Collectors

Lambil, Cauvin et Les Tuniques Bleues mis à l’honneur chez Dupuis/Champaka

Par Hippolyte ARZILLIER le 3 mai 2024                      Lien  
On connaît l'excellente collection « Une Vie en dessins » cornaquée par Eric Verhoest pour le label Champaka/Dupuis. Cette fois, c'est Willy Lambil qui est à l'honneur. L'introduction a été écrite par l'un des Belges de notre rédaction, le dénommé Didier Pasamonik. Un ouvrage qui permet de mieux apprécier les qualités artistiques du travail de Lambil et Cauvin, les auteurs derrière la série culte Les Tuniques Bleues.

La qualité des reproductions fait vraiment la différence ; les planches sont extrêmement bien choisies et témoignent à la fois de l’humour de Cauvin et du style de Lambil. Un auteur finalement assez méconnu sinon méprisé par une frange de la critique de bande dessinée. À son propos, Didier Pasamonik relate l’anecdote suivante : « le truculent Jijé avait fait dessiner ses lunettes au jeune Lambil, pour lui faire remarquer, alors qu’il entamait les deux cercles de la monture, que ce qu’il dessinait représentait des lunettes, certes, mais pas ses lunettes ».

C’est là que se constitue le style de Lambil ; il comprend qu’il ne s’agit pas seulement d’être précis ou rigoureux historiquement : il faut être juste. Cela se sent dans la manière qu’il a de parler des chevaux, qui, comme les lecteurs des Tuniques bleues le savent, jouent un rôle crucial dans la série : « J’ai plein de photos de chevaux, mais cela fait longtemps que je ne les regarde plus. Même si je n’ai jamais fait d’équitation, je les sens. Si un cheval passe près de moi alors que je me promène, je ne vais même pas le regarder, mais j’aime les dessiner ». Il précise ailleurs qu’il les dessine toujours avec un cou trop long ; il ne s’agit jamais d’être exact, mais de retranscrire et de transmettre une émotion.

Lambil, Cauvin et Les Tuniques Bleues mis à l'honneur chez Dupuis/Champaka
© Willy Lambil & Raoul Cauvin. Ed. Dupuis.

Lambil et Cauvin sont à l’image de leurs deux personnages, Blutch, le caporal antimilitariste, et Chesterfield, le sergent zélé : ils forment un vieux couple qu’il est extrêmement touchant d’entendre parler à travers les différents extraits d’interviews habilement choisis par les auteurs. À plusieurs reprises, Lambil commente précisément certaines planches ; on y apprend à la fois comment il procédait avec Cauvin, mais surtout : on comprend qu’on a affaire là à un grand artiste.

Tous deux forment un peu l’envers et l’endroit d’une même pièce : Cauvin a un souci de la rigueur historique que Lambil a parfois tendance à laisser de côté au profit de la lisibilité des planches. On apprend tout de même les nombreuses recherches que ce dernier a dû faire en amont pour dessiner une période aussi riche en détails que la Guerre de Sécession : les uniformes, les décors, les armes, les personnalités historiques, etc.

© Willy Lambil & Raoul Cauvin. Ed. Dupuis.

L’introduction prend soin de distinguer le traitement de l’Histoire des Tuniques bleues de celui que l’on peut trouver dans Astérix ou Lucky Luke : « S’il y a une chose qui, fondamentalement, distingue « Lucky Luke » des « Tuniques Bleues », explique Didier Pasamonik, c’est bien le rapport à l’Histoire. Avant que ses successeurs ne systématisent l’incursion des personnages historiques, « Lucky Luke » était avant tout une parodie de western qui brocardait les « héros » magnifiés par Hollywood : les Dalton, Billy the Kid, Calamity Jane, Jesse James… De la même façon, « Astérix » est une parodie de la leçon d’histoire (« nos ancêtres les Gaulois ») de la IIIe République. Rien de tel dans Les Tuniques Bleues. Le ressort est avant tout la comédie […]. Pas forcément dans un antimilitarisme borné... ». Même si Blutch apparaît comme l’archétype du couard ou de l’antimilitariste, Les Tuniques Bleues abordent la guerre sous toutes ses coutures : enseignement théorique contre réalité pratique de celle-ci, éloge de valeurs louables sur un champ de bataille sans pour autant verser dans un pacifisme naïf.

© Willy Lambil & Raoul Cauvin. Ed. Dupuis.

Lambil et Cauvin partent de la Guerre de sécession pour aborder des questions plus générales ; ils ne se contentent pas de détourner les codes d’une certaine manière de raconter cette partie de l’Histoire, mais abordent des questions comme les rapports entre Guerre et industrie, la lâcheté et le courage, l’héroïsme, le racisme etc. Un épisode fait même écho à l’actualité de la société française : le tome 35, où l’irascible Captain Nepel est une caricature de Jean-Marie Le Pen !

Seul bémol : la structure de l’ouvrage. On aurait préféré que l’introduction fût répartie tout au long de la monographie pour mieux mettre en rapport son analyse en regard des citations et des planches.

