Il me sera difficile de rendre cette interview aussi passionnante que la monographie que vous a consacrée Patrick Gaumer. Était-ce un exercice facile que de parler de vous ?
Non, pas tellement ! Mais je dois vous avouer que Patrick Gaumer a une manière extraordinaire, presque amicale, de vous poser des questions. Dans sa recherche documentaire pour ce livre, il a découvert certaines choses dont je ne soupçonnais même plus l’existence ! Nos rencontres ont duré un temps certain, et à vrai dire je n’ai jamais considéré nos conversations comme étant des séances de travail.
Vous avez publié votre premier roman, Meurtre Pour Meurtre à quinze ans et demi. Aujourd’hui, après tout ce temps, trouvez-vous encore du plaisir à écrire ?
Oui, c’est une certitude. L’écriture m’est presque indispensable ! La phase de réflexion et de gestation pour faire naître une intrigue sont mes meilleurs moments dans la création d’une histoire. J’adore l’étape de l’écriture du synopsis, que cela soit pour un roman ou une bande dessinée. Le plaisir de construire, de réfléchir, d’être visité par les idées… C’est étonnant de les voir surgir et que l’ensemble de celles-ci forme un ensemble cohérent…
Encore aujourd’hui, c’est assez rare d’être publié si jeune …
Oui. J’ai eu la chance d’intégrer la collection que dirigeait Stanislas André Steeman. Ma vie aurait été sans doute différente si je ne l’avais pas écrit.
Vous vous servez de l’actualité, comme par exemple dans le diptyque On tue au théâtre ce soir / Puzzle Mortel où empruntez l’affaire de l’empoisonnement de Litvinenko au Plutonium …
Oui. Tout comme dans le 75e album, Code Pour l’Au-delà, je me sers de l’histoire de ce pianiste qui a été retrouvé sur une plage en tenue de soirée. Ces matériaux arrivent à point nommé pour entraîner un rebondissement ou un changement de scène…
En lisant la monographie écrite par Patrick Gaumer, on s’aperçoit que vous aviez plusieurs vies en une seule ! À un moment, vous travailliez pour Pourquoi Pas ?, puis chez l’éditeur du quotidien belge Le Soir, le groupe Rossel, ensuite au Lombard où vous assumiez le poste de rédacteur en chef de Tintin pour enfin terminer la journée par l’écriture de sketches radiophoniques à la RTBF… Mais comment faisiez-vous ?
Je ne sais pas ! J’étais en tout cas, le spécialiste des bonnes astuces pour trouver des places de parking rapidement. Enfin, quand je prenais la peine d’en trouver une ! Par exemple, le matin, en commençant ma journée, je ne restais que trois-quart d’heure à Pourquoi Pas. Autant vous dire que je me garais en double-file. Ensuite, j’allais chez Rossel. A midi, je rentrais chez moi, pour manger avec mon épouse et faire une courte sieste. L’après-midi, je repartais au Lombard. Puis, à 17h30, je me dirigeai vers la RTBF. J’étais membre du jury de l’émission « Voulez-vous jouer ». Je consacrai le week-end à l’écriture de mes scénarios. C’était une période assez trépidante !
Durant votre carrière, vous avez touché quasiment à tous les genres : téléfilm, radio, bande dessinée et bien entendu le roman. Est-ce un regret de ne jamais avoir écrit pour le cinéma ?
Si ! Le cinéma est un genre étonnant, où les projets naissent pour finalement ne pas se conclure. Je devais également participer à une émission de télévisée qui s’intitulait « Meurtre à … ». Le crime était commis dans différents endroits connus, comme par exemple Le Louvre. Le projet était assez avancé, et malheureusement l’affaire ne s’est pas faite. C’était très frustrant !
Votre roman De 5 à 7 avec la mort a été adapté en téléfilm…
Oui. Ce roman a eu le Grand prix de la littérature policière. Il y a eu deux téléfilms qui ont été tournés au Japon. Le laps de temps séparant les deux adaptations était assez court. J’avais reçu la cassette vidéo du premier. Je ne comprenais évidement rien au téléfilm, mais cela avait l’air d’être assez bien fait. Quelques mois après, on m’a téléphoné du Japon pour m’acheter à nouveau les droits de ce livre. Étonnant !
Vous avez amené, dans de le diptyque On tue au théâtre ce soir / Puzzle mortel un nouveau personnage. Et non des moindres : la mère de Ric Hochet. Pourquoi avoir attendu presque 75 albums pour parler d’elle ?
Le père de Ric Hochet est apparu rapidement pour une raison simple : le fils de Tibet lui a demandé où étaient les parents de notre héros. Cette remarque était pleine de bon sens. J’ai donc inventé un père gentleman-cambrioleur. Tout le contraire de son fils, qui est journaliste-détective. Des années après, nous nous sommes aperçus que la mère était un personnage mystérieux, dont nous ne parlions jamais ! Mon imagination s’est remise à fonctionner. J’ai rédigé un premier scénario, On tue au théâtre ce soir, où Ric Hochet croyait que le Bourreau avait enlevé sa mère. Or, il n’en était rien. Puis, je me suis dit : La mère de Ric n’a pas été enlevée par le Bourreau, mais pourquoi ne le serait-elle pas par quelqu’un ? Cela a donné Puzzle mortel !
Était-ce une manière de montrer un Ric Hochet beaucoup plus humain ?
Oui. C’était l’occasion. Ce personnage est mêlé à des enquêtes, qui sont menées tambour battant. Ses contacts avec Nadine ne sont pas évidents pour cette raison. Ric Hochet est un homme pressé !
La question que tous vos lecteurs vous posent : À quand le mariage entre Ric et Nadine ?
On n’en est pas là !
Vous avez peur de toucher au mythe ?
Je ne sais pas. Aucun de nous deux n’a envie de se pencher là-dessus pour l’instant ! Mais il se passe beaucoup de chose entre les albums, les séquences…
À quand le prochain album de Ric Hochet ?
Dans huit mois. L’écriture du Dernier duel est terminée, et Tibet travaille sur cette histoire. Je n’ai pas encore reçu la moindre planche. Je planche déjà sur le 77e album ! Notre planning est bien réglé. Notre contrat avec Le Lombard nous oblige à fournir un album de Ric Hochet tous les huit mois. Et c’est loin d’être une contrainte. D’après mes souvenirs, je ne pense pas que nous ayons loupé une échéance ou eu le moindre retard sur cette série.
Christian Denayer m’a un dit que vous aviez une imagination visuelle …
C’est vrai ! La bande dessinée a influencé ma manière d’écrire des romans. Lorsque j’ai commencé ce métier, en écrivant Meurtre Pour Meurtre, j’étais beaucoup plus littéraire. Mes phrases étaient plus longues, plus descriptives. Les romans que j’ai écrits après, alors que je signais déjà des bandes dessinées, sont plus linéaires et plus visuels. Même pour 5 à 7 avec la mort !
Interrompez-vous parfois l’écriture d’un synopsis parce que l’histoire ne vous plait pas ?
Cela m’est arrivé, mais rarement ! Il y a surtout des sujets qui sont restés en l’état de synopsis pendant des années car ils ressemblaient trop à une histoire récemment écrite. Cela peut-être au point de vue de l’intrigue ou des atmosphères. Je reprends alors ce synopsis quelques années après.
Je suis un auteur heureux ! Je n’ai jamais eu de scénario de bande dessinée refusé par un éditeur. Ce n’est pas le cas pour les romans. J’ai un roman pour la jeunesse qui dormait depuis deux ou trois ans dans mes tiroirs. Un éditeur français se montre aujourd’hui intéressé. On verra… Le nombre de signes correspond aux attentes, et il ne me reste plus qu’à le faire taper. J’écris mes scénarios à la main, de manière scripturale. J’ai une aide qui les tape à l’ordinateur…
Est-ce par gain de temps que vous n’utilisez pas de machine à écrire ?
J’ai toujours rédigé mes premiers jets à la main. C’est une habitude. Et puis, il y a une impulsion dans l’écriture scripturale, qui me met très à l’aise. C’est gai de sentir sa plume avancer sur le papier. Deux dessinateurs sont devenus de véritables spécialistes pour déchiffrer mon écriture : Bernard Swysen et Erwin Drèze. Tibet, lui, demande que mes scénarios soient dactylographiés.
Il se peut que je retravaille prochainement avec Erwin Drèze. J’en saurai plus ces prochaines semaines.
Quel plaisir éprouviez-vous à adapter des romans en bande dessinée…
Un plaisir fantastique ! J’ai passé toute mon enfance et mon adolescence dans les Rouletabille, Arsène Lupin, etc. De telle sorte, que quand je devais en adapter un, j’avais déjà une idée assez précise de la manière dont j’allais y parvenir. Je relisais le livre avant, puis me lançais dans l’adaptation en me souvenant des points de chute importants. J’ai du réaliser une soixantaine de BD adaptées de romans aux éditions Claude Lefrancq. Il va de soi que j’affectionnais beaucoup plus de travailler sur des romans policiers…
Pour les besoins des scénarios, voyagiez-vous ?
Cela m’est arrivé. Les collaborateurs de Tibet profitent de leurs vacances pour ramener des photographies de décors. Et puis, comme Tibet possède une maison à la Côte D’Azur, j’ai volontairement situé plusieurs histoires là-bas… Et puis, j’ai situé d’autres récits plus près de chez nous : à Bruxelles, Namur, Bruges, et même Binche, une ville près de laquelle ma compagne possède une maison…
J’imagine que certains hommes politiques vous demandent de situer une histoire dans leur ville ou village…
Oui, mais pas seulement des hommes politiques. Des amis, également ! Mais je n’aime pas trop cela. J’ai peur de donner une fausse idée d’un lieu !
Quels souvenirs gardez-vous du temps où vous étiez rédacteur en chef de Tintin …
Guy Leblanc, qui assistait son père à la direction du Lombard, et moi-même, nous n’étions pas toujours sur la même longueur d’onde ! Mais c’était intéressant, pour un auteur, un scénariste, de connaître les problèmes d’un éditeur.
Être à ce poste, et publier ses propres histoires dans le journal, cela n’entraîne pas de la jalousie de la part des autres auteurs ?
J’espère qu’il n’y en a pas eu tellement ! J’essayais de rendre service au Lombard. Quand William Vance m’a demandé de reprendre quelque temps Bruce J. Hawker, nous avions besoin de son talent. Il était hors de question de le laisser partir dans une autre maison d’édition ! Donc, je mettais mon tablier de scénariste, tout en étant rédacteur en chef de Tintin pour lui procurer du travail. Il en va de même pour Rosinski lorsque Jean Van Hamme s’était arrêté pendant un an de scénariser Thorgal… Hans a été créé pour cette raison…
Il est question d’une intégrale des Casseurs (avec Denayer) et de Hans (avec Rosinski, puis Kas) aux éditions du Lombard…
Oui. L’éditeur en parle depuis quelques temps. Cela devrait sortir en 2009 ! Hans a connu douze albums, et j’ai un scénario inédit sous le coude qui a été développé sous la forme d’un synopsis. On le reprendra sans doute dans cette intégrale. Et puis, il y a les deux albums de Terreur (Avec Follet) qui sortiront en un seul volume dans la collection Signé !
Parmi tous les auteurs avec lesquels vous avez travaillés, quelle est la personne qui vous a le plus marqué ?
Tibet, bien entendu ! J’ai eu la chance, à une ou deux exceptions près, de travailler avec des gens avec lesquels je m’entendais bien. Une véritable amitié est souvent née entre ces auteurs et moi. Il y a des personnes que je regrette énormément comme par exemple Patrice Sanahujas, avec lequel j’ai signé Challenger, le Monde Perdu. Il est mort exceptionnellement jeune.
Aujourd’hui, vous tenez vous encore au courant en matière policière ?
Oui. Je lis encore beaucoup de livres. Là, je suis par exemple actuellement plongé dans un livre de Brian Haig, le fils d’Alexander Haig, un général américain qui officiait durant la Seconde Guerre mondiale. Je reste un lecteur inépuisable et de nombreux voisins m’alimentent en livres. J’en trouve régulièrement dans ma boîte aux lettres. Tibet m’avait représenté, dans l’une de ses caricatures, en un crabe qui dévore les livres…
Le mot de la fin ?
Ce n’est pas un regret, mais une constatation. J’ai vécu trois ans en Afrique, au Congo belge, avec mon épouse. Je suis aujourd’hui étonné de ne jamais avoir écrit sur ce sujet. Si je devais le faire, un jour, j’ancrerais mon récit durant la période à laquelle j’y ai vécu.
(par Nicolas Anspach)
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En médaillon : A-P Duchâteau, en septembre 2008.
Photos : (c) Nicolas Anspach
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