En 1998, deux équipes issues du comité éditorial du groupe Dargaud avaient été chargées de dénicher la perle rare capable de reprendre la destinée graphique des héros inventés par Edgard P. Jacobs. Le dessinateur Ted Benoît, n’en finissait pas de terminer L’Etrange Rendez-vous. Même si l’éditeur était satisfait de la qualité graphique, proche de celle de Jacobs, les ventes excellentes de l’Affaire Francis Blake [1] ont entraîné quelques réflexions pour rentabiliser cette série rachetée à prix d’or. L’éditeur décida de mettre sur pied une deuxième équipe chargée de donner vie à ces personnages. Yves Sente envoya de manière anonyme à Didier Christmann, alors responsable éditorial des éditions Blake & Mortimer, un synopsis qui fut rapidement accepté.
Une équipe française et une autre belge furent donc chargées de trouver le dessinateur adéquat pour illustrer la série. En 1998, René Sterne fit partie des auteurs qui réalisèrent un test, à l’instar d’André Juillard. L’éditeur satisfait du travail de ces deux auteurs accorda sa préférence au créateur des Sept Vies de l’Epervier. Plus tard, lorsque Ted Benoit décida de céder la destinée graphique à d’autres, Dargaud pensa tout naturellement à René Sterne. Il réalisa alors un deuxième essai, qui séduisit l’éditeur et Jean Van Hamme.
Le dessinateur confirme être très motivé par cette reprise : « Mis à part le côté financier non négligeable, l’univers d’Edgar P. Jacobs m’attirait énormément. Il a bercé mon enfance, et m’y replonger aujourd’hui me procure beaucoup de plaisir. C’est de la nostalgie à l’état pur ! Et puis, c’est un challenge très excitant. » Motivé donc, mais également fort impressionné. Non pas par le fait de reprendre les personnages après Ted Benoit et André Juillard, mais surtout par la complexité de l’œuvre du créateur de Blake & Mortimer. « Le respect de l’œuvre requiert beaucoup de cohérence et de rigueur, explique René Sterne. J’ai beaucoup tourné autour de l’œuvre avant de m’y attaquer réellement. Il me fallait trouver le fil qui dépassait de la pelote, en quelque sorte. Je veux réaliser le Blake & Mortimer que j’ai envie de lire, et donner ma propre interprétation de cette symphonie jacobsienne ».
Comme le nom de ce diptyque le laisse présager, l’intrigue de La Malédiction des Trente Deniers tourne autour de Judas, l’apôtre qui céda à la tentation de livrer Jésus à ses détracteurs. « Si on analyse l’œuvre de Jacobs, explique Jean Van Hamme, on s’aperçoit qu’elle s’articule autour de trois thèmes principaux : le fantastique, l’espionnage et l’archéologie. Ted Benoît et moi-même avons déjà traité les deux premiers. Je voulais donc écrire un récit sur le troisième ! Ce récit concerne les premiers Chrétiens et la mort de Judas ». René Sterne se dit heureux et soulagé de travailler avec un scénariste qui possède une narration aussi bien menée. « Je n’ai nulle envie que mon dessin soit en deçà de la série ou du scénario de Jean, ajoute-t-il. Je veux servir au maximum de mes possibilités l’action et les moments subtils que contient ce récit. Je ne peux vous dévoiler plus l’histoire, mais il contient des voitures, des avions, de l’action, du fantastique, un mauvais vraiment méchant, des filles belles à croquer et bien sûr Blake et Mortimer. Tout cela en Grèce, un pays que j’adore. Vintage et nostalgie... Bref, tout ce que j’aime ! Ce sera un vrai Blake et Mortimer ».
René Sterne avoue n’avoir réalisé que la moitié de l’album : « J’ai beaucoup travaillé sur les personnages, le style, le storyboard et j’ai rassemblé l’ensemble de la documentation pour les deux albums. Si tout va bien, le premier tome devrait sortir en 2006. » En février 2004, Jean Van Hamme nous disait espérer publier l’album en 2005. Il prend aujourd’hui son mal en patience. « Son travail est superbe, dit le scénariste. Mais j’aimerais qu’il le dessine un peu plus vite. Mais bon, je préfère attendre et avoir un dessin à la hauteur, que des planches ratées. Il se remet souvent en question, et recommence parfois son travail ».
Le dessinateur perçoit une certaine filiation entre son travail et celui de Jacobs : « J’ai commencé à lire dans les Blake & Mortimer et me suis précocement imprégné de son style. Je m’en suis ensuite détaché pour chercher et trouver mon propre graphisme. Rentrer dans le style de Jacobs ne me pose donc aucun problème. C’est juste une question d’humilité et de beaucoup de travail ! Je dois tenir Adler en respect et me mettre en condition pour qu’Edgard me souffle ses conseils à l’oreille ».
René Sterne avoue cependant être un peu triste de donner quelques vacances à Adler. Il songe déjà aux aventures qu’il lui fera vivre après avoir dessiné les deux albums de La Malédiction des Trente Deniers : « J’ai encore tant de choses à lui faire vivre, comme par exemple une autre chasse au trésor, encore plus hard que celle qu’il a vécue dans l’Ile Perdue, ainsi que des retrouvailles très spéciales entre Helen et Adler. ». Mais peut-être trouvera-t-il le temps d’assouvir ses envies en écrivant un roman de la même trempe que Rio Bravo [2] ?
(par Nicolas Anspach)
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René Sterne présente d’autres images de la reprise sur son site officiel
Illustrations (c) Sterne, Van Hamme et les éditions Blake & Mortimer.
[1] Le premier album inédit, publiée après la mort de Jacobs. Exception faite du deuxième album des Trois Formules du Professeur Sato, pour lequel le créateur de la série avait laissé un scénario détaillé.
[2] Un roman narrant les aventures d’Adler, paru aux éditions Labor en 1997.
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