Habitué des récits fournis et à de beaux et forts volumes, Cyril Pedrosa récidive et signe un nouveau diptyque dans la magnifique collection Aire Libre chez Dupuis. Derrière ses atours de belle et grande chanson de geste, L’Âge d’or est certainement un des récits marquants de cette rentrée littéraire 2018.
Tout commence comme il se doit avec la fameuse formule consacrée : Il était une fois... un peuple souffrant qui vient de perdre son roi. Sa fille bienveillante, Tilda, devait lui succéder et entamer les réformes nécessaires pour endiguer ce Mal. Mais elle est déposée et condamnée à l’exil par son frère. Elle va dès lors essayer de reconquérir son trône tout en perçant le secret de cet "Âge d’or", récit qui serait la source de tant de bonheur...
Résumer L’Âge d’Or par le prisme de la chanson de geste serait une erreur. Car l’œuvre de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil en dépasse largement les frontières. Derrière l’épopée, derrière le conte, derrière la légende se cache un récit profondément ancré en son temps. Ce besoin de revenir vers une plus grande fraternité, de redonner une place au citoyen, de changer d’ère et de susciter espoir et utopie baigne le récit avec une préoccupation très contemporaine. Aborder ces sujets avec les codes du récit médiéval connus des uns et des autres clarifie le discours et en intensifie l’identification.
Cette utopie aspire à une égalité, ou en tout cas, à plus d’égalité. On distingue souvent l’égalité et la liberté comme deux concepts qui ne pourraient cohabiter ensemble. Le Graal est précisément d’arriver à lier les deux. On ressent la difficulté d’arriver au bout du chemin pour Tilda. Telle Candide, elle va découvrir le monde et son injustice et souffrira de ce qu’elle découvrira.
Au delà de cette quête de l’âge d’or, notre héroïne est malgré tout quelqu’un de désabusé, qui ne brille pas par son optimisme mais plutôt par son courage et sa bravoure. La guerre, toujours la guerre… L’utopie tant espérée, le changement d’ère tant désiré passe forcément par une révolution, et se paie au prix du sang. Cette ambiance de lutte des classes imprègne littéralement cle premier volume. Cela passe par le propos mais aussi le dessin, bien évidemment, comme en témoignent ces nombreuses et saisissantes planches dans la dernière partie du volume où le feu de la révolution s’avive sous la braise.
La partie graphique de cette légende dorée se déploie devant nos yeux ébahis avec la magnificence des tapisseries médiévales, offrant une gamme chromatique des plus audacieuses. Dans une bande dessinée classique, nous avons l’habitude de voir apparaître le personnage qu’une seule fois par case. Avec Cyril Pedrosa dans L’Âge d’or, vous verrez souvent les personnages évoluer au sein d’une seule et même case ou planche. Un procédé, proprement moyenâgeux ici réactivé, qui fluidifie le récit et qui apporte un effet "hors du temps" qui sert l’histoire. Le travail sur les perspectives, les ombres, le dessin des arbres (jamais ils n’ont été aussi beaux), les tons et la palette des couleurs, le rythme du récit parfaitement maîtrisé avec son alternance de planches « classiques » et d’autres plus abstraites, effacent tout ennui en dépit de ses démonstrations artistiques éblouissantes.
Ce premier volume, curieusement, se contenterait presque de ses dernières pages porteuses d’espoir mais néanmoins pragmatiques : l’homme providentiel n’existe pas et c’est dans un élan fraternel qu’égalité et liberté s’allieront pour forger la concorde tant espérée. Mais Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil n’ont pas fini de déployer leur thèse. Il est vrai que sur ces sujets, il y a tant à dire...
(par Clément DUVAL)
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