Tohu Bohu". Il avait raison, il vaut mieux être explicite. Chez Dargaud, Didier Christmann nous demandait de faire de la castagne de banlieue comme dans le film Le plus beau métier du monde de Gérard Lauzier avec Depardieu. Chez Spirou, Thierry Tinlot nous a dit : "Il n’y a pas de public pour ça !" Après l’entretien, j’ai failli arrêter le métier. À mes débuts j’avais affaire à des Greg ou des Charlier qui savaient critiquer sans détruire. J’ai beaucoup appris aussi d’un Mézières qui lisait une planche et pointait tous les défauts. Un jour Greg m’a dit : "tu as tout pour faire une bonne soupe, mais elle n’est pas cuite !" C’était encourageant.
En dehors des Profs, à quelle série gardez-vous un attachement particulier ?
Je garde de la tendresse pour tous mes personnages. Mais si je ne devais en garder qu’une, ce serait Marine bien sûr (sur scénario de François Corteggiani publiée dans Pif Gadget et le Journal de Mickey de 1979 à 1989, NDLR), c’est ma première bande dessinée au long cours avec de grands décors que j’adore dessiner. C’est la raison pour laquelle nous avions réalisé l’album hors-série Les Profs à travers l’histoire.
Vous imaginez-vous débutant aujourd’hui ?
Ce ne serait pas possible, les éditeurs ne payent plus assez les jeunes auteurs. Et je ne vois pas comment on va sortir de cette ornière. Lorsque j’ai débuté, il existait un syndicat solide. On m’a tout de suite indiqué les démarches à suivre pour obtenir une carte de presse et avec elle une protection sociale décente. J’ai appris aussi que le milieu n’est pas toujours solidaire. Je me souviens d’une réunion syndicale chez Fleurus avec François Bourgeon pour obtenir une amélioration de nos salaires. Plus tard, en aparté avec l’éditeur, certains ont retourné leur veste. Ce manque de solidarité des auteurs fait aujourd’hui du tort à la profession…
Pourtant, il existe un nouveau syndicat pour les auteurs, le SNAC-BD…
Je pense que les animateurs de ce syndicat se fourvoient. Ils se battent d’abord pour l’édition numérique, c’est un peu court. Le combat devrait porter sur le statut. On pourrait imaginer que les auteurs soient salariés pour un album, qu’ils puissent bénéficier d’une allocation chômage entre deux albums, sans parler de retraite. Ce manque de solidarité aurait pu nous coûter cher quand, en 2008, les dessinateurs ont failli perdre leur statut d’auteur auprès du fisc et payer beaucoup plus d’impôts. J’ai alors interpellé Xavier Bertrand au cours d’un salon, il était ministre de la santé et de la solidarité et élu de ma région. Je lui avais fait parvenir un dossier qu’il avait transmis à Christine Albanel, Ministre de la culture. Finalement, Albert Uderzo nous a sorti de ce mauvais pas devant un tribunal l’année dernière. Au final, j’ai été le seul confrère à remercier Uderzo. Un détail, révélateur d’un état d’esprit qui ne s’améliore pas. Pourtant j’aime ce métier, j’ai par ailleurs insisté auprès de mon éditeur pour que ma coloriste et mon encreur touchent également des droits sur les albums, ça me semble normal.
Justement, dans ce courrier (voir document joint) que vous aviez adressé à Xavier Bertrand, vous parliez d’un "droit fixe" de 50 centimes par album qui serait versé aux auteurs jusqu’à concurrence de 30 000 exemplaires vendus. Pour des ventes supérieures à 30 000 exemplaires, les droits fixes auraient été versés à une caisse de solidarité. Qu’est devenue cette proposition ?
Un syndicat d’auteurs -dont je ne me souviens plus du nom- avait eu cette idée en 2005. Nous avions même signé une pétition à ce sujet et rémunéré un avocat. À l’époque certains m’on dit : "Tu veux gagner encore plus de pognon !", c’est quand même fort ! Aujourd’hui plus personne ne parle de ce "droit fixe" et je ne peux pas me battre pour tout le monde,…
(par Laurent Melikian)
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