« Le droit moral est inaliénable ! » martèle à raison l’avocat d’Isabelle Franquin. Effectivement, c’est dans l’article 1 du code français sur le droit d’auteur. Ça veut dire quoi ? Que même si le contrat stipule clairement que le droit patrimonial est transféré à un tiers, l’auteur garde quoiqu’il advienne, juris et de jure, son droit moral.
C’est quoi le droit moral ? Il a quatre volets : 1/ le droit de divulgation (on ne peut empêcher sa diffusion), 2/ le droit à la paternité de l’œuvre (le nom de l’auteur d’origine doit être associé à toute publicité), 3/ le droit au respect de l’œuvre (l’atteinte à son intégrité par exemple, quand l’œuvre est dénaturée) et 4/ un droit de retrait et de repentir (si l’auteur juge qu’une œuvre qu’il a faite n’est plus digne de lui.)
Dans le droit anglo-saxon, ce droit moral n’existe pas. Pire : il y a une jurisprudence constante qui attribue ce droit au diffuseur, à l’éditeur : ainsi, Rudolf Dirks, l’auteur des Katzenjammer Kids (Pim, Pam, Poum en France), voulant passer une année sabbatique avec sa femme, a été purement et simplement remplacé par un autre dessinateur par son éditeur, la King Features Syndicates. Les créateurs de Superman ont connu le même genre de mésaventure.
Une joute entre ténors du barreau
Qu’en est-il du cas de Gaston ? C’est encore plus compliqué. André Franquin avait transféré tous ses droits à la société de droit belge Franquin SA, cédée ensuite à la société monégasque de Jean-François Moyersoen, Marsu Productions, en 1992, elle-même revendue ensuite à Dupuis, filiale de la holding belge Media-Participations en 2013. Entre droit d’auteur et droit de sociétés, ce détour monégasque complique la donne.
Ce sera donc un combat juridique avec, en présence, deux ténors du barreau bruxellois. Face à maître Claude Katz, professeur de droit à La Cambre, ancien membre du Conseil de l’Ordre, spécialiste du droit d’auteur, il y a l’avocat de Dupuis, maître Alain Bereboom, également professeur de droit, auteur pour ainsi dire la doctrine du droit d’auteur en Belgique avec son ouvrage « Le Nouveau droit d’auteur et les droits voisins » (éditions Larcier), conforté par ses missions d’expertise sur le droit d’auteur auprès du Parlement belge. Nos lecteurs le connaissent bien puisqu’il est aussi l’avocat de la vétilleuse société Moulinsart…
La bataille va être rude car il y a déjà des antécédents à la transmission de l’œuvre de Franquin à d’autres auteurs. Ainsi le Marsupilami, du vivant même de l’artiste et sous son égide, animé avec talent et avec un succès constant par Batem, également publié chez Marsu Productions. Ainsi aussi pour Modeste et Pompon cédé au Lombard trente ans auparavant, mais c’est une autre histoire...
Tout se joue, comme pour Hergé, sur l’interprétation que l’on peut faire de la parole de l’artiste. Le « Concile d’Angoulême » à propos de Tintin en a fait la démonstration..
Reste le référé, qui peut bloquer la mise en vente du nouvel album. Un référé se fait toujours en urgence, sans préjuger de la discussion sur le fond. Mais pourquoi intervient-il si tard, alors que le numéro de Spirou mettant Gaston en couverture (cf ci-dessus) est déjà en kiosque ? La notion d’urgence en raison d’un préjudice imminent va avoir quelques difficultés à s’imposer…
Il est possible que, comme pour Gastoon, tout cela se conclue autour d’un accord financier. En attendant, les pro- et les anti-reprises reprendront leur guerre des tranchées.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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