Différents récits se croisent dans cet album. En 1923, Sergueï Essénine, le Rimbaud russe, revient en URSS, et la presse se moque du voyage qu’il a entrepris avec sa femme, Isadora Duncan, la plus grande danseuse de sa génération, en Amérique. Il est devenu une loque imbibée d’alcool. On nous présente également la jeunesse de la danseuse, sa première visite à Moscou peu de temps après la révolution soviétique, les débuts du poète. Les auteurs ont, semble-t-il, voulu nous montrer la rencontre de ces deux génies, transcrire en bande dessinée la démesure de leurs talents et de leurs vies.
L’ensemble se veut extrêmement cinématographique, du titre, allusion évidente au film de Sergio Leone, à la couverture de l’album, qui se présente comme une affiche de cinéma, avec Dargaud en producteur, et les deux héros de l’album (I. Duncan et S. Essénine) en têtes d’affiche. Les auteurs jouent avec ces références en figurant des cartouches ressemblant à des indications d’un script pour le septième art (« Plan large de la place de la Loubianka. Des gens, des tramways, de l’agitation. Et parmi eux, un jeune homme tiré à quatre épingles, vêtu d’un costume européen du plus grand chic, taillé sur mesure, guêtres comprises. Le jeune type, le visage étrangement bouffi, mais la démarche souple et musclée d’un bagarreur, s’approche d’un gamin qui vend des journaux »), tandis que l’image vient illustrer de manière redondante ce texte, à l’image de ce que l’on pouvait également trouver dans la bande dessinée franco-belge des années 1950.
Le procédé est intéressant, mais on n’en voit pas bien l’utilité. Il y a clairement une recherche narrative, avec des effets de mise en abyme de personnages racontant ce qu’ils ont dit aux journaux à une personne lisant l’article relatant ces propos, avec une imbrication de récits, une succession de flash-back, un enchâssement d’intrigues, une chronologie détricotée.
On aimerait crier au génie. On doit avouer ne pas avoir tout compris et surtout pas l’intérêt. Le tout ferait peut-être un bon scénario de cinéma (et encore…), et fait en tout cas un objet d’étude intéressant pour les théoriciens de la BD, qui se régaleront de l’imbrication de références poétiques, picturales, cinématographiques et bédéphiles. Mais pour le lecteur lambda, c’est la déception qui dominera. Le récit est scandé par les poésies grandiloquentes d’Essénine et donne à l’album un ton justement… grandiloquent. N’est pas Rimbaud qui veut.
Et quand la narration devient plus simple et construite, dans la deuxième partie de l’album, on n’arrive pas à s’intéresser à cette histoire (pourtant inspirée de faits réels) de danseuse extravagante, pas plus qu’à celle de ce poète faussement génial. Le travail en couleurs directes de Clément Oubrerie est assez élégant, crée une vraie ambiance, mais « aplatit » un peu le tout, en amenuisant la profondeur de champ, en empêchant de distinguer clairement avant et arrière-plan.
Julie Birmant et Clément Oubrerie ont réussi à livrer le meilleur d’eux-mêmes dans leur série Pablo. Ils n’ont ici clairement pas su transformer l’essai.
(par Tristan MARTINE)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion