La situation des journaux de caricatures turcs est vraiment précaire ces derniers temps. Dès mars 2015, bien avant même le coup d’état du 15 juillet, les caricaturistes de Penguen étaient en butte avec la justice, deux d’entre eux écopant des peines de prison. Depuis, Bahadir Baruter, fondateur du journal et l’un des dessinateurs de BD les plus intéressants du pays, s’est tourné vers une peinture et une sculpture abstraites dans le domaine de l’Art contemporain, non sans succès d’ailleurs.
Le "putch" n’a pas arrangé la situation. Comme nous l’avons expliqué, le 21 juillet dernier, le magazine LeMan voyait son numéro "spécial putch" saisi par la justice. Sur les réseaux sociaux, les menaces tournent en boucle. Or, la rédaction de LeMan est au premier étage d’un Centre Culturel occupé par une brasserie au rez-de-chaussée -un endroit célèbre où le fameux comique et réalisateur turc Cem Yilmaz, qui a fait ses débuts comme caricaturiste dans LeMan, avait commencé à faire ses stand-ups- dans une ruelle adjacente de la rue Istiklal, à deux pas de la place Taksim.
Dans la ligne de mire
Cela fait un petit temps que le journal est dans la mire du pouvoir. Depuis des années, ce journal de tendance laïque, tape sur les islamo-conservateurs, qu’ils soient du côté d’Erdogan ou de Gülen. Ils ne sont ni dans un camp, ni dans un autre. C’est pourquoi ils sont détestés par le uns et les autres. Son numéro spécial s’apprêtait d’ailleurs à souligner toute l’ironie de ce règlement de compte entre frères ennemis, l’armée aux mains des Gulénistes cherchant à reprendre le pouvoir d’un parti qu’il a aidé naguère. La police ne l’a pas laissé faire...
Il ne faut pas grand chose pour que, ameutés par les réseaux sociaux, les supporters excités du président conservateur ne viennent en groupe molester la rédaction du journal. C’est ce qui a bien failli se passer dans la nuit du 18 au 19 juillet dernier. Les personnes présentes étaient à deux doigts de se faire lyncher. Quant au fondateur de LeMan, Tuncay Akgün, il a été obligé de prendre la tangente, se réfugiant à Paris où résident déjà son épouse et ses enfants. Leur situation est précaire.
Qui est LeMan ?
Du côté des autres journaux de caricature, que la tradition avait instituée en haut lieu de la contestation et de l’indépendance, l’ambiance n’est pas meilleure. Là encore, les réseaux sociaux regorgent d’appels au meurtre. On promet à nos dessinateurs "le même sort qu’à ceux de Charlie Hebdo". Le rédacteur en chef de LeMan, Zafer Aknar, déplore auprès de la BBC que la police ne les protège plus, de peur de déplaire au pouvoir sans doute. La plupart des dessinateurs de BD rasent les murs, se méfient même de leurs voisins. Les réunions de rédaction se font en toute discrétion et, le moins qu’on puisse dire, c’est que l’avenir leur semble bien compromis.
À cela s’ajoute l’hypocrisie de nos gouvernements. Alors que [les caricaturistes turcs avait affiché, avec un courage sans égal, leur solidarité aux dessinateurs de Charlie Hebdo> http://www.actuabd.com/Hommages-a-Charlie-Hebdo-Le], et que les grandes réunions publiques, où l’on avait invité le Premier Ministre turc à se joindre à la fâte, on constate que leurs confrères turcs recueillent, quant à eux, la plus parfaite indifférence.
C’est pourquoi nous proclamons chez ActuaBD, haut et fort : #JeSuisLeMan.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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