Voici en tout cas un excellent volume qui, en reproduisant finement quelque 200 planches de l’œuvre, rend justice et honneur à deux grands artistes et satisfera de nombreux fans ; on y apprend plein de choses et redécouvre en riant à plusieurs reprises des extraits d’albums qui tapissent nos souvenirs de lecture.

(par Hippolyte ARZILLIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782390410409

Les Tuniques Bleues Dupuis ✍ Raoul Cauvin ✏️ Willy Lambil Histoire France
 
Participez à la discussion
7 Messages :
  • Et Salvérius dans tout ça ????
    3 mai 17:01, par Jean-Michel Vernet

    Un article très intéressant sur une oeuvre attachante et plébiscitée par un large public ! Cependant, je trouve regrettable de la part de Champaka, de Dupuis et de Willy Lambil d’avoir élaboré cet ouvrage sans dire un seul mot de son créateur, le regretté Louis Salvérius qui a créé graphiquement les personnages et lancé la série dans les années 70. Lambil a repris avec talent cette série mais n’en est pas le concepteur, rappelons-le ! Il n’a d’ailleurs, selon moi, jamais égalé ni retrouvé la finesse du trait de Salvérius ni sa précision dans les expressions des personnages et dans les décors. La moindre des choses aurait été de lui rendre hommage car sans lui Lambil n’aurait pas eu le succès que l’on connaît et serait peut-être encore en train de dessiner les obscurs "Sandy et Hoppy" que tout le monde a aujourd’hui oubliés !

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 4 mai à  07:05 :

      Salvérius n’a pas été oublié. D’abord dans mon introduction puisqu’elle explique comment Lambil a été contraint -oui, contraint- à succéder à Salvérius. C’est Martens qui l’a imposé à Dupuis. Ensuite, mise en cause inutile : Champaka et Dupuis s’apprêtent à sortir un volume avec Salvé, j’en ai également écrit l’intro.

      Répondre à ce message

      • Répondu par EDU le 5 mai à  10:34 :

        Bonjour, Félicitations pour ce très bel ouvrage dans une collection qui fera date, je crois. Un Dodier en prévisions.
        Pour revenir au livre , les dessins de Lambil sont vraiment superbes...Il y en a tellement. Sa période faste ce sont les années 8O avec des albums impressionnants. Les tomes 20 21 22 23 25 26 27 notamment. Très heureux d’apprendre que LOUIS SALVERIUS sera mis en lumière. Papa des Tuniques Bleues, il a effectué pas mal d’illustrations ? Cela sera dans la collection Une vie en dessins, ou bien une monographie d’un autre type ? Edu

        Répondre à ce message

    • Répondu par Sergio Salma le 5 mai à  22:35 :

      Je trouve personnellement très idiot d’appliquer le terme " oubliés " pour qualifier une œuvre moins connue , vous allez jusqu’à "obscur". Pour reprocher ( à tort ) à l’auteur de l’article ou du livre, vous insultez le dessinateur. Je peux vous citer 200 artistes tous genres confondus qui vous sont inconnus ou très peu connus sans que ça enlève une once de leur immense

      talent. Faire de la notoriété le seul baromètre est franchement con. Willy Lambil fit aussi dans Spirou une autre série australienne, Hobby et Koala , ça lui permettait de varier les plaisirs. Puis c’est vrai on ne peut pas tout faire et les choses prennent souvent des directions inattendues. L’art n’est fait que de ça.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Jean-Michel Vernet le 6 mai à  09:28 :

        Si vous le dites...mais cela eût pu se faire sans insultes...

        Répondre à ce message

  • Ah, les Tuniques bleues, avec le bête mais discipliné Chesterfield, et l’anti-militariste Blutch qui donna son pseudo à un grand dessinateur français ! C’est toujours distrayant, mais un peu léger à mon goût.
    Du même Lambil, je me souviens aussi de Sandy et Hoppy, une série réaliste qui se passait en Australie, avec un blond gamin et son kangourou apprivoisé ! Plus utile qu’un chien comme Milou, ou qu’un écureuil comme Spip, car les kangourous peuvent renverser un adversaire en lui sautant dessus !
    Mais ce que je préfère, ce sont les Pauvre Lampil du même tandem !
    Et oui, mon père lisait Spirou ! hihihi !°).

    Répondre à ce message

  • Bonjour,
    J’adore la collection Une Vie en Dessins de Champaka et j’ai la chance d’en avoir déjà de nombreux tomes vraiment très beaux (Chaland, Batem, Pé, Walthéry, Tome & Janry, Gotlib...), jusque là vendus à un prix encore raisonnable (env. 55€), mais là il me semble que les prix s’envolent un peu, non ? Qu’est-ce qui justifie ceci ? Car c’est bien dommage de risquer de priver de nombreux fans de ce plaisir en en faisant un objet d’élite...

    Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Hippolyte ARZILLIER  
A LIRE AUSSI  
Collectors  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD