Romans Graphiques

L’Homme gêné – Par Matthieu Chiara – L’Agrume

Par Damien Boone le 17 mai 2024                      Lien  
Comme le quotidien peut être banal, ennuyeux, et propice à la mélancolie ! À travers la vie solitaire et hésitante d'un jeune homme, Vincent, Matthieu Chiara saisit le doute et la gêne qui peuvent nous animer à tout moment, et parfois même par le simple fait d'être vivant.

«  Je pourrais faire tellement de choses... mater un film... lire... me promener... cuisiner... prendre un bain... déféquer... et pourtant... je ne vais rien faire du tout... ». Ainsi raisonne Vincent, assis et las, sur 10 cases, avant de s’affaler nonchalamment sur le parquet de son appartement. L’ouverture de l’album donne le ton : on ne sait pas grand chose de Vincent, si ce n’est qu’il a l’impression de ne pas s’avoir s’occuper convenablement, et trouve alors des dérivatifs aussi dérisoires que futiles, tels que s’inventer un fantôme derrière un rideau, errer sans but chez lui, ou imprimer un poster géant de femme nue pour se tenir compagnie. Vincent ne semble pas dépressif, mais il s’ennuie. Peut-être est-il un fainéant, un type simplet, un grand enfant... ? Toujours est-il que son quotidien est bercé d’une profonde mélancolie, comme si sa vie intérieure manifestement prolifique ne se traduisait pas dans les faits.

Ce huis-clos initial prend une toute autre direction lorsqu’une jeune femme frappe à sa porte : c’est la nouvelle voisine, Julia. Vincent s’anime : il la trouve séduisante, et cherche alors à le lui faire comprendre. Très maladroitement, car il ne sait pas y faire : être drôle, attentif, bavard, bref, répondre normalement aux attendus des relations sociales, très peu pour lui.

Ses quelques accès de motivation et d’euphorie font tout de même qu’une relation – amicale - se noue, et on suit alors le « héros » partager du temps avec Valérie, et aussi avec sa cousine Brigitte, dans sa maison de campagne. À chaque instant, Vincent pense mal faire, craint de ne pas faire, et craint aussi ses propres pensées. La rencontre avec Valérie fait ressurgir des moments d’enfance qui ressassent une période idéalisée, celle où cette ombre envahissante ne l’avait pas encore envahi.

Ce volumineux album au format à l’italienne se présente comme une suite de saynètes reliées qui, parfois, s’étalent sur plusieurs pages. En noir et blanc, le décor est épuré. Le lecteur et la lectrice le lisent principalement d’un point de vue original : visuellement, on suit les personnages d’en haut, comme si une caméra (dans les intérieurs) ou un drone (à l’extérieur) invisibles et silencieux nous permettaient d’accéder discrètement à leur intimité. De là, le décor est limpide, et il semble qu’il n’y ait qu’à jouer le rôle social attendu ; à d’autres moments, on observe la scène depuis le regard de Vincent : alors les détails sont gênants, les regards se croisent difficilement, et ce décalage semble marquer le décalage que ressent Vincent entre une vie « théorique » et la difficulté de la vivre pleinement.

Sans cesse mal à l’aise, Vincent est cependant très attachant. La distance qu’il garde vis-à-vis de lui-même, de son comportement, et de ses ruminations, est parsemée d’humour, même cynique.

Questionnant le sens de la vie, la manière dont on la construit, et les regrets qu’on laisse derrière soi, Matthieu Chiara propose un très bel album qu’on referme soi-même avec un certain vague à l’âme, un sentiment bien contagieux.

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9782490975891

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Damien Boone  
A LIRE AUSSI  
Romans Graphiques  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD