Roman Jakobson s’intéressait de près à cette fonction du langage qui pousse le destinataire du message à s’interroger sur la perception qu’il peut en avoir, à une auto-évaluation de sa pertinence. Démarche salutaire sans laquelle l’esprit critique s’efface, toute propagande devenant vérité. Tel est le rôle du pastiche : déconstruction, évaluation, remise en cause, au besoin par l’humour. Comme le souligne l’auteur en introduction de ce livre, ce détournement est "une remise en jeu globale", ou plus simplement un "jeu"...
Au deuxième anniversaire de la disparition de l’aimable Tibet, il faut prendre comme un hommage ce Ric-Remix de David Vandermeulen qui se saisit des vignettes de Ric Hochet pour en faire un remix qui en appelle à une démarche autant "pop" que "situationniste" ou ressortissant de l’OuBaPo (Ouvroir de Bande Dessinée Potentielle).
Une couverture au gros point qui convoque Lichtenstein, des collages de vignettes répartis par "familles" : scènes d’action où Ric Hochet encaisse une multitude de coups sans férir, une suite d’autres où il en donne, jusqu’aux ultimes mises à mort...
Vandermeulen, auteur considérable (La biographie de Fritz Haber, chez Delcourt), aime de temps en temps s’offrir des récréations un peu farces puisqu’on lui doit le faux manuel scolaire Littérature Pour Tous, l’essai philosophique Initiation à l’ontologie de Jean-Claude Van Damme (ces deux derniers parus chez 6 pieds sous terre) ou encore les Aventures du commissaire Crémer (Dargaud). Le voici qui s’attaque à Ric Hochet, se réclamant du talent d’un DJ samplant des morceaux de musique pour en faire une mélodie neuve. Il signe même l’album d’un "DJ Vandermeulen"...
Sauf que le détournement réclame un propos qui aille un peu plus loin qu’une simple remise en jeu esthétique. L’essence de la série Ric Hochet, sa réussite dans un genre désuet qu’il perpétuait de façon étonnante, le Light Suspense, ce portrait en temps réel de la société des années 1960 à 1990 au travers des aventures d’un détective boy-scout, alors que le cinéma était passé de Cassavettes à Tarantino, même s’il affiche une violence aussi convenue que le brushing immuable de son héros, toute cette dimension n’est pas interrogée.
Vandermeulen s’amuse, on est content pour lui. Dommage que son Remix tienne davantage du yaourt que de la musique.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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