La semaine dernière, une libraire aux Champs-Elysées organisait une séance de dédicace très spéciale réunissant un panel de grands auteurs. La rencontre se passe sympathiquement, mais une fois rentré chez lui, Philippe Xavier (en médaillon), dessinateur de Croisade et Nomade s’aperçoit que son travail (et celui de ses collègues) était déjà mis en vente sur Ebay ! Interloqué par cette attitude, il s’en ouvre sur son blog et sa page Facebook.
« J’avais juste une envie de dénoncer une pratique devenue trop banale au fil des années, explique-t-il, et qui commence à empoisonner les rencontres entre auteurs et lecteurs ! J’ai réagi dans ce cas pour deux raisons : car toutes les dédicaces récoltées en une séance (Delaby, Miralles, Jeremy et moi même, toutes signées par Jean Dufaux) ont été mises en vente directement, atteignant un montant de plus de 800 € ; de plus, seules cinq personnes étaient tirées au sort parmi une centaine de personnes présentes. Et pas de chance, le sort a favorisé un vendeur professionnel (plus de 600 transactions au compteur).
D’où ma prise de position d’évoquer le sujet publiquement en espérant une véritable action de la part de tous. Sinon, j’ai bien peur que beaucoup d’entre nous se déplaceront de moins en moins en dédicaces... »
L’étincelle qui met le feu aux poudres
Rapidement, ces propos teintés de déception ont provoqué un vrai buzz sur la toile, de la part de lecteurs et fans indignés, mais surtout de la part d’un grand nombre d’auteurs pour qui la situation actuelle n’est plus tenable. Impossible de citer tous les intervenants, mais ils représentent une bonne part du milieu de la bande dessinée, qu’ils réalisent des séries incontournables ou des ventes plus modestes. Parmi ces indignés et lésés par cette nouvelle affaire, Philippe Delaby, dessinateur de Murena et de La Complainte des landes perdues n’a pas mâché ses mots à l’encontre de ces indélicats :
« Depuis déjà pas mal d’années, cette impression d’être abusé régulièrement par ce genre de pratique m’insupporte et je ne suis, hélas, pas le seul dans le cas ! Ce n’est pas le fait que ces individus gagnent de l’argent sur notre dos (ce qui est condamnable au demeurant), mais surtout le fait d’être trompé dans notre démarche lors d’une dédicace ! Nous "offrons" avant tout un contact, un échange et écoutons aussi les impressions du lecteur par rapport à notre travail, le tout agrémenté d’un dessin !!! Nous dédions un mot, un message, un dessin à la personne qui est face à nous. C’est très personnel, me semble-t-il ! Le fait que Philippe Xavier ait réagi est tout à fait normal ! La soupape a explosé maintenant parce que ce fut l’abus de trop ! Voilà ! Nous sommes tous très en colère ! »
Rien de neuf à ce que certaines dédicaces soient vendues, mais l’explosion des ventes en lignes, Ebay en tête, a considérablement fait progresser ce marché. Certains spéculateurs se sont découverts une passion pour la bande dessinée ! Ils écument les festivals et librairies afin de recueillir un maximum de dessins et d’aller les vendre au plus offrant, pour des montants parfois astronomiques pouvant dépasser le prix d’une planche crayonnée.
« Dans notre cas et vu les échos qui se sont répercutés, continue Philippe Xavier, J’ai reçu deux emails de la part du vendeur qui s’est bien sûr excusé pour le "dérangement". Il s’est justifié en se retranchant derrière le fait que c’est une chose courante, qu’il n’est pas le seul,… Il a même osé me donner des conseils et idées pour améliorer le bon fonctionnement des séances de dédicaces (files, gestion des bandes de "sacs à dos", familles, tribus, nuit dehors, etc), bref tous ceux qui monopolisent l’espace de nos rencontres aux dépens d’autres lecteurs moins avertis. C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! »
Une coopération pour retrouver l’esprit bon enfant des dédicaces ?
