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Métal Hurlant « Spécial Chats » : Un numéro au poil

Par Hippolyte ARZILLIER le 16 mai 2024                      Lien  
Il ne fallait pas moins que Jean-Pierre Dionnet, amoureux des chats devant l’Eternel et timonier historique de Métal Hurlant, pour relever un cha(t)llenge comme celui-ci: introduire un hors-série sur les chats à l’occasion du 50e anniversaire de la revue. Un excellent numéro, servi par des contributeurs de qualité : Bilal, Florence Cestac, Gregory Panaccione, Richard Marazano, Zelba, Pixel Vengeur, Joko, Laurent Siefer, Chabouté, le youtubeur Nota Bene ou encore Philippe Geluck, interrogé par Christophe Quillien sur son œuvre-phare: Le Chat.

Dans un article consacré au chat dans les œuvres de Science-Fiction, Claude Ecken cite Aldous Huxley : « Si vous voulez devenir romancier psychologique et écrire sur les êtres humains, la meilleure chose à faire est de garder une paire de chats. » Pourquoi le chat serait-il l’animal privilégié des écrivains ?

Métal Hurlant « Spécial Chats » : Un numéro au poil
© Enki Bilal. Ed. Les Humanoïdes associés.

On sait qu’Hemingway vivait entouré de chats polydactiles ; Baudelaire, grand amateur de félins, leur consacra plusieurs poèmes dans Les Fleurs du Mal ; Montaigne écrivit ses Essais en compagnie de ses chats. Le chat se prête à l’écriture : déjà, parce qu’il est plus calme et moins bruyant que le chien. Mais surtout : parce qu’il est par nature insaisissable. C’est là tout le sens de la citation d’Huxley : prenez une paire de chats, observez-les, et vous verrez apparaître tout un monde de mystères, d’attentes et de distances.

© Chabouté. Ed. Les Humanoïdes associés.

Comme le souligne Claude Ecken, le chat a ceci de particulier qu’il n’est pas un animal qu’on « apprivoise » comme un chien ou un cheval. Cela va de pair avec l’attitude générale du chat : celui-ci est distant, n’accepte pas les caresses facilement, et préfère la compagnie à la proximité. Un chat refuse généralement qu’on le fasse sien – il préfère être traité d’égal à égal et recèle une forme de mystère qui appelle à l’ouverture plutôt qu’à l’apprivoisement forcé.

Le chat-pardeur

Montaigne écrivait ainsi dans les Essais : « Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? » Le chat donne toujours l’impression de ruser avec ses maîtres ; il nous laisse croire que nous le possédons là où c’est peut-être lui qui mène la danse.

© Laurent Siefer. Ed. Les Humanoïdes associés.

De là tous les mythes qui sont finement analysés dans les différentes chroniques de ce numéro : le « chat démoniaque » au cinéma, le chat dans les nouvelles fantastiques ou les contes (voir le chat dans Alice au pays des merveilles).

Dans un article intitulé « Attention, chats méchants », François Rivière et Guillem Barbet analysent le rôle joué par le chat dans les récits fantastiques. Ils montrent que le chat est à la fois celui qui ronronne en se frottant à la jambe de son maître, et cet être insaisissable et qui suscite chez certains enfants une peur plus difficile à cerner que celle des gros chiens.

Le chat est étranger et familier : il ancre le récit dans le réel tout en ouvrant la possibilité d’un écart dans le surnaturel. Et qu’est-ce justement que le fantastique ? François Rivière et Guilhem Barbet citent le critique littéraire Roger Caillois : « le fantastique suppose la solidité du monde réel, mais pour mieux la ravager ».

Des chats et des hommes

On pourrait reprocher à certains chroniqueurs d’en rester aux mythes. Si nous essayions de démythifier les chats, d’adopter une attitude qui ne soit pas anthropomorphique [1], que verrions-nous ?

© Joko. Ed. Les Humanoïdes associés.

Plusieurs nouvelles changent le regard que nous portons sur les bêtes : La Planète des chats de Joko (dès la première planche, un homme et une femme sont représentés en train de manger des croquettes tandis que leurs maîtres chats partent dîner au restaurant) ou C’est pour ton bien de Diego Agrimbau et Lucas Varela – une histoire glaçante et où les rôles sont inversés : ce n’est plus le chat que l’on castre, mais l’homme.

Une excellente manière d’interroger notre rapport aux animaux domestiques : nous sommes très attachés à eux, outrés quand on entend parler d’un chat écrasé ou que l’on puisse les manger ; mais qu’en est-il de la castration ? Pourquoi cette soudaine absence d’empathie ?

© Diego Agrimbau et Lucas Varela. Ed. Les Humanoïdes associés.

Nous savons bien que nous ne faisons pas cela pour leur bien ; c’est une opération très douloureuse et certainement marquante pour un félin ; mais peu nous importe : ce qui compte, c’est qu’il ne pissera plus sur notre canapé et ne nous embarrassera pas d’une portée de chatons.

Mais revenons en arrière : comment se rapporter au chat en tant que chat ? Comment avoir, pour citer Deleuze, un « rapport animal à l’animal » ? Une première réponse serait de dire : par l’art. Quoi de mieux que l’art pour se mettre à la place des animaux ? pour s’accoutumer à leur rythme, à leurs façons de faire territoire ?

Les Chatbouté

Ce numéro de Métal respire ; des bulles de calme ralentissent le rythme de lecture. Voyez les belles nouvelles de Laurent Stiefer (Un stratège à moustaches), de Panaccione (Chat-mane), mais surtout : contemplez les Chat-bouté… nous voulions dire : « les chats de Chabouté ».

© Panaccione. Ed. Les Humanoïdes associés.

Ces dessins en noir et blanc représentent des chats dans un environnement urbain : un chat qui regarde la ville à une fenêtre, un chat qui déambule dans la rue, un chat qui marche sur le toit d’un immeuble… On a l’impression de lire en compagnie d’un félin ; on adopte le rythme de vie tranquille et inaperçu du chat tout en pénétrant cette complicité du maître (doit-on toujours l’appeler maître ?) et de l’animal.

© Chabouté. Ed. Les Humanoïdes associés.

Puisque les nouvelles sont toutes de qualité, nous n’avons pour cette fois pas distingué de « pépites ». Peut-être est-ce grâce au thème choisi, ou simplement, à la qualité des contributeurs. En tout cas, on réitère la remarque qui avait servi de conclusion à notre précédent article : à la fin, « il n’y a plus d’évidences, il n’y a que des questions. Mais n’est-ce pas ce que l’on attend en fermant un numéro de Métal Hurlant ? »

(par Hippolyte ARZILLIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782731689761

[1On distingue l’anthropomorphisme (le fait de projeter sur les êtres non-humains des caractéristiques humaines) de l’anthropocentrisme (le fait de considérer l’homme comme un être à part (un petit dieu) au sein de la nature).

Les Humanoïdes Associés ✍ Richard Marazano ✍ Jean-Pierre Dionnet ✏️ Grégory Panaccione ✏️ Zelba ✏️ Philippe Geluck ✏️ Pixel Vengeur ✏️ Enki Bilal ✏️ Laurent Siefer ✏️ Florence Cestac France
 
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