« Ce n’est pas parce qu’on est paranoïaque que l’on a pas d’ennemis ». Ce célèbre adage s’applique à cette situation. Certaines positions quelque peu intempestives que Chantal Montellier a pu manifester par le passé, notamment à l’égard de Tardi ou encore récemment, sur son blog, à l’égard de Marjane Satrapi, qualifiée de « bourgeoise iranienne » ou encore de « poulette aux thunes », ne lui ont pas valu que des amis. Mais chacun connaît les « fulgurances » de Chantal Montellier quand il s’agit pour elle d’exprimer ses opinions, voire son désarroi. On aurait peine à les prendre au premier degré tant leur faculté de nuisance est proche du degré zéro. Il semble pourtant que cela ne lui soit pas pardonné, si l’on en croit l’attitude assez pleutre de M. Duvanel, directeur artistique du Festival International de BD de Lausanne, qui a préféré frapper d’ostracisme une femme libre plutôt que de déplaire à quelques « collègues » auxquelles il a voulu complaire.
La réaction ne s’est pas faite attendre. L’éditeur de Denoël Graphic, Jean-Luc Fromental, parmi les premiers, n’a pas mâché ses mots pour dire sa manière de penser à l’organisateur : « … en tant qu’éditeur, admirateur et ami de Chantal Montellier, je suis scandalisé par le procédé d’invitation-désinvitation auquel vous avez recours avec elle. Rien ne vous obligeait à l’inviter en premier lieu et vous affirmez clairement, à sa face pourrait-on dire, que c’est l’opinion de ses confrères qui a décidé de votre revirement et emporté votre décision finale. Vous validez donc ainsi un procédé particulièrement odieux de mise au ban, de blacklisting quasiment maccarthyste, d’ostracisation par des gens qui réagissent individuellement (même si c’est consensuellement) sans mesurer, probablement, les dégâts abominables de ce qui n’est en somme pour chacun d’eux qu’une opinion personnelle. Vous avouez ainsi votre impuissance et, loin de vous affirmer comme puissance invitante, vous vous couchez devant les diktats de vos invités. Je ne sais rien de votre festival, de son importance, de sa visibilité, mais je suis vous garantir qu’international ou pas, il sera définitivement rayé de mes listes et de celles sur lesquelles je peux exercer une influence si vous ne revenez pas sur cette décision inique, annoncée à l’intéressée, qui plus est, avec une désinvolture consternante.
Les auteurs sont des gens fragiles. Vous n’avez aucun qualité pour les traiter comme vous venez de traiter Chantal Montellier, qui inventait "Métal Hurlant" à une époque où vous n’étiez sans doute pas né. »
D’autres réactions et soutien de solidarité n’ont pas manqué de se joindre à celle de Jean-Luc Fromental, et notamment celles du dessinateur Philippe Marcelé qui considère que l’organisateur de BDFIL « se comporte à la fois comme une carpette et comme un goujat » ; également de la part de l’illustrateur, musicien et homme de théâtre Francis Marmande qui remarque avec justesse le paradoxe d’une décision fondée une « unanimité » de « certains » « collègues » de l’artiste, et qui ajoute : « Je me permets de noter que la méthode (inélégante, cela suffit à la disqualifier) ressemble à un aveu de “pression” » ; d’autres éditeurs de Chantal Montellier comme Michel Parfenov (Actes Sud) : « En effet tout est grand chez cet auteur et, à cette aune, les excuses embarrassées que vous présentez dans votre lettre (que sa destinataire nous a transmise), pour récuser sa participation à “Bulles de femmes-bulles de vie” sont d’autant plus petites et mesquines » ou encore Thierry Groensteen (L’An 2) :« Je joins ma voix à celle de mes confrères éditeurs qui ont exprimé leur désapprobation la plus nette au sujet de la conduite du festival BDFIL vis-à-vis de cet auteure qui n’est sans doute pas consensuelle mais dont l’importance dans l’histoire contemporaine de la bande dessinée française n’est plus à démontrer. La cooptation entre artistes invités ne saurait être la règle qui dicte sa politique à une manifestation culturelle. Honte à BDFIL et vive la création libre ! »
L’organisateur, qui affirme apprécier le travail et l’engagement de Chantal Montellier et qui lui réserve « un profond respect », s’inscrit en faux contre le principe de censure dont on semble l’accuser : « D’autres auteures de grand talent, nouvelles ou aguerries - ne seront pas présentes dans cette exposition. Est-ce, pour autant, une censure de leur travail ? je reconnais volontiers le caractère maladroit de mon mail. J’ai, en fonction de la non-réponse de certaines auteures à notre invitation, pris le parti de privilégier en majorité, dans notre exposition, la présentation de nouvelles auteures peu ou moins connues. J’ai donc revu mon concept et considéré, dans mon contexte d’organisation, la présentation du travail de Chantal Montellier comme moins pertinente qu’au départ. J’assume pleinement mon parti, au-delà de toute autre considération. […] Je n’ai, en aucune façon, décidé de censurer le travail Chantal Montellier. La censure sous-entend une notion d’interdiction ce qui n’est clairement pas le cas de ma décision. Il est entendu que je présenterai, comme acquis dès le départ, ses livres dans le cadre de l’exposition. Je me réserve également, dans le cas d’un nouveau projet pouvant trouver sens à la présentation de son travail, de l’inviter dans une édition future. Je n’ai cédé à aucune pression mais effectivement pris acte de certaines inimitiés plutôt regrettables au demeurant. J’ai tenu, maladroitement, à en informer Chantal Montellier. Je réfute toute idée de cooptation entre les auteures, merci de respecter également leur travail et leur personne. Personne n’est parfait. Un choix, aussi désagréable et peu opportun puisse-t-il paraître à vos yeux, reste un choix. Il n’est jamais facile ni forcément « juste » et ne peut, à l’évidence, répondre aux attentes de tout le monde. Je regrette, évidemment, d’être revenu sur une invitation que j’avais souhaitée. Cette disposition répond, comme évoqué, au contexte d’organisation de l’exposition concernée et du Festival. »
Une réponse bien piteuse pour ce qui n’est qu’un pas de clerc.
NOTE DE LA RÉDACTION
À la suite de la publication de cet article, Chantal Montellier a retiré de son blog les termes "poulette aux thunes" qu’elle avait adressés à l’endroit de Marjane Satrapi. Nous en prenons acte. NDLR 4/7/07
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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En médaillon : Chantal Montellier. Photo : DR
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