La chronique de Beatriz Capio sur les Blondes vous a interloqué, semble-t-il. On ne peut donc pas critiquer votre album ?
Gaby : Bien sûr que si. Mais vous connaissez très bien la différence entre une critique et une chronique. Beatriz Capio a juste fait une chronique du tome 12 et elle n’aime pas, c’est un peu ce qui ressort de son article. Quelqu’un a d’ailleurs fait une bonne réponse à l’article en prenant l’exemple des critiques gastronomiques. Une chronique, c’est un avis (je n’aime pas les carottes). Une critique doit s’élever au-dessus de l’avis personnel et subjectif (pourquoi tel restaurant mérite 1, 2 ou 3 étoiles, pourquoi ses carottes sont meilleures que chez le voisin) et le critique ou le journaliste doit être éduqué pour pouvoir la faire. Bref, une chronique c’est facile et c’est un exercice amateur. Une critique, c’est beaucoup plus difficile et c’est un exercice professionnel. Bref, il y a une différence entre moi qui n’aime pas un film et un article des Cahiers du Cinéma sur le même film.
L’album, ses qualités et ses défauts, n’ont rien à voir dans le raisonnement. Mais quand je lis « Si ces dessins n’étaient pas d’une laideur aussi tonitruante, les gags aussi laborieux, bariolé(s) à l’aveugle de couleurs à peine moins primaires que l’humour des histoires », je dis juste : c’est son avis et c’est subjectif. Et c’est tout à fait son droit de ne pas aimer. Mais son avis est exactement aussi valable que l’avis des quelques millions de lecteurs des Blondes (on reviendra sur les chiffres un peu plus loin je crois), qui eux n’écrivent pas sur ActuaBD et qui attendent le tome suivant dans leurs magasins. Ni plus, ni moins.
Nous ne sommes pas d’accord avec vous. Son avis est publié par ActuaBD, ce n’est donc pas celui d’un simple lecteur. Mais passons. Est-ce que les Blondes est une BD méprisante pour les Blondes, voire pour les femmes en général ?
G : Bien sûr que non. Je vais vous donner un exemple : J’étais récemment à la Fnac Saint-Lazare. Devant le panneau des sélections Fnac, où figurent les albums de La Quête de l’Oiseau du Temps, Cadavre exquis de l’excellente Pénélope Bagieu, les Notes de Boulet, Le Dernier des Mohicans, j’en passe, et le tome 12 des Blondes, deux jeunes filles étaient en train de lire l’album en riant, et les quelques minutes durant lesquelles j’ai essayé de faire une photo du panneau pour mes archives, une jeune fille (blonde) est arrivée avec sa mère, s’est exclamée « Oh, il y a le nouveau tome des Blondes ! » et elle l’a placé dans la pile des livres et DVD de sa mère… Notre lectorat est principalement féminin et de 7 à 77 ans. Mais bon, d’un autre côté, la démographie des « vrais collectionneurs de BD qui lisent ActuaBD » est plutôt majoritairement masculine, hein… Comme la clientèle des libraires spécialisés qui préfèrent jeter des regards moqueurs à ceux qui achètent les Blondes dans leur librairie, si l’on en croit la réaction d’un des lecteurs d’actuaBD sur l’article de Beatriz.
Mais si on parle de mépris, je trouve que la chronique de Beatriz est bien plus méprisante pour les centaines de milliers de lecteurs qui apprécient la série que nous pour les Blondes. Et je ne parle pas de la réaction de ces libraires...
Jean Wacquet : Je conteste ! Nous avons bel et bien un bureau caché dans les sous-sols de Soleil où nous cherchons sans cesse comment créer de nouvelles séries BD méprisantes pour les femmes ! (Rires)
Quel est le vrai succès de la série ?
G : L’année dernière, au 11ème tome, nous en étions à plus d’un million et demi d’albums vendus. Et je parle des chiffres de vente, pas des implantations ou du tirage.
