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Lecture en confinement #30 : "Fantastic Plotte" - Par Julie Doucet - L’Oie de Cravan

15 avril 2020 Commenter
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CONFINEMENT. Le Covid-19 continue à s’étendre et ses victimes sont toujours plus nombreuses. Plus d’un million de personnes ont été testées positives au coronavirus à travers le monde, et beaucoup de malades en ayant les symptômes n’ont pu avoir de confirmation, faute de moyens. Pourtant, de plus en plus de voix mettent en doute l’utilité du confinement. Certains au contraire redoutent que sa fin soit trop rapide et désorganisée, risquant de provoquer un rebond de l’épidémie. Quoi qu’il en soit, il durera jusqu’à début mai en Belgique et en France... Nous incitant à maintenir cette chronique quotidienne.

Non seulement l’ouvrage dont il est question aujourd’hui n’est pas une nouveauté, puisqu’il date de 2014, mais en outre il compile des bandes dessinées réalisées entre 1988 et 1990. À une époque - mais c’était avant le confinement - où les parutions se succèdent à une vitesse empêchant de prendre sérieusement en considération bon nombre d’ouvrage, cela peut paraître étrange. Mais les circonstances actuelles nous font réévaluer notre rapport au temps, et un retour en arrière ne paraît du coup plus tellement hors de propos.

Lecture en confinement #30 : "Fantastic Plotte" - Par Julie Doucet - L'Oie de Cravan
Fantastic Plotte © Julie Doucet / L’Oie de Cravan 2014

Surtout, Fantastic Plotte de Julie Doucet fait partie de ces livres peu référencés et pourtant incontournables pour qui s’intéresse un peu à l’histoire de la bande dessinée. En l’occurrence, il s’avère indispensable si l’on veut comprendre l’évolution de la bande dessinée alternative en Amérique du Nord et en Europe de la fin des années 1980 à nos jours. Car l’autrice y concentre, dans les quelques pages de chacun des quatorze numéros de son fanzine Dirty Plotte, tout ce qui est ensuite repris et développé.

Bien sûr, Julie Doucet se place dans le prolongement d’expériences préexistantes. On pense à Robert Crumb aux États-Unis ou aux zines français du début des années 1980 par exemple. Mais l’artiste canadienne apporte assez de nouveauté et de singularité pour que l’on puisse estimer que Dirty Plotte est un jalon qui a marqué beaucoup d’autrices et d’auteurs des deux côtés de l’Atlantique. Difficile par exemple d’imaginer que Caroline Sury ou Mattt Konture ne l’ont pas lue - ce dernier ayant d’ailleurs participé à éditer Julie Doucet chez L’Association.

Fantastic Plotte © Julie Doucet / L’Oie de Cravan 2014

Fantastic Plotte rassemble toutes les pages auparavant parues dans l’auto-publication Dirty Plotte. Après le faux départ de By the way, premier fanzine de l’autrice qu’elle a depuis réédité elle-même chez Le Pantalitaire, Dirty Plotte tient le coup pendant presque deux ans. À raison d’un numéro mensuel au plus fort de la période, ce sont au total quatorze opuscules qui sont photocopiés et vendus artisanalement entre septembre 1988 et mars 1990. Ils sont ensuite repris, au format comic book, par les éditions Drawn & Quarterly entre 1991 et 1998. Fantastic Plotte les rassemble en un seul volume et en propose une traduction en fonction de la version originale, soit de l’anglais vers le français, soit l’inverse.

Dirty Plotte - nous laisserons au lecteur le soin de goûter au sel de ce titre - tient à la fois du journal et du laboratoire. Julie Doucet y mélange autobiographie et autofiction, vie quotidienne et rêves, fantasmes et angoisses. Le « je » y est dominant mais pas exclusif. Il est franc, direct et impudique car libre. Comme le revendique l’autrice, cela fait de Dirty Plotte un fanzine féministe. Non sans humour, elle ne cache rien de sa vie ou de sa personnalité, surtout pas le trivial mais parfois essentiel. Ainsi de son rapport au corps - le sien et celui des hommes - ou à la propreté. Dire que l’on a, des années après, vanté la vague de la bande dessinée autobiographique ! Alors que tout était déjà là, en bien moins édulcoré toutefois que ce que l’on lira par la suite.

Quant au graphisme de Julie Doucet, il a lui aussi abondamment essaimé. Son noir et blanc très contrasté, ses cases foisonnantes voire débordantes, d’une densité parfois étouffante, ses compositions sans cesse changeantes, son lettrage ramassé : tout concorde pour nous donner l’impression d’être au plus près d’elle. Des cases étriquées laissent la place à de vastes délires et son dessin souvent très minutieux devient parfois expressionniste. Il ne faudrait donc surtout pas se fier à un premier coup d’œil trop rapide et refuser la brutalité du choc.

Julie Doucet aurait arrêté la bande dessinée - nous employons le conditionnel à dessein - depuis la fin des années 1990. C’est du moins ce qu’elle a déclaré. Au sens strict, elle respecte sa parole. Mais c’est selon nous un leurre. Ses œuvres plastiques, collages ou gravures notamment, n’ont pas à être artificiellement séparées de ses carnets de croquis et de ses bandes dessinées. Le rapport texte / image, constamment en jeu, demeure au cœur du travail de l’autrice canadienne depuis ses Dirty Plotte.

FH

Fantastic Plotte © Julie Doucet / L’Oie de Cravan 2014
Fantastic Plotte © Julie Doucet / L’Oie de Cravan 2014

Fantastic Plotte - Par Julie Doucet - L’Oie de Cravan - édition bilingue français-anglais - 25,5 x 19 cm - 144 pages en noir & blanc - couverture souple avec rabats - ISBN 9782922399837 - parution le 24 janvier 2014.

Consulter le site de l’autrice & lire un article consacré à la place du corps dans son ouvrage (Sandrine Galand, "Fantastic Plotte, le corps en déterritoire", Spirale, n° 247, p.56–57, 2014).

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.


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