Il y a de la prétention et de la folie dans une telle entreprise, et donc du romantisme. Quand il débute Sambre chez Glénat en 1986, Bernard Yslaire s’est déjà fait une petite réputation dans le Journal de Spirou avec Bidouille et Violette, une bluette un peu maniérée mais éminemment touchante qui osait parler de sentiments dans un hebdomadaire alors en pleine ébullition, où les personnages un peu raides de Yoko Tsuno côtoyaient ceux dégoulinants de machisme d’Archie Cash, les grands classiques qu’étaient Franquin, Will ou Roba livrant leurs pages presqu’en s’excusant...
La bande dessinée de papa était en train de mourir, une bande dessinée adulte flamboyait de l’autre côté du Quiévrain, et la subversion occupait le journal belge aussi bien dans les « hauts de page » signés Conrad & Yann, que dans son supplément, le dernier baroud d’honneur des classiques belges, Le Trombone illustré, cornaqué par Delporte et Franquin qui avaient tout compris du changement de paradigme que la bande dessinée était en train de connaître.
La rencontre avec Yann (qui signe Balac, Balzac sans le « z » de Zorro), va certainement décoincer Yslaire qui se rêve un destin dans le 9e art. Le scénariste marseillais qui arrive alors à Bruxelles sur les traces d’Yves Chaland apporte à son complice son impressionnante culture, son sens de l’ironie, et sa formidable capacité d’écrire des séquences inoubliables. Le projet tombe dans les mains d’Henri Filippini, alors prospecteur de talents chez le tout jeune éditeur Jacques Glénat. « Cela va faire 50.000 ! » dit-il en se frottant les mains. 50.000 exemplaires vendus, oui, et bien davantage.
33 ans plus tard, ce fou d’Yslaire a bâti avec Sambre une cathédrale dont il s’apprête à poser les dernières pierres. Cet album est l’avant-dernier d’une série qui comporte neuf tomes, histoire d’une malédiction qui couvre plusieurs générations, comme Les Rougon-Macquart de Zola ou La Comédie humaine de Balzac. [1]
Si l’on peut être irrité par le déterminisme un peu naïf à l’origine de ce récit, on ne peut être que séduit par les qualités narratives d’une série qui allie une saga romanesque qui raconte à sa manière l’histoire du XIXe siècle, avec une touche éminemment personnelle : « Si j’avais dû redonner un titre à Sambre, cela aurait été “Le Silence des familles”, raconte Bernard Yslaire à Charles-Louis Detournay dans une interview qu’ActuaBD publiera bientôt. Car ce silence construit plus l’enfant que l’éducation qu’on lui donne. Lorsqu’il est trop petit pour parler, l’enfant interprète les gestes et les silences pour construire l’image des autres et donc de sa famille. Par exemple, on va retrouver chez un garçon les mêmes gestes inconscients que ceux de son père devant la télévision. À travers ces silences, on se forge donc nos expressions, nos pensées. Tout cela s’applique à Bernard-Marie, qui ressemble très fort à son père, si ce n’est qu’il a pour seule compagnie sa tante folle. Je me suis donc mis dans la peau de son personnage, très seul, qui se plonge dans les livres pour essayer de comprendre le monde qui l’entoure. »
Le jeune Bernard-Marie se réfugie dans la photographie et dans l’entomologie pour échapper aux aléas de l’existence. Sans doute Bernard Yslaire a-t-il fait de même avec ses propres secrets de famille, la vidéo que nous publions ci-contre le confirme. Révolté contre son père, il exprimait avec Bidouille et Violette toute sa foi dans un amour salvateur. Avec Sambre, qui est littéralement « un roman d’apprentissage » comme on l’envisageait à l’époque romantique, Yslaire nous offre une métaphore de son existence, peut-être le livre de sa vie, dans tous les sens du terme.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Exposition SAMBRE
à la Galerie Glénat
22 rue de Picardie
75003 Paris
Du 5 décembre 2018 au 16 Janvier 2019
[LE SITE DE L’ÉVÉNEMENT OÙ DES PLANCHES ORIGINALES PEUVENT ÊTRE ACHETÉES EN LIGNE-https://www.galerie-glenat.com/categorie-%C5%93uvre/auteurs/auteurs-yslaire/]
[1] On y ajoute cependant ceux de La Guerre des Sambre qui ne sont pas graphiquement réalisés par le dessinateur belge.
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