JW : Fin 2010, nous pourrons nous réjouir d’avoir déjà fait sourire, et parfois rire deux millions de lecteurs. Le tout en 13 tomes et 2 hors-séries. Ce qui est formidable, c’est que le niveau de vente est très régulier, preuve de la fidélité du public. L’une de nos grandes fiertés, c’est que Les Blondes a été la série BD ayant atteint le plus rapidement les 500.000 ventes. Sauf erreur, ça n’est jamais arrivé en si peu de temps ! Et juré : nous n’avons forcé personne !
Est-ce que cette réaction contre les blondes ne symbolise pas plus globalement une attitude contre Soleil qui vise à l’enfermer dans une image de maison d’édition commerciale dont le catalogue est peuplé de Bimbos à grosse épée ? À quoi est-ce dû à votre avis ?
G : Je ne crois pas. C’est une réaction contre les séries grand public. Les Blagues de Toto se font déchirer, Les Profs et le catalogue Bamboo se fait régulièrement ouvrir… Le chroniqueur spécialisé préfèrera toujours que ce qu’il aime ait plus de succès que ce qu’il n’aime pas. De la même façon que le libraire met en avant des livres qu’il juge meilleurs que d’autres. C’est humain. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. C’est le public qui décide. C’est le public qui choisit ce qu’il lit. Et il ne faut jamais que cela change. Maintenant, si on parle du catalogue Soleil, quand je le regarde, je vois autant de Dernier des Mohicans, de Paroles de Poilus, de L’épervier, d’UW1, de Billy Brouillard, que des titres d’Heroic Fantasy auxquelles vous faites allusion, si j’ose dire, avec un poil de mépris… sauf erreur de ma part ! Seules trois séries correspondent à cette description : Atalante, les Guerrières de Troy et La Geste des Chevaliers Dragons. Et comme je connais bien les scénaristes et les albums de La Geste (vous allez réveiller mon complexe de persécution, là…), je vais juste demander si vous avez déjà lu un album de la série… Mais nous ne sommes pas là pour parler de La Geste…
Tout cela me rappelle mes tendres années, dans le catalogue Vents d’Ouest, il y a 20 ans. Vents d’Ouest, pour beaucoup, c’était les guides, des bouquins qui se vendaient mais qui se faisaient cracher dessus. Mais pour nous, c’était Peter Pan de Loisel, L’Épée de Cristal…, c’était les collections montées par Laurent Galmot, c’était le début des Asylum, Sorel, Ledroit, Varanda… C’était à des années lumières de ce qu’on imaginait produire cet éditeur… Chez Soleil c’est la même chose. Vous dites : « Bimbos à grosse épée » et je réponds que Soleil est un éditeur qui a plusieurs catalogues et que si une catégorie socio-professionnelles doit retirer ses œillères, c’est bien celle des journalistes et autres chroniqueurs spécialisés amateurs. Les lecteurs, eux, votent en magasin, que ce soient des librairies ou des hypers…
UW1, c’est une mauvaise série parce que c’est chez Soleil ? Non, c’est une putain de série de SF, peut-être l’une des quatre ou cinq vraies séries de SF en BD et elle est publiée par Soleil. Marvel Comics ne s’y est pas trompée puisqu’elle fait partie des trois premières séries de Soleil à avoir été adaptées Outre-Atlantique. Un peu d’objectivité n’a jamais fait de mal à personne…
JW : Sauf que cela reflète une méconnaissance (peut-être volontaire ? ) de notre production globale. La partie visible de notre catalogue, c’est évidemment la production “historique” de Soleil, les grandes séries de Fantasy à commencer par Lanfeust. Une production dont nous sommes fiers, il va s’en dire. Et d’ailleurs, quel mal y aurait-t-il à produire des BD dans un genre plaisant à un très large public ? Ne faisons-nous pas ce métier POUR le public ? Et reproche-t-on à Marvel ou DC de produire des séries de super-héros ? Ou à certains de nos confrères de publier des blockbusters “tout public”, de Lucky Luke aux Schtroumpfs en passant par Les Tuniques Bleues ? Je rappelle juste que Soleil est né avec Rahan et des tas de rééditions de classiques franco-belge, pas avec de la Fantasy. Et que bien d’autres succès maison, allant de Kookaburra aux P’tits Diables, de Atalante à UW1 en passant par Paroles de Poilus, Légende ou L’Épervier ne traitent pas d’Heroic Fantasy.