L’autre élément assez interpellant, c’est que ces indélicats sont souvent bien connus des festivaliers et se font rapidement remarquer dans les files de dédicaces. Dans les messages laissés sur les forums, on se rend compte que les fans eux-mêmes ressentent alors un malaise devant leur attitude outrancière. Les organisateurs de festival et les libraires les connaissent également, mais peut-on réellement les écarter ? D’autres prendraient leur place…
« Il y a trois visions d’une dédicace ! Le public, le dessinateur, et derrière lui l’organisateur (qui a une vue globale du déroulement de la manifestation). Le dessinateur qui est entre les deux autres n’a qu’une vision restreinte de la personne qui lui demande un dessin. Dans le public qui attend face à lui, certains loustics échafaudent des plans pas croyables pour arriver à leur fin !!! Et il y en a des malins ! Ceux-là, mesdames et messieurs, sont tout sauf des passionnés ! Ça, c’est un scandale ! Le dénoncer n’en est pas un !!! Les salons et les festivals, dignes de ce nom et je sais qu’ils sont nombreux, suivent ou suivront le mouvement ! »
Pour sa part, Philippe Xavier mise également sur un effort continu de la part des organisateurs : « Je remarque chez eux un réel effort pour mettre en place des procédures permettant de rendre ces dédicaces plus conviviales et empêcher certains abus. Malheureusement tout cela reste insuffisant pour contrer les petits malins ! J’espère que cet article fera un peu bouger les choses. Ma seule envie, c’est de retrouver la spontanéité et la simplicité des rencontres, la petite étincelle dans les yeux des fans captivés par le trait du dessinateur. »
Malgré tout, la machine est en marche, et même si les dessinateurs ont accepté de répondre à nos questions pour envisager des solutions constructives mettant fin à ces abus, une solution plus radicale circule à couvert parmi eux. Même si l’auteur a toujours envie d’accueillir son lecteur, le ras-le-bol est palpable !
« Même si c’est ce cas précis qui m’a fait réagir sur mon blog, il est clair que cette personne n’était pas uniquement et personnellement visée, tempère Philippe Xavier. Donc, si vous le rencontrez, ne sortez pas les plumes et le goudron ! (rires) Le débat sur les ventes de dédicaces n’est pas récent. Il est complexe et loin d’être résolu. Nous ne sommes ici que deux à prendre la parole, mais le terrain de jeu de ces petits malins est bien plus vaste, et beaucoup d’auteurs sont touchés ! »
« J’espère juste avoir attiré votre attention et fait réfléchir tout ceux pour qui cette pratique est devenue banale et normale. Ce n’est pas une question d’argent, mais bien des principes d’échange qui sont bafoués. Les dédicaces restent un cadeau, un moment privilégié entre auteur et lecteur, sans oublier que cela représente du temps et de l’énergie que nous vous offrons. Donc messieurs-dames, un peu de savoir vivre serait le bienvenu ! Essayons tous ensemble, organisateurs, libraires, fans et auteurs, de mieux nous coordonner lors de ces rencontres. »
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire notre interview sur les solutions proposées aux ventes de dédicaces
Philippe Xavier, c’est aussi :
– les chroniques des tomes 2 et 3 de Croisade, ainsi que la suite intitulée Nomade
– des interviews de Philippe Xavier : "J’ai toujours été captivé par l’orientalisme" (décembre 2007) et « Jean Dufaux est mon scénariste idéal »(Décembre 2009)
Visiter le site de Croisade et le blog de Philippe Xavier
Sur Actuabd.com, Philippe Delaby, c’est aussi :
– des chroniques d’albums :Murena tomes 4, 5, 6 et 7, ainsi que les Complainte des landes perdues T5
– des interview : « Pour Murena, les beaux jours ne sont plus là » (Juin 2007) et « Avec La Complainte des landes perdues, nous explorons les tréfonds de l’âme humaine ! » (Novembre 2008)
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Photo en médaillon : © Philippe Xavier
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