Georges Simenon, c’est un monument de la littérature. Largement popularisé par la télévision et le cinéma (on pense aux feuilletons Maigret, mais les adaptations de ses autres romans à l’écran se comptent par dizaines), ils sont des millions de lecteurs qui ont pu découvrir cette écriture simple, sans emphase ni esbrouffe, sans style quasiment, d’un observateur placide, méthodique, minutieux qui campe des personnages évidents dans des décors le plus souvent populaires et des intrigues surprenantes et souvent tordues, mais pourtant d’une implacable logique.
Un « roman dur »
On le constate dans cet album, Le Passager du Polarlys (Ed. Dargaud), un des « romans durs » de l’écrivain où ne figure pas l’inspecteur à la pipe. Nous sommes dans les années 1930 lorsque Marie baron, provinciale fraîchement débarquée à Paris, se fait inviter à La Coupole à Montparnasse, haut lieu de rencontres et de plaisirs des artistes (Kiki de Montparnasse, Foujita, Modigliani, etc.) au cœur des années folles. Elle est retrouvée morte dans un atelier d’artistes à proximité, victime d’une overdose de morphine.
Changement de décor : à Hambourg, cette fois, sur un bateau, le Polarlys, qui doit caboter le long de la Norvège jusque dans le Grand Nord pour desservir les villes de la côte en marchandises mais aussi en voyageurs. Un policier monté anonymement à bord est assassiné dans sa cabine. Le capitaine du navire est coincé entre la nécessité de mener son bateau à bon port avant que les glaces ne figent la côte et celle de débusquer le ou les coupables avec l’aide de la police locale. Et les suspects ne manquent pas, d’autant qu’un lien est fait avec le meurtre de la petite Baron à Montparnasse…
« Le Passager du Polarlys, que j’ai choisi, est le premier roman dur de Simenon, raconte José-Louis Bocquet. Il l’a écrit à 27 ans. On sent encore le romancier populaire, mais alors qu’auparavant il se documentait dans ses encyclopédies, il situe cette fois son intrigue sur un bateau sur lequel il a vraiment navigué pour un de ses reportages. C’est donc un roman immersif. »
Avec son style de dessin en droite ligne des illustrateurs de l’Ecole de Paris de l’entre-deux Guerres, Christian Cailleaux était sans doute l’un des artistes les plus adaptés pour dessiner cette histoire. Il est moins esthétisant qu’à l’ordinaire, sans doute sous l’influence de la sobriété simenonienne.
Cet huis-clos maritime lui va comme un gant, en particulier la scène de la tempête dans le brouillard, d’autant que le scénario de José-Louis Bocquet ponctue le récit de dialogues brefs et de récitatifs qui rendent justice à l’écrivain belge. Bref, c’est une réussite.
Une histoire liégeoise
Dans la foulée paraîtra La Neige était sale, prévu fin août 2023 toujours chez Dargaud. Il nous conte l’histoire de Frank, 17 ans, dont la mère est prostituée. Comme le « Petit Ami » de Paul Léautaud, il vit dans ce monde interlope où grenouillent les malfrats. Il s’y épanouit, jusqu’à ce drame qui le voit condamné à mort… Cette fois le dessin est de Bernard Yslaire, comme à son habitude romantique et puissant.
« Cela faisait dix ans que je réfléchissais au moyen d’adapter en bande dessinée des romans de mon père, mais je ne trouvais pas de bon projet, raconte John Simenon. Et un beau jour, je découvre De l’autre côté de la frontière (par Jean-Luc Fromental et Philippe Berthet, Dargaud, 2020). J’ai appelé Jean-Luc [Fromental], que je ne connaissais pas, et on a discuté une heure et demie. »
Affaire conclue à laquelle se joint un autre « simenonien » José-Louis Bocquet, éditeur d’une biographie de Simenon par Francis Lacassin en 1990.
De Sim à Simenon
De biographie, il est d’ailleurs question dans L’Ostrogoth, actuellement débité en feuilleton dans les Cahiers Georges Simenon paraissant chez Dargaud. Cette fois, c’est Loustal qui est au dessin. Loustal déjà depuis longtemps illustrateur de Simenon, dont viennent de sortir une intégrale des Maigret en librairie.
« L’Ostrogoth était le nom du bateau de mon père, amarré dans le port de Fécamp, explique John Simenon. Mais ce mot évoque aussi l’histoire de deux jeunes gens, mon père et sa première épouse Tigy, qui étaient en dehors de toutes les normes. Pour les Romains, les Ostrogoths étaient des barbares, même si on sait évidemment aujourd’hui qu’ils avaient d’autres normes de civilisations. Pour moi, ce titre exprime très bien ce côté rebelle, qui sait s’assimiler mais en gardant toujours aussi sa différence, une façon d’être à part. »
Le beau trait de Loustal lui aussi, avec ses couleurs fauves, correspond à l’esthétique simenonienne : « Mes vieux amis José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental ont eu envie de raconter ce moment charnière où le jeune Georges est « devenu » Simenon, et ils ont pensé à moi pour le faire dans une bande dessinée classique, avec des strips, des bulles… ce que je n’avais jamais fait ! Autant de bonnes raisons de me lancer sans hésiter. J’ai d’abord dû trouver « mon Simenon » : j’ai gardé son nez, d’après quelques photos, et pour le reste, j’ai évité la caricature. Je ne sais pas si mon personnage ressemble à son modèle… En tout cas, il est très sympathique. Les années 1920 et 1930 m’ont toujours beaucoup plu esthétiquement et comme notre histoire se passe dans un milieu artistique, avec des vues d’atelier, c’est un vrai plaisir de dessiner tout ça. »
De nouvelles suites se préparent, dont un volume avec la talentueuse Laureline Mattiussi. Une collection qui s’annonce passionnante.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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