L’opposition des deux Corées est un fait connu. Au sud, une démocratie prospère où les gouvernements tombent face à des manifestations silencieuses, au nord, une dictature régnant sur un peuple pauvre, avec une caste de dirigeants qui semblent s’éterniser au pouvoir.
Pourtant, ceci n’a pas toujours été le cas, pendant les premières années après la Guerre de Corée (1950-1953), le Nord avait connu une industrialisation fulgurante, tandis que son frère capitaliste restait un pays majoritairement rural avec une populations en grande partie dans le besoin. Pendant trente ans, Syngman Rhee puis Park Chung-hee ont mené le pays d’une main de fer, noyant dans le sang toute critique du régime militaire sous l’excuse de combattre le communisme et ses agents.
C’est dans ce cadre historique que les événements narrés dans Un matin de ce printemps-là prennent place. Au fil des presque 400 pages de son nouveau roman graphique, Park Kun-woong nous dépeint le drame des familles des victimes. L’auteur des Mémoires d’un frêne revisite à nouveau l’histoire trouble de son pays, toujours en quête de vérité, doté un talent singulier pour narrer et illustrer le désarroi de ses personnages.
Aux éditions Rue de l’Échiquier, cette tragédie d’une grande beauté nous parle de l’impuissance et de la solitude, mais aussi du pouvoir de la mémoire et de l’intégrité face à un monde dénué d’humanité.
Chaque chapitre reprend les événements retenus par l’Histoire et nous les relate depuis la perspective d’un ou de plusieurs membres de la famille d’une des victimes. On voit les épouses tomber dans le désespoir face aux fausses accusations, puis entamer leurs tentatives de faire valoir la justice pour leurs maris avant que la peine capitale ne soit appliquée. Tout ceci en luttant au quotidien pour subvenir aux besoins de leurs enfants, dans une société qui leur tourne le dos.
À travers cette approche polyphonique, nous découvrons les vies fauchées et les traumatismes causés par le régime, ainsi que la présence constante d’une terreur rendant souvent impossible le moindre geste de solidarité.
Pour y parvenir, Park Kun-woong a maintenu son esthétique semi-réaliste en noir-sur-blanc, afin de créer une histoire exclusivement centrée sur les relations humaines, la reconstruction des souvenirs et le ressenti des émotions.
Comme auparavant, il construit ses cases avec des formats divers, parfois étalées sur deux planches pour donner tout son poids dramatique aux scènes. Note singulière, pour l’occasion il a choisi de ne pas représenter les visages des personnages, nous laissant deviner ce qu’ils ressentent à travers des solutions obliques, telles les mains, les métaphores visuelles ou les dialogues.
Récit édifiant sur la résilience face à l’adversité et sur le pouvoir de l’amour, Un matin de ce printemps-là nous encourage à revisiter un chapitre tabou de l’histoire sud-coréenne, peu abordé dans les grands débats publics, et nous interroge sur la capacité d’une société à faire bloc face à l’autoritarisme.
Voir en ligne : Park Kun-woong
(par Jorge Sanchez)
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Un matin de ce printemps-là. Par Park Kun-woong. Traduction de Yeong-Hee Lim. Éditions Rue de l’Échiquier. 388 pages en noir & blanc. 29,90 €.