C’est quoi Enigma ? Une machine à crypter les messages secrets, une sorte d’ancêtre de nos ordinateurs actuels, mis au point par les nazis dès avant la Seconde Guerre mondiale. Intelligemment conçue sur la base de rotors se coordonnant de façon aléatoire, cette machine a donné très tôt du fil à retordre aux gouvernements ennemis du régime nazi.
La solution pour neutraliser de cette « Enigma » est d’abord le résultat d’un travail de renseignement très en amont auprès d’une source allemande antinazie des services secrets français. Mais pour différentes raisons, politiques et techniques, l’État-Major français ne s’intéresse pas au dossier, autorise que l’on passe l’info en Pologne, avant qu’elle n’aboutisse en Angleterre où, au moment de la guerre, une équipe spéciale est mise sur pied par Winston Churchill. Elle est animée par Alan Turing, qui finit par casser le code, ce qui permet aux Alliés, à la fois de déjouer les plans de l’ennemi, mais aussi de l’intoxiquer en l’abreuvant de fausses informations.
Le sujet n’est pas nouveau : Le Cas Alan Turing de Armand Delalande & Éric Liberge (Les Arènes, 2015), Edmond Baudoin sur un scénario de Cédric Villani dans Les Rêveurs lunaires (Futuropolis, 2015), Robert Deutsch dans Turing (Sarbacane, 2018), voire Champignac de BeKa & Etien (Dupuis, 2021) avaient traité de près ou de loin le sujet.
Mais jusqu’à présent, les bandes dessinées existantes s’étaient concentrées sur la personnalité quasi anonyme d’Alan Turing, redécouverte assez tardivement après sa mort. Car le propre des services secrets, c’est de rester secrets…
Cette discrétion avait créé une injustice : celle de dissimuler le rôle crucial d’Alan Turing, certes, et il faut lui rendre justice, mais aussi de celui des services français et polonais à l’origine de la résolution de l’énigme. Et cette révélation, c’est au propre neveu d’Alan Turing, Dermot Turing, qu’on la doit, grâce à un travail d’enquête minutieux qu’il a mené de Londres, à Paris et à Moscou.
Le soutien de la DGSE
En général, quand des services secrets soutiennent des médias, c’est discrètement. Par exemple dans le cas de ce Monsieur Bellum, que les thuriféraires d’Hergé présentent comme une preuve de son antinazisme (Monsieur Bellum écrit sur un mur : Hitler est fou). Mais cette BD est publiée dans L’Ouest, un hebdomadaire neutraliste bruxellois créé par Raymond de Becker, figure de l’extrême droite belge, auteur d’un livre intitulé Pour un Ordre Nouveau (1931) qui est un des bréviaires du fascisme européen (illustré par Hergé) et futur rédacteur en chef du « Soir volé ». Nous sommes en pleine « drôle de guerre » et la position neutraliste de Monsieur Bellum n’est pas… neutre. On saura plus tard que le journal est financé par l’Abwehr, les services secrets allemands...
Ici, cela se fait au grand jour, dans une démarche semblable au développement du Bureau des légendes, sans doute l’une des meilleures séries TV françaises de ces dernières années.
Après la TV, la DGSE s’intéresse à la BD, ayant recours notamment à Fabien Tillon, fils du grand résistant rennais Charles Tillon et grand spécialiste de bande dessinée : nous avions parlé dans nos pages (et sur notre chaîne de podcast) de son livre de référence sur la culture manga paru chez le même éditeur.
La DGSE se rappelle évidemment à notre bon souvenir au moment où la guerre fait rage en Ukraine et où l’on se rend compte que le renseignement - et son pendant : la propagande- jouent un rôle déterminant en cas de conflit.
En tout cas, voici une BD passionnante, dessinée très efficacement, et où l’on apprend plein de choses. Une BD comme on l’aime, quoi.
(par Didier Pasamonik - L’Agence BD)
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Qui a cassé Enigma ? La véritable histoire du code secret nazi – par Fabien Tillon, Dermot Turing et Lelio Bonaccorso. Coédition des éditions Nouveau Monde Graphic et Ministère des armées. 116 pages, 19,90€
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