Nous avons achevé la semaine passée en ayant reçu ou bouclé des ouvrages allant de L’Art de Tony Millionaire aux Mini-Blondes, de Aliens au Frankenstein de Wrightson, mais aussi Gormiti, le nouveau Cromwell , le nouveau Barbucci ou le formidable thriller de Gaudin & Peynet qui paraîtra en août. Que d’excellents bouquins, tous très différents et pour des publics très différents. Une maison d’édition, c’est comme la vie : on est tour à tour triste, gai, futile, sérieux, drôle... Ca serait dramatique d’être toujours dans le même état d’esprit, non ? Je me souviens d’ailleurs avoir bouclé le deuxième album des Blondes au moment où je travaillais sur la première mouture de Paroles d’Étoiles.
Pour finir, si on est pas capable d’être curieux et à géométrie variable culturellement, il ne faut pas faire ce métier. Ni auteur, ni éditeur.
Est-ce qu’il y a des traductions ou est-ce que les Blondes ne sont qu’un phénomène français ?
G : La série est traduite dans quelques pays, je ne les ai pas en tête, mais je sais qu’il y a l’Espagne, l’Ukraine, l’Allemagne, je crois… c’est un phénomène franco-belge d’origine outre-atlantique. Mais comme la plupart des séries d’humour, elles sont la plupart du temps difficiles à traduire à cause des jeux de mots qui ont du mal à passer la barrière de la traduction. L’éditeur étranger doit retirer certaines pages des tomes et les remplacer par des pages de tomes ultérieurs… je sais qu’un tome des Blondes en espagnol a servi de support à des cours d’espagnol au collège, justement pour montrer le travail de traduction et d’adaptation…
JW : Les Blondes sont traduites en Espagne, en Ukraine, en Allemagne et même dans certains obscurs dialectes étrangers comme le breton ou le Ch’ti. Des éditeurs nord-américains sont également intéressés pour importer la série ce qui serait amusant.
Quels sont vos projets avec les Blondes ?
G :Continuer le plus longtemps possible. Nous avons quelques projets qui nous tiennent vraiment à cœur cette année et l’année prochaine. Dont un qui rendra jaloux James Cameron lui-même… D’ailleurs, en parlant de ça, on nous traire souvent d’opportunistes suite aux blondes en ch’ti ou aux blondes en breton… Reprenons. Depuis le premier tome de la série, Jean, le directeur éditorial de Soleil, nous tannait avec la version ch’ti des Blondes. Il est originaire du Nord, a vu le succès des versions ch’ti d’Astérix et pensait que c’était une bonne idée. Il a fallu le film de Dany Boon pour qu’il finisse de convaincre tout le monde. Pour Les Blondes en Breton, c’est pareil, sauf que ce sont les auteurs qui le voulaient. Scénaristes (en tout cas, un sur deux), dessinateur, coloriste : tous Bretons ! Et j’avoue que l’idée de Vanessa avec sa coiffe et son biniou me faisait rire tout seul… Pour le projet de fin d’année, c’est un rêve qui se réalise. Autant Jean que nous, nous connaissons depuis plus de vingt ans le travail du grand monsieur qui va collaborer avec nous. Il a travaillé avec les plus grands éditeurs américains, avec les plus grand créateurs anglo-saxons. Quand Jean m’a appelé pour me proposer l’idée, j’ai dit banco tout de suite ! Sans hésiter !
JW : Principalement continuer à sortir nos deux albums annuels et à modestement faire passer un bon moment de détente à quelques dizaines de milliers de lecteurs. Des lecteurs fidèles qui comme nous, sont les victimes d’un quotidien pas toujours gai et qui trouvent visiblement dans nos albums quelques minutes de répits.
Mais surtout assister à la création, par Beatriz Capio, du premier fan club des Blondes. Ce qu’elle fera sans aucun doute une fois qu’elle aura lu et aimé nos albums ! (rires).
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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