Notre interview était assez anodine et elle a provoqué une réaction virulente.
Face au constat d’un marché en progression (+ 0.5% en euros courants selon Livres Hebdo / Ipsos [1] ; + 0.7% selon GfK [2]), Aurélie Filippetti, plutôt bien renseignée, se félicitait d’une bonne tenue de route de la BD dans le contexte d’un marché du livre en recul (- 2% selon Livres Hebdo / Ipsos).
On parle là de chiffre d’affaires, pas de volumes, car sur ce point, on constate plutôt une baisse (-0.4% selon GfK) : "Ce qui a le plus souffert cette année, c’est le manga plus que la bande dessinée traditionnelle qui s’en sort un petit mieux, constate Virginie Thibierge, analyste chez GfK, ce qui explique le décalage entre le volume et la valeur, la BD traditionnelle franco-belge étant plus chère que le prix moyen du manga. Il y a la série Naruto qui est en baisse parce qu’il y a moins eu de nouveautés mais aussi plein d’autres séries qui marchaient bien qui sont terminées et qui n’ont pas forcément trouvé d’autres séries pour les remplacer sur le marché. Il y a un problème d’offre, une difficulté à s’approvisionner aujourd’hui sur le marché japonais avec de grosses séries qui marchent bien. Il y a quelques signes positifs néanmoins, notamment la série One Piece (Glénat), la série la plus vendue sur le marché, qui fonctionne très très bien, avec un premier tome qui continue à se vendre, ce qui veut dire qu’elle continue à recruter des nouveaux lecteurs."
Comme nous vous l’expliquions il y a peu, ce sont surtout les grandes surfaces qui souffrent des évolutions du marché, notre analyste le confirme : "Ce qui a le plus souffert, ce sont les grandes surfaces alimentaires. Ce secteur en général ne va pas très bien cette année et il ya eu des réductions de linéaires. On aurait pu penser que des best-sellers comme Titeuf fassent des grosses mises en place, allaient bien fonctionner, mais c’est vraiment en Grandes Surfaces Alimentaires où l’on a une baisse importante en volume et en valeur. C’est une tendance qui est commune à l’ensemble du marché du livre mais ce qui est spécifique à la BD, c’est que, pour le coup, en grandes surfaces culturelles [Fnac, Leclerc, Virgin...] et sur la librairie, on est plutôt positifs, ce qui important à souligner car le contexte est un marché du livre en recul cette année."
Cette progression n’est pas forcément la résultante d’un report d’activité des grandes surfaces sur ces secteurs "Ce sont des livres que l’on achète en faisant ses courses, ce qui est très différent de la démarche qui consiste à se rendre dans une librairie pour acheter une bande dessinée."
Les librairies tirent le chiffre d’affaires
"La problématique de la librairie est de trouver des livres qualitatifs, nous dit Virginie Thibierge. Quand on regarde le top, il y a quand même Chronique de Jérusalem de Guy Delisle (Ed. Delcourt) qui est un livre qui est cher et qui parle de la situation à Jérusalem. Il n’avait pas forcément le profil type d’un gros best-seller et il arrive 9e du top. C’est donc la librairie qui a fait le succès de ce titre un petit peu moins mainstream. Le Prix d’Angoulême a aussi permis d’entrer plus facilement dans ces points de vente."
En résumé, le recul est surtout dû au manga comme nous vous l’avions expliqué il y a quelques semaines : " Le manga tirait le marché ces dernières années, il est aujourd’hui responsable de son recul."
Ceci sans que le relais soit pris par un autre segment, en dépit de l’envolée du chiffre d’affaires des comics en 2012 : "Il y a un double effet : Walking Dead (Delcourt) qui marche très bien avec la diffusion de la série sur la TV et un effet d’offre avec la reprise par Urban Comics des titres de super-héros, il y a plus d’offres sur le marché et une offre qui est mise en avant. Il y a eu beaucoup de films de super-héros ces dernières années et donc, du coup, cette année, c’est le segment qui progresse le plus : +23% en volume, c’est assez rare d’avoir des progressions comme celles-là. Elle s’est faite en librairies spécialisées et sur Internet."
Donc oui, la ministre a raison, la BD ne va pas trop mal. Mais il est vrai que, pour certains auteurs, la situation est particulièrement précaire. Nous en reparlerons dans ce dossier en trois parties. Comme nous reparlerons des chiffres énoncés qu’il faut prendre avec des pincettes et certainement pas, c’est le cas de le dire, pour argent comptant.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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A lire
Marché de la BD 2012 : De quels chiffres parle-t-on ? (1/3)
Marché de la BD 2012 : La glorieuse incertitude des chiffres (2/3)
Marché de la BD 2012 : La situation complexe des auteurs (3/3)
[1] Livres Hebdo N°938, 25 janvier 2013.
[2] Communiqué GfK du 29 janvier 2013.
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